Au Paris Air Forum, le patron de IATA demande 80 milliards de dollars d'aides d'Etat supplémentaires pour éviter les faillites

Lors d'un entretien réalisé au Paris Air Forum, organisé par La Tribune, Alexandre de Juniac, le directeur général de l'association internationale du transport aérien (IATA) a déclaré que le secteur avait besoin de 70 à 80 milliards de dollars d'aides d'Etat supplémentaires pour éviter une vague de faillites dans les prochains mois, après les 160 milliards de dollars d'aides publiques déjà reçues depuis le début de la crise du Covid-19. Le directeur de IATA révise également à la hausse le montant des pertes nettes prévues en 2020. Elles devraient approcher les 100 millards de dollars, contre 87 milliards de dollars estimés jusqu'ici. Pour relancer le trafic, Alexandre de Juniac milite pour la mise en place de "cordons sanitaires" entre les pays et, avec l'arrivée des vaccins, espère que le trafic remontera en 2021 à 50, voire 60% de son niveau de 2019.
Fabrice Gliszczynski
(Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Des laboratoires pharmaceutiques ont apporté des nouvelles rassurantes sur l'arrivée d'un vaccin Covid-19 d'ici la fin de l'année. Cela change-t-il vos scénarios de reprise ?

ALEXANDRE DE JUNIAC - C'est une très bonne nouvelle de voir ces vaccins arriver. Si le vaccin est déployé en 2021, cela va conforter nos hypothèses de reprise qui étaient fondées sur l'arrivée d'un vaccin au milieu de l'année prochaine. Je comprends que c'est vers cela que les compagnies pharmaceutiques s'engagent. Les laboratoires vont commencer à déployer un vaccin qui sera disponible mi-2021. Son impact sur la sécurité des passagers, en termes de transmission et de transport du virus, commencera à se faire sentir de manière extrêmement forte au cours de la deuxième partie de l'année en 2021. Ce qui confirme nos hypothèses. Nous estimons que le trafic aérien représentera fin 2020 33% de son niveau de 2019, puis, nous l'espérons, 50 à 60% fin 2021.

Tablez-vous toujours sur un retour du niveau de trafic de 2019 en 2024 ?

Absolument. Avec un court et moyen courrier qui devrait rejoindre les chiffres 2019 un peu plus tôt, en 2023, et 2024 pour le long courrier. Nous sommes dans cette fourchette de temps.

En juin, IATA prévoyait pour 2020 une perte nette pour le secteur de 87 milliards de dollars en 2020. Cette hypothèse s'appuyait sur une reprise lente et progressive. avec la deuxième vague de l'épidémie, revoyez-vous vos prévisions?

Pour le moment, nous n'avons pas changé le montant des pertes anticipées, mais il est assez probable que l'on soit sur des pertes supérieures aux chiffres annoncés et que l'on approchera les 100 milliards plutôt que les 87 milliards annoncés précédemment.

Pour l'heure, la situation du transport aérien est extrêmement difficile. Les compagnies ont fait une croix sur la saison hiver et pour la saison d'été tout le monde ne sera pas vacciné, loin s'en faut. Et rien ne garantit que les quarantaines seront levées dans les différents pays qui les ont installées, sauf à accélérer les tests antigéniques dans les aéroports et qu'il y ait reconnaissance mutuelle de ces tests par les Etats, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Comment faire pour que les Etats mettent en place des corridors sanitaires ?

