« Il devient très compliqué de parquer les camions ». Philippe Deiss, directeur du syndicat mixte Ports de Normandie qui gère le port de Cherbourg, peut se louer d'avoir effectué de fréquents voyages en Irlande ces derniers mois pour rassurer les transporteurs et les autorités locales sur la robustesse de son offre. Bien lui en a pris. Depuis le début du mois de janvier, plus de dix mille poids-lourds en provenance ou à destination de l'Irlande ont emprunté l'une des trois passerelles ferries qu'abrite le port du Cotentin. Un record.
« En temps ordinaire, nous voyons passer environ 35 000 camions par an. Avec le Brexit, le trafic avec l'Irlande explose littéralement au point qu'il nous faut revoir quotidiennement nos plans d'occupation » constate le maître des lieux.
Les transporteurs se déroutent...
Explication. Depuis que les britanniques ont largué les amarres, nombre de transporteurs européens choisissent, en effet, de rallier les vertes collines de l'île sans passer par le Royaume-Uni de même que leurs homologues irlandais dans l'autre sens. Trop de frais, trop de contrôles, trop de retards... Les entreprises insulaires, et en particulier celles qui transportent des produits frais et du bétail (grande spécialité de l'Eire), se déroutent pour éviter de se trouver bloquées dans des ports britanniques saturés ... et dont le plan de gestion du trafic laisse à désirer de l'avis de tous les observateurs. « Je vois débarquer beaucoup de bovins et d'ovins » confirme Philippe Deiss.
Une aubaine pour le port normand devenu, grâce au Brexit, le port de commerce du vieux continent le moins éloigné des cotes irlandaises, juste derrière celui breton de Roscoff traditionnellement plus tourné vers le tourisme.
... Et les compagnies prennent l'Eire
Les compagnies maritimes se sont gréées en conséquence. Irish Ferries a basé à Cherbourg le plus gros de ses navires et la Stena Lines est passée de deux à six rotations hebdomadaires avec l'Irlande. Le pavillon français aussi se met en ordre de marche. En difficulté sur le transmanche, la Brittany Ferries a inauguré ce mardi (19 janvier) une liaison hebdomadaire entre Rosslare au Sud de Dublin et le Cotentin, avec deux mois d'avance sur le calendrier initialement prévu.
« Nous nous mettons du côté de ceux qui pensent que le Brexit peut être une opportunité, et pas seulement une contrainte » commente Jean-Marc Roué, président du conseil de surveillance.
Le patron de la Brittany Ferries n'exclut d'ailleurs pas de renforcer encore ses connexions avec l'Eire. Lors d'une récente visite de Franck Riester dans la ville d'Edouard Philippe, il a indiqué au ministre réfléchir au lancement d'une ou plusieurs liaisons au départ du Havre.
Relations de bon voisinage
Tout permet de penser que les opérateurs maritimes ont raison de jouer le trèfle. Non seulement, ce pays connaît une croissance forte de ses exportations vers l'UE (de 15 % l'an dernier) mais il est devenu une plateforme de transit pour beaucoup de multinationales attirées par sa fiscalité accommodante. Aussi ses dirigeants voient-ils dans l'Europe continentale une terre de conquête, comme le confirme Patrick Torrekens, directeur de France Enterprise Ireland, équivalent dans l'île de Business France.
« Les routes commerciales et les plans d'exportation sont en cours de refonte. Nos clients regardent de plus en plus vers l'Eurozone et particulièrement la France qui devient notre plus proche voisin dans le marché commun ».
Signe de ce réchauffement : Patricia O'Brien, ambassadrice d'Irlande dans l'hexagone a assisté, à Cherbourg, à l'inauguration de la nouvelle ligne de la Brittany Ferries. Côté français, on réserve un bon accueil à ces manœuvres d'approche. Confirmation avec cette tribune de Jean Yves Le Drian parue le 2 janvier dans le quotidien Irish Times que Ouest France a traduite dans la langue de Molière. « La France et l'Irlande, deux voisins plus proches que jamais qui partagent un destin commun, ont le projet d'écrire ensemble une nouvelle page de leur relation » y écrit le ministre des affaires étrangères que l'on a connu moins aimable.
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