Air France : les revendications des pilotes se chiffrent en milliards d'euros

Les syndicats ont à nouveau rejeté, ce jeudi vers midi, le protocole de sortie de grève de la direction qui affirmait notamment que le futur PDG d'Air France-KLM ferait de l'équilibre entre Air France et KLM sur le long-courrier "une priorité". Le SNPL demande l'introduction de 27 gros-porteurs d'ici à 2020, une revendication qui se chiffre en milliards d'euros.
Fabrice Gliszczynski
Pour retrouver l'équilibre avec KLM, le SNPL demande l'introduction dans la flotte d'Air France de...26 avions long-courriers au cours des trois prochaines années, soit 25% de la flotte actuelle long-courrier de la compagnie.

Les négociations qui ont eu lieu ce mercredi soir à Air France entre les syndicats de pilotes et la direction n'ont pas permis de lever le préavis de grève du 11 au 14 juin. Les syndicats ont certes concédé que les deux parties ne sont "pas loin" de s'entendre, que le "constat est partagé sur certaines revendications", ils ont rejeté à nouveau le protocole de sortie de crise présenté cette nuit par la direction.

"Production balance"

Les différends sont nombreux. Le plus important porte sur la répartition de l'activité entre Air France et KLM au sein du groupe Air France-KLM, appelée production balance. Les syndicats estiment que la compagnie tricolore décline d'année en année au profit de sa consœur néerlandaise, malgré les accords passés lui garantissant un nombre d'heures de vol supérieur. Pour comprendre, il faut retourner....12 ans en arrière au moment du rapprochement entre Air France et KLM en 2004. En 2006, deux ans après la fusion, Air France, KLM, le SNPL et le VNV (le syndicat des pilotes hollandais) ont convenu une répartition de la production à deux tiers/un tiers en faveur d'Air France tant en sièges-kilomètres-offerts (SKO) qu'en heures de vol.

Le rachat de Martinair par KLM, le coeur du problème

En raison du rachat de Martinair par KLM en 2008, ces ratios ont été modifiés dans un autre accord signé en 2011 par Air France, le SNPL, KLM et le VNV. Il stipulait cette fois que, sur le long-courrier (trafic passagers et fret), Air France devait représenter 61,2% des SKO et 58,3% des heures de vol. Ces ratios ont été maintenus depuis. Mais, selon les pilotes, ils ont dérivé en faveur de KLM, en raison de la volonté de la direction de privilégier la compagnie néerlandaise, beaucoup plus rentable qu'Air France du fait de taxes et de redevances aéroportuaires inférieures à celles d'Air France.

Pour la direction d'Air France, cette répartition en heures de vol reste toujours dans la bande passante mais se situe plutôt dans le bas de la fourchette. En revanche, elle reconnaît qu'elle a évolué défavorablement en matière de sièges kilomètres offerts en raison de la "dédensification" des avions d'Air France, nécessaire pour suivre la stratégie de montée en gamme. Pour mettre notamment un produit plus confortable et plus spacieux, le nombre de sièges a été réduit.

Le SNPL demande 27 nouveaux gros-porteurs à Air France

Pour retrouver l'équilibre avec KLM, le SNPL demande l'introduction dans la flotte d'Air France de...27 avions long-courriers au cours des trois prochaines années. Ce qui correspond à plus de 25% de la flotte long-courrier actuelle de la compagnie (108 gros-porteurs aujourd'hui) ! La revendication est forcément jugée inacceptable pour la direction au regard de son coût astronomique.

Au prix catalogue, la facture de 26 Airbus A350-900 par exemple s'élève à 8 milliards d'euros. Même avec un prix négocié de moitié, la note restera salée. "Le coût de cette revendication s'élève en 4 milliards", explique la direction.

"A cela s'ajouterait le coût des 400 pilotes et 2.000 hôtesses et stewards qu'il faudrait pour exploiter ces avions", explique un observateur.

Des investissements qui semblent hors de portée d'Air France qui arrive péniblement à investir cette année 1,3 milliard d'euros (tous types d'investissements confondus). "En ayant recours à l'endettement, cela entraînerait le doublement de notre dette", explique Frédéric Gagey, le PDG d'Air France.

