En menaçant de réduire de 10% l'offre en sièges sur le réseau long-courrier en cas d'échec des négociations avec les syndicats d'ici à la fin septembre pour améliorer la productivité du personnel, le Pdg d'Air France, Frédéric Gagey, prend systématiquement l'exemple de British Airways (BA) au début des années 2000 pour expliquer ce plan B d'attrition de l'activité d'Air France.
La référence est en effet très parlante, tant par l'ampleur du régime minceur adopté par la compagnie britannique que par le résultat obtenu - les marges opérationnelles du groupe britannique comptent désormais parmi les plus fortes des acteurs européens traditionnels. Une performance que n'a pas entamé le regroupement de BA avec Iberia depuis 2010 au sein d'IAG (International Airlines Group), lequel dégage des profits aussi insolents que ceux de British Airways au cours des années 1990.
Vents contraires
Qu'a donc fait la compagnie britannique pour mériter que Frédéric Gagey s'en souvienne encore ?
En 2001, quatorze ans après sa privatisation, BA commence à tirer la langue. Les comptes 2000/2001, clos fin mars 2001, sont certes dans le vert mais les vents contraires soufflent très fort. Très dépendante du marché transatlantique qui constitue sa vache à lait historique, la compagnie britannique est fortement impactée par le ralentissement économique américain à partir de 2000 qui frappe de plein fouet les compagnies américaines traditionnelles. Ceci au moment où British Airways commence à souffrir sérieusement, sur son réseau court et moyen-courrier, de la croissance des compagnies low-cost qui, en Europe, ont pris leur envol au Royaume-Uni au cours des années 1990.
11-Septembre
Les attentats du 11-septembre 2001 vont accélérer les difficultés. Même si personne ne peut prédire l'impact à moyen et long terme des attentats, la réaction de la compagnie britannique est néanmoins immédiate.
Le 20 septembre 2001, la direction lance un plan de suppression de 7.200 postes, diminue le nombre de vols de 10%, et suspend ses investissements.
« Nous, nous avions l'expérience de ce qui s'était passé durant la guerre du Golfe [1990-1991, Ndlr]», dira plus tard, Rod Eddington, le directeur général de British Airways.
La plupart des compagnies américaines, beaucoup plus fragiles, font la même chose, en plus brutal.
La veille, le 19 septembre 2001, American Airlines et United Airlines annoncent la suppression de 20.000 postes chacune !
Selon de nombreux observateurs, ces plans, pour être calibrés et approuvés aussi rapidement, étaient déjà dans les cartons, le 11-Septembre n'étant qu'un prétexte pour les activer sans susciter d'incompréhension.
L'époque où BA perdait 2 millions de livres par jour
Et, en effet, le secteur du transport aérien entrait dans une crise dont il aura beaucoup de mal à sortir.
Entre octobre et décembre 2001, British Airways perdait 2 millions de livres par jour ! Sans oublier les départs de l'entreprise, qui se font à un rythme effréné. En quelques mois plus de 7.000 personnes ont déjà quitté la compagnie. Enfin, début 2002, British Airways arrête de brûler du cash.
Certes, mais Colin Marshal, le président et Rod Eddington, le directeur général, ne s'arrêtent pas là. Ils savent que les mesures prises n'éviteront pas à British Airways d'essuyer, à l'issue de l'exercice fiscal 2001-2002 qui s'achève fin mars 2002, ses premières pertes financières depuis 1982 (elles seront de 200 millions de livres pour un chiffre d'affaires en baisse de 10%, contre un bénéfice de 150 millions de livres un an plus tôt).
"Future Size and Shape"
Le 13 février 2002, ils dévoilent un plan choc au nom sans équivoque "Future Size and Shape" ("Taille et forme du futur"). S'il vise à simplifier la façon de travailler de la compagnie "pour pouvoir lutter contre les compagnies à bas coûts", il cherche surtout à réduire les coûts, "essentiellement à travers la réduction des effectifs" comme l'expliquait aux analystes en mai 2002 Rod Eddington : « British Airways's recovery must be cost driven » ou encore « Cost remain the focus », martelait-il.
Quelque 5.800 suppressions de postes supplémentaires sont alors annoncées, portant ainsi à 13.000 le nombre de suppressions de postes entre septembre 2001 et mars 2004 (3.400 navigants, 2.600 commerciaux, 800 au cargo, le reste dans les différents métiers au sol). Et 10.000 partiront au bout d'un an seulement. En mars, 2004, le nombre de départs (tous des volontaires) atteignait même 13.200 personnes.
Les chiffres impressionnants du plan d'attrition
Cette baisse drastique des effectifs s'est accompagnée d'une diminution spectaculaire de la taille de la compagnie en termes de flotte et de destinations desservies.
Au début des années 2000, British Airways était beaucoup plus grosse que ses concurrentes Lufthansa et Air France. Sa part de marché en Europe atteignait 25%, quand celle de Lufthansa et d'Air France s'élevait respectivement à 17% et 15%. En 2004, British Airways sera au même niveau que ses concurrentes. Les trois majors européennes détiendront 17% du marché européen.
