Qantas ou le casse-tête pour Airbus et Boeing des vols de plus de 20 heures

La compagnie australienne demande à Airbus et Boeing des avions capables d'effectuer des vols de plus de 20 heures. Une telle durée de vol constitue un défi non seulement pour les avionneurs, mais aussi pour les compagnies aériennes et évidemment les passagers.
Fabrice Gliszczynski

Des avions capables faire des vols de plus de 20 heures et relier sans escale et à pleine charge la côte est australienne à l'Europe, notamment Sydney à Londres : Qantas en rêve depuis des années. De tels vols lui permettraient de gagner plus de 4 heures par rapport à un itinéraire transitant aujourd'hui par Dubaï en partenariat avec Emirates. Faute d'avions disposant d'une autonomie en carburant suffisante, les passagers entre l'Europe et la cote australienne (Sydney, Melbourne, Brisbane) sont, depuis des décennies, obligés de faire escale en chemin, dans le Golfe du persique (Dubai, Doha, Abou Dhabi), en Asie du sud-est (Singapour, Bangkok), voire à Hongkong.

Qantas veut des avions "hyper range" en 2022

La direction de Qantas, qui entend également assurer des vols non-stop entre la côte est australienne et la côte est américaine d'une part (New York a été citée) et l'Amérique latine d'autre part (Rio de Janeiro), a donc demandé à Airbus et Boeing de mettre au point de tels avions d'ici à 2022.

«Les deux constructeurs développent des avions qui peuvent presque faire le job. Nous pensons que des avancées au cours des prochaines années combleront l'écart, a déclaré Alan Joyce, le directeur général de Qantas.

Ces deux prétendants sont l'A350 ULR (ultra long range ou à très long rayon d'action), dont la mise en service est prévue en 2018 par Singapore Airlines et du B777 8X, prévu quant à lui en 2022. Le premier pourra déjà voler 19 heures (voire 20 heures assure Airbus), grâce à un emport additionnel de la capacité carburant, le deuxième près de 18 heures dans sa version de base à 350 passagers.

Record

S'ils voyaient le jour, de tels vols constitueraient de nouveaux records dans l'histoire de l'aviation commerciale. Aujourd'hui, le vol le plus long du monde est assuré par Qatar Airways entre Doha et Auckland en Nouvelle-Zélande. Il sera détrôné l'an prochain par Singapore Airlines qui reliera en A350 URL Singapour à New York en 19 heures, un temps de vol que la compagnie connaît déjà pour avoir déjà assuré cette ligne (ainsi que Singapour-Los Angeles) entre 2004 et 2013 en A340-500.

Emirates ou encore Qantas (qui assure déjà des vols de près de 16 heures vers les États-Unis et qui l'an prochain reliera Perth sur la côte ouest de l'Australie à Londres en 17 heures) réalisent aussi des vols de très longue distance. À titre de comparaison, la plus longue ligne du réseau d'Air France, Paris-Santiago du Chili, dure 14h50.

Marché de niche

Pour autant, le marché des vols de plus de 20 heures semble extrêmement complexe tant pour les avionneurs que pour les compagnies aériennes. Tout d'abord parce que la taille de ce marché semble très limité.

«À part Londres-Sydney, il y a peu de dessertes qui peuvent justifier des vols de 20 heures chaque jour. Ce marché est une niche », assure un expert du secteur.

D'autant plus, qu'il est peu probable que tous les passagers potentiels préfèrent un vol sans correspondance par rapport à un vol avec un transit, lequel permet de souffler et de se dégourdir les jambes. En classe économique notamment, mais aussi en classe affaires.  Par conséquent, les compagnies sont obligées aujourd'hui de proposer moins de sièges, mais plus de sièges confortables. Autrement dit, de « dédensifier » l'avion, comme devrait le faire Singapore Airlines l'an prochain sur Singapour-New York, où les A350 ULR n'auront pas, selon la presse australienne, de classe économique, mais une classe affaires de 68 sièges et une classe Premium de 90 sièges, pour un total de 162 sièges, contre 253 sièges dans les A350 classiques opérés par la compagnie.

La recette unitaire doit être élevée pour compenser des coûts élevés

De facto, ces vols ne peuvent s'adresser essentiellement qu'à des voyageurs professionnels dont les employeurs sont capables de payer des billets plus chers que ceux en vigueur sur les vols avec escale pour gagner 3 ou 4 heures sur le temps de vol. Certains analystes estiment que Qantas pourrait ainsi augmenter le prix de ses billets de 20% entre Londres et Sydney si cette ligne était opérée sans escale.

Deux conséquences néanmoins à ne pas négliger : d'une part, les vols sans escale risquent de cannibaliser la clientèle haute contribution des vols avec escale et ainsi compliquer l'économie des lignes de ces dernières. D'autre part, les vols sans escale sont condamnés à dégager une recette unitaire élevée pour compenser une capacité en sièges moindre et des coûts du passager à l'heure de vol considérablement plus élevés que sur un avion opérant sur une ligne classique.