En outre, quand bien même Air France avait les moyens financiers pour se les payer, l'introduction de 27 nouveaux avions pose la question de leur affectation, de manière rentable qui plus-est. "Sur quelles lignes mettre ces avions ? La logique de production est une chose, la logique commerciale en est une autre", estime un autre observateur.

Coût "zéro" pour le SNPL

Le SNPL rejette l'argument. Avec les achats d'avions et la croissance déjà budgétés par Air France-KLM, "on arrive sur cinq, six ans à rétablir le ratio" voulu par les syndicats français, avec un "coup zéro" pour l'entreprise, a déclaré ce mercredi soir à l'AFP Emmanuel Mistrali, le porte-parole du SNPL.

"Ça ne demande pas d'acheter des avions à la fin de la semaine ni d'avoir une croissance à 15%", il suffit juste de "changer la répartition du nombre d'avions" nouveaux déjà programmés, en accordant la priorité à Air France "sans faire décrocher KLM", a-t-il indiqué.

Le coût ne peut pas être "zéro", car les avions sont certes commandés mais pas payés. L'essentiel de la facture d'un avion est en effet payé à la livraison. Et même si les commandes de B787 et d'A350 passées il y a bien longtemps l'ont été par Air France-KLM, il est difficilement imaginable de répartir les achats sans tenir compte des capacités d'investissements de chacune des deux compagnies d'autant plus que le cash est dans les compagnies et non au groupe.

Interrogé ce jeudi par La Tribune, plusieurs membres du SNPL n'étaient pas en mesure de nous répondre.

Lire ici : comment on achète un avion

Il y a 2 ans, le SNPL parlait de 3 à 5 avions pour rétablir l'équilibre

Ce chiffre de 27 avions interpelle. Car si le débat sur la répartition entre l'activité d'Air France et de KLM n'est pas nouveau, jamais il n'a porté sur un tel volume. Lors de la grande grève des pilotes d'Air France en septembre 2014, le SNPL estimait en effet qu'il fallait 3 à 5 avions pour rétablir l'équilibre avec KLM.

Pourquoi un tel écart avec les chiffres d'aujourd'hui dans la mesure où la compagnie hollandaise (hors Martinair) n'a pas augmenté sa flotte d'une vingtaine de gros-porteurs en deux ans ? En fait, le SNPL veut tout simplement revenir sur l'accord de 2011 et prendre en compte les ratios de l'accord de 2006, qui ne tenait pas compte évidemment de l'intégration par KLM de Martinair.

"Une question légitime", pour la direction

Selon des pilotes modérés et certains membres de la direction, un juste milieu autour d'une douzaine d'avions supplémentaires serait un bon compromis. Mais il ne peut être négocié entre la direction d'Air France et les syndicats de pilotes français.

Dans son procès-verbal de sortie de crise présenté dans la nuit de lundi à mardi aux syndicats (celui qui a été refusé), la direction considère "que la question du rééquilibrage de la production entre Air France et KLM est légitime et pertinente et que la part des heures de vol d'Air France doit augmenter".

Ce qui est de nature à rassurer les pilotes dans la mesure où il prend le contre-pied de l'attrition souhaitée par certains administrateurs d'Air France-KLM. Mais, ajoute le texte, "cette question ne peut relever seulement des acteurs Air France et SNPL : on ne peut imaginer que KLM et VNV (le syndicat des pilotes hollandais, ndlr) puissent modifier unilatéralement les valeurs de la "production balance" par accord sans discussion avec Air France et le SNPL et sans intervention du PDG du groupe. C'est pourquoi la discussion doit être conduite à l'initiative du PDG d'Air France-KLM".

"Une des priorités du nouveau PDG d'Air France-KLM"

Et d'ajouter : "Jean-Marc Janaillac fera de la recherche d'un meilleur équilibre sur le réseau long-courrier entre Air France et KLM l'une de ses priorités. A cette fin, les différentes parties signataires des accords actuels (Air France, SNPL, KLM, VNV) seront réunies par le Pdg du groupe Air France-KLM dans les trois mois suivants son arrivée  (le 4 juillet, NDLR) pour relancer les discussions sur l'équilibre entre les compagnies."

Evidemment cette proposition a reçu le feu vert de Jean-Marc Janaillac. Les syndicats avaient demandé de le voir. Mais il avait refusé, préférant attendre son arrivée dans les murs du groupe.