Les chiffres de cette attrition sont impressionnants. En 2001, British Airways comptait 126 avions long-courriers et 235 court et moyen-courriers. Deux ans plus tard, à l'issue de l'exercice fiscal 2003/2004, clos fin mars, le nombre de gros-porteurs avait fondu de 11,2%, à 112 appareils, tandis que celui des avions moyen-courriers diminuait de 14,9%, à 200 avions. Au total, 47 appareils avaient quitté la flotte.
En termes de destinations, les coupes sont tout aussi spectaculaires.
"La quasi-totalité des lignes déficitaires ont été supprimées", se souvient un ancien de la compagnie.
21 destinations long-courriers et 15 moyen-courriers ont été supprimées. Essentiellement à l'aéroport londonien de Gatwick, dont un grand nombre de vols était transféré à Heathrow.
Plus de sièges Premium et la création d'une... quatrième classe
Cette baisse de capacité fut d'autant plus forte que British Airways avait décidé, dès 1999, sous l'impulsion de Bob Ayling, le prédécesseur de Rod Eddington, de réduire le nombre de sièges en classe économique dans les avions, pour installer plus de sièges en première classe et en classe affaires, beaucoup spacieux que les standards en vigueur dans le secteur puisque la compagnie introduisait pour la première fois en Business Class un siège convertible en lit.
Les B747 de British Airways comptaient 102 sièges en classe affaires, 5 de plus que dans ses A380 aujourd'hui. Cette innovation se doublait d'une autre qui inspira, elle aussi, les autres compagnies : la création d'une quatrième classe entre la classe affaires et la classe économique. Résultat, entre 1999 et 2003, les capacités ont été réduites de 20% !
Réductions des commissions, ventes des filiales low-cost
British Airways a par ailleurs fortement modifié son système de distribution en développant les ventes directes sur Internet et en réduisant les commissions aux agences de voyages.
Au final, les coûts ont diminué de 2,5 milliards de livres en deux ans.
Parallèlement, British Airways a vendu tout ce qui n'entrait plus dans son core-business. Après la vente d'Air Liberté à Swissair au printemps 2000, BA a vendu ses deux filiales low-cost, Go et Deutsche BA, à Easyjet, respectivement en 2001 et 2003.
Une surveillance inflexible des coûts
Et British Airways ne s'est pas non plus arrêté là. En fait, "ce plan a marqué le début de la restructuration", explique un bon connaisseur de l'entreprise. La nomination de Willie Walsh à la tête de l'entreprise signifiait que la compagnie ne lâcherait plus jamais rien sur les coûts. A la tête d'Aer Lingus entre 2001 et 2005, il n'avait pas hésité à prendre des mesures tout aussi drastiques que celles prises par British Airways pour sauver la compagnie irlandaise.
La compagnie britannique a donc continué de réduire ses coûts dans tous les domaines. Notamment dans ses frais de distribution et dans l'implantation, plus que chez ses concurrents européens, des nouvelles technologies d'e-ticket ou d'enregistrement en ligne. Autant d'investissements qui ont réduit les effectifs dans les aéroports. Ceci sans remous sociaux.
"La restructuration de BA s'est passée sans un jour de grève", se souvient un ancien de la compagnie. "Les salariés avaient conscience de la situation de la compagnie et de son environnement concurrentiel. La direction a toujours été très claire dans sa communication interne."
Tout s'est en effet bien passé jusqu'en 2010: à ce moment, la direction s'est attaquée aux hôtesses et stewards, en instaurant un nouveau contrat, moins avantageux, pour toutes les nouvelles recrues. Face ce projet, la grève fut dure et longue. Mais malgré la dureté du conflit, Willie Walsh n'avait pas cédé. Coexistent désormais deux types de PNC (personnel navigant commercial) chez BA, qui ne volent d'ailleurs jamais ensemble. A noter que Willie Walsh, s'il s'est attaqué aux pilotes d'Iberia, s'est toujours bien gardé de toucher aux pilotes de British Airways.
IAG dans une forme insolente
Aujourd'hui BA et le groupe IAG sont dans une forme insolente. IAG prévoit cette année un bénéfice opérationnel de 2,2 milliards d'euros, un niveau jamais atteint dans le transport aérien européen.
Toutes les lignes qui avaient été fermées ont été rouvertes. Entrée la dernière dans la consolidation du ciel européen, après Air France qui racheta KLM en 2004, et Lufthansa qui croqua Swiss en 2005 puis Austrian et Brussels Airlines en 2008, BA se rapprocha d'Iberia en 2008 (le rapprochement fut effectif en 2010) pour former le groupe IAG, lequel rachètera BMI à Lufthansa en 2011 puis Aer Lingus cette année.
Au final, ce qui frappe c'est la vitesse de décision et d'exécution de la direction de British Airways. Le plan de restructuration a été décidé alors que les premières pertes financières depuis près de vingt ans n'étaient pas encore publiées.
Chez Air France, la question de l'attrition se pose aujourd'hui, mais après six années de pertes cumulées, et uniquement dans l'hypothèse d'un plan alternatif.
Par ailleurs, outre le succès de cette stratégie d'attrition sur le plan financier, il faut souligner que la compagnie britannique a rouvert toutes les lignes qu'elle avait fermées. Iberia, qui a reçu le même remède de cheval, est en train de faire la même chose.
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