Le principal facteur de blocage du trafic actuellement, ce sont les mesures de restriction de voyages et notamment les mesures de quarantaine. Nous avons estimé l'impact des mesures de quarantaine sur une route. C'est -100% sur les réservations. Ce n'est pas très surprenant. Personne ne voyage quand il y a une quarantaine, c'est du bon sens. Ce que nous demandons aux gouvernements, c'est de supprimer les mesures de quarantaine. Comme il y a un souci légitime de protéger les populations des pays contre la réimportation du virus, nous avons proposé il y a deux mois de mettre en place une procédure de tests systématiques pour tous les passagers au départ, en utilisant soit les tests PCR, utilisés jusqu'à maintenant, soit les nouveaux tests antigéniques, disponibles depuis un mois, avec niveau de sensibilité excellent, 95 à 97%, et surtout un niveau de rapidité sans comparaison, puisque les résultats sont disponibles en 15 minutes. Ces tests sont par ailleurs abordables, quel que soit le financeur, puisqu'il se situe à 6-7 euros par test. Nous disons aux gouvernements : mettez en place des tests, reconnaissez les procédures mises en places par les autres pays, et mettez de côté les mesures de quarantaine; vous n'en aurez plus besoin, car vous ferez voler des passagers et vous accueillerez des passagers dont le risque de contamination est tellement faible, que vous êtes à un niveau où vous contrôlez la pandémie. C'est cela le sujet. Si vous testez les passagers avec ce niveau de fiabilité, vous avez un flot arrivant de personnes où le risque est extrêmement faible, puisque le nombre de passagers potentiellement infectés est faible. Vous conservez le contrôle sur l'évolution de la pandémie dans votre pays. C'est cette conviction que nous essayons de transmettre à un certain nombre de pays. La France, qui essaye de généraliser les tests dans les aéroports, est sur le bon chemin. D'autres gouvernements sont intéressés, comme Singapour et Hongkong qui testent un corridor sanitaire. Mais nous avons également vu des gouvernements avoir des difficultés à reconnaître la validité ou la sécurité des processus de tests mis en place dans d'autres pays. IATA a par ailleurs travaillé dans le cadre de l'OACI avec tous les gouvernements qui viennent d'émettre une série de recommandations sur les contrôles de passagers et sur les tests à travers un groupe de travail, Capsca (Collaborative Arrangement for the Prevention and Management of Public Health Events in Civil Aviation),qui réunit différentes autorités sanitaires. Mis en place après le Sras en 2003, ce groupe de travail a produit des recommandations et même un manuel d'utilisation sur la procédure de tests. Nous avançons.

Craignez-vous une vague de faillites de compagnies aériennes cet hiver ?

Il y a déjà malheureusement déjà un certain nombre de compagnies aériennes, près de  40 entreprises, en très grande difficulté ou en procédure de sauvegarde ou de faillite. C'est beaucoup. Ce qui est vrai, c'est que plus la crise dure, plus les risques de faillites se précisent. C'est pour cela que nous avons demandé aux gouvernements de continuer leur programme d'intervention mis en place dès la première phase de la pandémie. Nous leur sommes d'ailleurs extrêmement reconnaissants d'avoir injecté 160 milliards de dollars dans le secteur. Ce que nous leur disons pour passer cette période difficile, c'est que pour les prochains mois, les besoins de l'industrie devraient être évalués à 70 à 80 milliards de dollars d'aides supplémentaires. Sinon des compagnies ne survivront pas.

Cette crise va-t-elle accélérer la consolidation du secteur ?

C'est difficile à dire. Il y a plusieurs choses qui doivent être prises en compte. Tout d'abord, cette crise n'est pas une crise de "business model" des compagnies aériennes, c'est un choc extérieur, qui ne vient pas d'une faiblesse intrinsèque. On ne peut pas dire que cela va aboutir à la disparition de compagnies ayant tel ou tel "business model". Deuxièmement, pour qu'il y ait une consolidation, il faut que les compagnies aient les moyens de se racheter les unes les autres. Or elles n'ont pas de moyens. Elles sont en mode survie. Cela ne veut pas dire que dans quelques mois, les compagnies qui s'en seront mieux sorties n'auront pas les moyens d'acheter ou d'agréger celles qui s'en sont moins bien sorties. Peut-être. Mais nous n'en sommes pas encore là. Troisièmement, vous avez vu que beaucoup de programmes d'intervention des Etats les ont amenés à prendre des participations importantes dans certaines compagnies, souvent dans les compagnies nationales. Dans ces conditions, je ne vois pas très bien l'Etat qui aurait procédé à une actionnarisation partielle ou totale de sa ou ses compagnies, procéder à une cession immédiate ou envisager une fusion avec une compagnie d'un autre Etat. En revanche, ce qui est probable, c'est qu'il y ait moins d'acteurs, du fait des faillites, et que ces acteurs soient un peu plus petits, parce qu'ils auront été obligés de se délester d'une grande partie de leur flotte ou de fermer des routes, ou d'avoir des programmes de vols plus limités. Nous aurons des acteurs plus petits, mais probablement assez musclés, dynamiques, prêts à repartir. Et s'ils repartent, je pense que la reprise sera rapide et forte.

Après les années de privatisation, on a vu les Etats sauver la plupart des compagnies aériennes en prenant parfois le contrôle. Au regard de tous les aléas, ce secteur est-il compatible avec les marchés financiers ?