Face aux inquiétudes sur le périmètre, la direction s'est par ailleurs engagée "à ne signer aucun accord de partenariat contraire aux dispositions de l'ancien accord de périmètre arrivé à échéance le 31 mars et propose d'en signer un nouveau dans le cadre de la reprise des négociations sur la croissance, l'emploi pilotes et la compétitivité".

Sujet explosif sur Hop !

Cette question des équilibres est très sensible. Elle concerne aussi les différentes compagnies du groupe Air France. Selon deux sources, le SNPL Air France aurait fait part à la direction d'Air France de son souhait de voir la part de la production de Hop ! sur le moyen courrier ramenée de 38% à 35%. Un sujet là aussi explosif.

Concernant le développement de Transavia France, le SNPL serait d'accord pour un ajout de 5 avions l'an prochain, et non pas de trois comme prévu.

Les syndicats demandent par ailleurs des hausses de salaires, évaluées par le SPAF à 11,6% sur trois ans pour compenser le gel des salaires observés ces dernières années. Enfin, la direction a un peu lâché de lest sur la majoration des heures de nuit qui, après la mise en place le 1er juin du solde des mesures de Transform, est passé de 50 à 40%. Frédéric Gagey est prêt à la faire passer à 45%.

Si grève il y avait, elle ferait énormément de mal au groupe. Sans même parler de la facture financière, elle risquerait de provoquer des tensions entre Air France et KLM, dont les les dirigeants, les syndicats et les salariés sont agacés par cet appel à la grève.

Fabrice Gliszczynski

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Commentaires 27
à écrit le 10/06/2016 à 17:20
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Chez nous (petite société de plus de 10.000 personnes) plus personne ne prend AF trop cher et pas fiable sans parler des grêves !

à écrit le 10/06/2016 à 16:20
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A force de scier la branche sur laquelle ils sont assis, les pilotes d'AF vont devoir déménager au 10, rue Berthelot 95500 Gonesse (le pôle emploi de Roissy pour ceux qui ne sont pas familiers) d'ici quelques années. On finit toujours par récolter ce...

le 10/06/2016 à 17:29
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Très cher Jul, comment vous dire.... Votre commentaire suinte la méconnaissance du dossier.... Les pilotes ne demandent que le respect de accords qui les lient à l'entreprise. Si ces accords sont bafoués ce ne peut être que de la part de la directio...

le 10/06/2016 à 20:35
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Cher Roger, il faut vous mettre en tête que vous n'êtes pas la SNCF, et que le voyageur Français comme étranger a largement d'autres choix qu'AF, aussi bien pour l'intérieur que pour l'extérieur. Vous avez pris l'habitude, depuis fort longtemps, de f...

le 21/06/2016 à 23:51
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Très cher Jul , j'ai lu votre commentaire et je maintiens mon opinion: vous ne savez pas de quoi vous parlez.... Et c'est dommage pour les lecteurs. Votre méconnaissance du dossier vous empêche de voir certaines choses que je vais vous énumérer. ...

à écrit le 10/06/2016 à 12:02
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Encore un coup de Martinez ou comment passer des poubelles à l'A380!

à écrit le 09/06/2016 à 18:56
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depuis une belle lurette je ne prenais plus des vols AF pour les déplacements pour ma boite meme avec des miles Emirate Singapore Airlines etc sont bien plus agréables On est choyé comme des pachas

le 10/06/2016 à 18:36
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C'est sur, si vous êtes subventionné sur le carburant comme pratiquement sur toutes les compagnies que vous signalez je peux me donner le luxe de choyer le passager. Quand je ne paye ni le péage ni le carburant c'est facile de se payer le resto

le 10/06/2016 à 20:43
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Korrigan, dire à chaque fois "c'est pas ma faute à moi c'est lui" relève d'une très profonde immaturité et d'une absence de remise en cause très dangereuse. Ce n'est pas la faute de Singapore Airlines, de British Airways ou encore de KLM si eux prenn...

à écrit le 09/06/2016 à 16:09
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Ça-y-est, j'ai pris rdv avec mon N+3 pour lui dire ce que je pense des investissements de la boite et de l'autonomie de notre succursale en Allemagne. Je vais lui demander de revoir ses décisions en le menaçant de me mettre en grève et de bloquer l’e...