Coûts d'exploitation très élevés

En effet, les coûts d'exploitation des vols « hyper range » sont très élevés pour plusieurs raisons. La première d'entre elles est liée au "coefficient de transport", qui signifie que plus un avion va loin, plus il transporte du pétrole qui va lui servir à transporter le pétrole nécessaire pour faire la distance supplémentaire en bout de la ligne. A tel point qu'avec un prix du carburant très élevé, il devient plus intéressant de faire une escale technique.

Par ailleurs, avec des vols de plus de 20 heures, il sera plus difficile d'optimiser les programmes de l'avion pour le faire voler au maximum.

"Contrairement à ce que l'on pourrait penser, des avions positionnés sur des étapes très longues ne sont pas forcément ceux qui affichent le plus grand nombre d'heures vol à l'année. Car, à l'issue d'un vol très long aller-retour, il n'est pas évident de lui trouver une autre destination pour le faire voler avant son nouveau vol hyper range. Il n'y a pas d'enroulement des programmes, l'avion s'enroule avec lui-même", explique le même expert.

Potentiel sur le marché d'occasion limité

Par ailleurs, ces avions spécifiques ont un potentiel de revente plus limité que les autres. Plus difficile à recaser sur le marché de l'occasion, leur valeur résiduelle est par conséquent plus faible.

«Cela entraîne un renchérissement des coûts annuels de coque  » explique un spécialiste du transport aérien.

Pour lui, de tels avions entraîneraient probablement une hausse des coûts de maintenance en escale en raison d'une usure potentielle plus importante des équipements.

Un défi pour Airbus et Boeing

Si des vols de plus de 20 heures restent donc un défi pour les passagers et les compagnies aériennes, ils le sont également pour Airbus et Boeing. Car Qantas demande des avions capables de voler sur de telles distances à pleine charge, avec près de 300 passagers pour avoir une recette maximale. Pas question donc d'ajouter des réservoirs dans la soute de l'A350 et du B777 8X, que pourraient très bien faire Airbus et Boeing dans la mesure où les soutes de ces deux avions sont très grandes. Pour Alan Joyce, les améliorations du rayon d'action ne doivent pas provenir de l'ajout de réservoirs, mais d'une amélioration du design de la voilure, d'une poussée supplémentaire des moteurs et d'une réduction de la masse de l'avion.

Si ces améliorations s'avéraient coûteuses (ce qui est souvent le cas dès que l'on touche à la voilure), il serait difficile néanmoins pour Airbus et Boeing de répondre à une telle demande au regard de la taille modeste du marché.

«L'enjeu pour Airbus et Boeing est de pouvoir offrir un produit dérivé présentant des performances additionnelles sans trop s'écarter de la spécification nominale. S'ils y arrivent, ils peuvent satisfaire la demande. S'ils n'y arrivent pas, les coûts vont s'envoler», explique un spécialiste de l'aéronautique.

Ce dernier estime que ce type d'avions va nécessiter un complément de la certification, car les autorités de contrôle vont nécessairement vouloir la preuve que tous les systèmes techniques, tous les équipements périphériques soient capables de fonctionner sur de telles distances.

Fabrice Gliszczynski

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Commentaires 7
à écrit le 30/08/2017 à 18:40
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Il y a fort à parier que cet avion sera aussi rentable que le concorde.

le 31/08/2017 à 5:57
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La rentabilité pour la compagnie ou pour le fabricant d'avion ? Si l'Australie veut des avions avec 20 heures d'autonomie , ce n'est pas un problème ( les constructeur savent faire ) ...Mais combien en veulent ils ? Imaginons 50 exemplaires ... Étud...

à écrit le 30/08/2017 à 15:48
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Airbus avait proposé une version "World range'" comme piste de réflexion après son raid de juin 1993 (Le Bourget -> Auckland -> Le Bourget en 340 sans escale technique) auprès de ses clients actuels ou potentiels. Les compagnies s'étaient alors mo...

à écrit le 30/08/2017 à 14:50
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Suffit de les faire voler à 25 Km/h. Là, tu fais Paris -Marseille en 26 heures 44ième.

à écrit le 30/08/2017 à 12:08
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Cette course a l'argent se paiera comptant.

à écrit le 30/08/2017 à 10:01
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Quand on ignore les solutions des anciens, on refait le monde.... BOEING a augmenté l'autonomie de son 747 en le raccourcissement: 747 SP. Faire la même chose avec A340, plus court et moins de passagers, donc moins lourd, et plus de carburant.

le 31/08/2017 à 4:46
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Ingenieur aeronautique chez Airbus ? Connaissez-vous les contraintes de voilures ? Raccourcir un avion pose de serieux pb d'equilibre.

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