Oui, il est compatible avec les marchés financiers. Ce n'est pas une nouveauté que le secteur aérien soit exposé à tous les risques. C'est vrai qu'on n'en rate pas un : les volcans, les épidémies, les soulèvements politiques... C'est bien connu des marchés financiers, mais cela ne les a pas empêchés, dans la période pré Covid, dans les 10 années précédentes, d'investir assez massivement. Même des hommes d'affaires aussi avisés et aussi sceptiques pour l'aérien que Warren Buffet aux Etats-Unis avaient changé de doctrine pour investir dans le capital des compagnies aériennes. Il a changé à nouveau. Je ne crois pas qu'il y ait d'allergie des marchés financiers au secteur aérien. Il y a des compagnies qui ont trouvé des moyens importants de financement sur les marchés financiers. Les marchés sont prêts à financer le transport aérien. Après, il est probable que les compagnies qui en sortiront seront plus solides financièrement et auront vocation à avoir avec des chiffres plus robustes, des bilans plus solides, des dettes moins élevées et des comptes d'exploitation un peu plus profitables que ce que nous avons connu jusqu'à maintenant.

Avec la montée des protectionnismes et la recrudescence des tensions commerciales et diplomatiques observées ces dernières années, est-ce la fin du mouvement de libéralisation du transport aérien qui s'est développé au cours de ces dernières décennies?

Je ne pense pas qu'on assiste à la fin de la libéralisation du transport aérien. Il faudrait même probablement aller un pas plus loin, si on pouvait. Cela veut simplement dire qu'il va y avoir une pause pendant quelques années, dans le développement de compagnies transnationales qui, à partir d'un État ou de plusieurs Etat desservent l'ensemble du monde. Cela va être mis un peu entre parenthèses. Mais cela reviendra. La volonté de voler est intacte. Nous en sommes persuadés quand nous voyons ce qui se passe en Chine ou en Amérique du Nord. Quand les contraintes sur le trafic se relâchent, le trafic reprend. Les gens reviennent dans les avions. Aujourd'hui, le marché en Chine est à 95% de ce qu'il était en 2019. Les passagers ont envie de revenir dans les avions. C'était quelque chose sur lequel nous avions un petit doute.

Avec les nouvelles technologies de visioconférence mais aussi les changements de comportements des entreprises qui veulent "verdir" leur politique voyage, le voyage d'affaires reviendra-t-il à son niveau d'avant-crise ?

Le voyage personnel va repartir extrêmement fort, nous n'avons pas de doute. Le voyage d'affaires reviendra, mais sans doute plus lentement. C'est ce qui explique le décalage du retour à son activité d'avant-crise du long courrier. Le voyage d'affaires reviendra plus lentement en raison du développement des outils virtuels et au fait que les entreprises ont beaucoup coupé dans les budgets voyage. Mais nous sommes en train de nous rendre compte aussi que l'utilisation massive des outils virtuels ne remplace pas les contacts physiques. En matière de développement économique, rien ne remplace un déplacement physique. Une entreprise ne va pas investir, construire un partenariat commercial sans être allée sur place rencontrer les équipes, visiter des usines, voir les réseaux de distribution ou les boutiques. On ne peut pas faire ça avec un outil virtuel. Les points de croissance se gagnent grâce aux voyages. Pas de voyages, pas de croissance.

La crise s'accompagne d'une volonté de l'opinion et de certains Etats d'accélérer  la transition énergétique. Craignez-vous une modification des comportements des passagers ?

Cette volonté existait déjà avant, elle était même beaucoup plus forte. Ce n'est pas nouveau de voir des Etats ou des passagers vouloir mettre en œuvre une politique environnementale encore plus dynamique. Par rapport à cela, nous n'avons pas changé nos engagements. Nous maintenons nos engagements d'être neutre en carbone à partir du 1er janvier 2021 et de diviser nos émissions de carbone par deux à l'horizon 2050, par rapport au niveau de 2005. Ces engagements extrêmement ambitieux, que le transport aérien a pris il y a 10 ans, ont été tenus et même au-delà puisque nous avons dépassé les objectifs que nous nous étions fixés entre 2010 et 2020. Nous continuons. Il n'y pas de changement. La crise Covid n'a pas introduit de changement dans la volonté et la capacité du secteur à tenir ses engagements environnementaux extrêmement ambitieux. Nous avons bien conscience que cela reste un énorme sujet.