à écrit le 09/06/2016 à 14:39
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Au point où en est cette compagnie, un peu plus un peu moins ne change pas foncièrement la donne. S'agissant des 26 gros porteurs en question ce n'est pas parce qu'ils sont à quai, qu'ils sont automatiquement remplis. On peut même penser que vue l'im...

à écrit le 09/06/2016 à 14:10
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Il faudrait laisser cette compagnie s'éteindre ou plutôt péricliter et en reconstruire une nouvelle sur les bases des compagnies modernes, si tel est le vrai choix des pilotes. Pour cela il faudrait un peu de cran de la part des autorités, ce qui ne...

à écrit le 09/06/2016 à 13:58
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Depuis quand les pilotes ont-ils vocation à peser sur les décisions d'investissement d'une entreprise ? C'est un mélange des genres inimaginable !

le 09/06/2016 à 14:42
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Cela a été la même chose lorsque les médecins ont voulu diriger les hôpitaux. Méme si ils n'ont qu'une responsabilité partagée, on voit où on en est aujourd'hui !!

à écrit le 09/06/2016 à 13:51
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c'est quelque part intéressant ...même quand les pilotes sont en grève chez Air France ...nous savons que le capitaine de pédalo ...n'est pas le pilote de l'avion France....

à écrit le 09/06/2016 à 12:58
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Je me souviens d'une époque où les mêmes bloquaient les embauches de pilotes avec un statut moins intéressant. Certains sortis de l'ENAC sont restés au chômage pendant des années obligés de se payer des heures de pilotage pour ne pas perdre leur lice...

à écrit le 09/06/2016 à 11:52
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Une seule issue , le dépôt de bilan . Puis repartir avec une société privé sans l'état Virer tous ces privilégiés avec leur syndicat destructeur . Je suis actionnaire de AF et je m'interdis maintenant de voler sur AF Sur mon dernier vol Transat...

le 09/06/2016 à 17:06
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S'il vous plaît donnez nous la preuve de ce fait ,No de vol ,votre départ et arrivée, la date et votre numéro de siège et le responsable de cabinet sera facilement retrouvé ,des explications lui seront demandés . Avez -vous fait cette démarche ? je ...

à écrit le 09/06/2016 à 10:43
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Pourquoi prend-on toujours le peuple à témoin, AF est maintenant et c'est heureux une compagnie privée. Ce qu'il s'y passe concerne ses personnels et la stratégie éventuelle de l'entreprise. Les coûts; l'investissement,la productivité et la rentabili...

le 09/06/2016 à 12:32
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Parce que Air France n'est pas une entreprise tout à fait comme les autres... Preuve en est, pour la protéger les droits de certaines compagnies sont limitées (même s'il faut bien reconnaître que la concurrence est également largement subventionnée)....

le 09/06/2016 à 13:27
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Les dirigeants d'Air France savent que leur croissance est actuellement artificielle due à la baisse du coût du pétrole et ne peuvent se permettre un tel investissement qui les mettraient encore plus en otage des grèves.

à écrit le 09/06/2016 à 10:20
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Pourquoi ce titre racoleur alors même que l'article contredit cette affirmation farfelue ?

à écrit le 09/06/2016 à 9:39
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"Le SNPL demande ...". A se demander si ce n'est pas le SNPL qui gère Air France. Par contre, c'est le SNPL qui plombe Air France. Ceci dit, que ce soit au niveau professionnel et/ou personnel, nous évitons Air France. Et tant qu'à faire, nous pr...

le 09/06/2016 à 12:01
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c'est eux qui " gèrent " A.F comme C.G.T et S.U.D Rail " gèrent " et plombent de la meme sorte la S.N.C.F et auparavant avant sa faillite la S.N.C.M. Plus d'avions pour toujours et encore faire greve. Il faut les laisser faire greve et ne plus achete...

à écrit le 09/06/2016 à 9:35
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simple, je ne prends pratiquement plus AF de peur d'une grève le jour du départ. Sans être un gros client, 3 vols long courrier par an en classe affaires à 2. Le prochain La Havane, j'hésite entre Iberia (pas terrible mais 50% moins cher en business)...

à écrit le 09/06/2016 à 9:04
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Ca ne changera rien, au moins pas l'attitude future des pilotes d'Air France. Civilité n'est pas negociable.

à écrit le 09/06/2016 à 8:57
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Etrange de ne pas voir un mot sur le retrait des 747 combi de KLM qui est pourtant au coeur du problème...

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