Avec le système de compensation des émissions de CO2 (Corsia) décidé par les compagnies aériennes, les hausses des taxes environnementales à prévoir, le prix du biocarburant et demain de l'hydrogène qui sont plus chers que le pétrole, le coût du transport aérien ne va t-il pas augmenter à un point tel que, à terme, ce mode de transport ne soit plus accessible qu'aux plus aisés?

Nous militons exactement pour l'inverse. Cela fait 30 ans que l'une des grandes réussites de ce secteur est d'avoir ouvert le voyage aérien au plus grand nombre. Les compagnies aériennes transportaient plus de 4 milliards de passagers par an jusqu'à l'arrivée du Covid. Cette démocratisation du transport aérien est un acquis énorme, et nous nous battrons pour que cela continue, pour que les prix se tiennent. Parmi les différents facteurs qui peuvent influencer les prix, certains les influencent à la hausse, comme le carburant, les biocarburants, la réduction du nombre d'acteurs. Mais il y en a également beaucoup qui les font baisser, comme l'extrême faiblesse de la demande qui poussent les compagnies à faire des promotions pour remplir leurs avions et ces seconds facteurs est au moins aussi fort que les premiers. Donc je pense que les prix resteront relativement sages, ce qui est une bonne chose. Car la vocation du secteur n'est surtout pas d'être un moyen de transport des plus favorisés, mais d'être un moyen de transport pour le plus grand nombre.

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Fabrice Gliszczynski

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Commentaires 12
à écrit le 23/11/2020 à 9:32
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M. de Juniac affirme ceci : « Nous maintenons nos engagements d'être neutre en carbone à partir du 1er janvier 2021 » Si ses propos ont été correctement retranscrits, il s'agit d'un mensonge éhonté. Car l'engagement de l'IATA est différent et bien m...

à écrit le 21/11/2020 à 19:23
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oui les compagnies veulent plein d'argent, on sait pour payer les gras salaires des gens qui refusent tout effort, en se disant que le contribuable va etre mis devant le crachoir pour payer pour les acquis des rentiers..... comme chez klm.....

à écrit le 21/11/2020 à 9:07
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Et moi je pourrais avoir seulement deux ou trois milliards svp ? C'est tout ce que je demande hein... merci.

à écrit le 21/11/2020 à 6:56
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C'est le rôle des marketeux de nous faire croie qu'on a besoin d'acheter leur camelote. Il serait appréciable que ce mode de transport de masse dispendieux à l'utilité restreinte disparaisse. Nous n'avons pas besoin que l'aviation continue à propager...

à écrit le 20/11/2020 à 21:43
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80 milliards pour ramener des virus de Chine, ça pique un peu.! L'avion, décidément trop cher.

à écrit le 20/11/2020 à 18:13
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Juste pour savoir ces millions supplémentaires serviront a délocalisez 1 ou 2 ans plus tard? Et sauveront combien d'employés? Ne serait il pas moins couteux de donner cet argent aux employés qui vont de tout façon être viré

à écrit le 20/11/2020 à 17:21
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Quatre vingt milliards ? ... mais faut pas être timide comme ça mon grand ... 300 milliards tu demandes ! ... plus c'est gros ... plus ça passe ... allons ...

à écrit le 20/11/2020 à 16:53
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On entend des demandes de cette envergure là! Et le gouvernement veut discuter de la réforme des retraites! Moi, je suis certain qu'il y aura une révolution en France tôt ou tard. Trop entêtés la France. Les générations suivantes ne voudrons pas la r...

le 20/11/2020 à 20:49
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On se calme !! De Juniac représente les compagnies ariennes au niveau mondial. Ce n'est pas 80 Milliards pour AF !

à écrit le 20/11/2020 à 16:39
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l'État , ce sont les contribuables. Va t-on encore avoir les moyens de se payer un président de la république ? Sarkozy , Hollande plus Macron , la dette augmente à chaque quinquennat pour devenir abyssale. Il va falloir laisser tomber cette Vème rép...

le 20/11/2020 à 18:51
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commencer donc par retirer toutes les aides aux petits patrons cafés restaurants vous savez ce pognon de dingue ! bon courage .une fois que l on a mis le doigt dans le pot de confiture c est difficile de ne pas y retourner

le 20/11/2020 à 20:55
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Faisons un referendum sur les prestations sociales, les services publiques, la politique d'immigration, et pourquoi pas l'UE qui nous mène à la ruine depuis 20 ans. Et nous verrons que veulent les Français.

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