À Dunkerque, ArcelorMittal veut produire de l'acier "vert"

Acier recyclé, "haut fourneau vert", capture et stockage du CO2, hydrogène décarboné à la place du charbon... Le géant de l'acier veut réduire ses émissions de CO2 de 30% d'ici à 2030, puis atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050. Pour y parvenir, le groupe mise sur des innovations de rupture dont certaines seront testées sur le site de Dunkerque, qui, chaque année, produit 7 millions de tonnes d'acier et émet 11 millions de tonnes de CO2. Reportage.
(Crédits : Juliette Raynal)

Un site industriel qui s'étend sur 450 hectares, un labyrinthe de conduites de gaz, 115 kilomètres de voies ferrées, des montagnes de minerais de fer, des collines de ferraille. Ici et là, des fumées qui s'échappent sur un terrain venteux aux couleurs ocres qui borde la mer du Nord. Et chaque jour 200.000 tonnes d'aciers produits, soit l'équivalent de trois tours Eiffel. L'usine d'ArcelorMittal à Dunkerque (Nord) est un lieu hors normes. Ses volumes de production sont vertigineux. Ses émissions de carbone le sont tout autant. Chaque année, le plus gros site européen du numéro un mondial de l'acier rejette 11 millions de tonnes de CO2 dans l'atmosphère. A elle seule, l'usine, née en 1962 sur les rives du troisième port de l'Hexagone, représente ainsi 3,6% du total des émissions annuelles de l'industrie française (environ 305 millions de tonnes de CO2).

Alors que l'Accord de Paris fêtera son cinquième anniversaire dans quelques semaines,  et que toutes les parties prenantes sont invitées à revoir à la hausse leurs engagements, ArcelorMittal s'est lancé dans un projet ambitieux mais indispensable pour tenter d'endiguer le changement climatique: décarboner son activité afin de produire de l'acier "vert". Dans cette optique, il s'est fixé deux objectifs : diminuer ses émissions de CO2 de 30% à l'horizon 2030 en Europe, puis atteindre la neutralité carbone dans le monde à l'horizon 2050.

Les hauts fourneaux au cœur de la décarbonation

Le défi est colossal car l'industrie sidérurgique reste une très grande consommatrice de charbon. Ce combustible riche en carbone est utilisé, sous forme de coke, pour fabriquer de la fonte liquide par fusion du minerai de fer oxydé. Ce procédé industriel est mis en oeuvre dans les hauts fourneaux, dont deux sont en activité sur le site de Dunkerque (le troisième étant arrêté en raison de la pandémie du coronavirus qui a fait chuter la demande, notamment du secteur automobile).

Dans le détail, le coke et le minerai de fer sont introduits par couches en haut du fourneau, qui prend la forme d'une tour de 90 mètres de haut et de 12 mètres de diamètre. L'air chaud (1200 degrés) pulvérisé en bas du fourneau réagit avec le coke et forme un gaz de réduction qui permet d'absorber l'oxygène du minerai de fer pour obtenir de la fonte liquide. C'est par ce phénomène chimique qu'est émis le CO2. Grâce à plusieurs siècles d'optimisation, ce procédé industriel est aujourd'hui extrêmement efficace, mais il est aussi très polluant.

"90% des émissions de CO2 viennent du procédé du haut fourneau", explique d'emblée Henri-Pierre Orsoni, responsable des projets décarbonation chez ArcelorMittal France, lors d'une visite presse.

Aujourd'hui, pour chaque kilo d'acier fabriqué, 1,8 kg de CO2 est émis. C'était 2kg de CO2 il y a cinq ans et 2,2 kg, il y a dix ans. "Ces progrès continus ne suffisent plus, il faut désormais des innovations de rupture", estime Henri-Pierre Orsoni. Pour réduire son empreinte carbone et atteindre la première cible à l'horizon 2030, le site de Dunkerque entend ainsi s'appuyer sur trois leviers : le recyclage de l'acier, la circularité du carbone et le captage du CO2. Pour l'objectif de neutralité carbone visé en 2050, c'est l'hydrogène vert (c'est-à-dire produit par électrolyse de l'eau grâce aux énergies renouvelables contrairement à l'hydrogène gris produit à partir d'hydrocarbures) qui doit entrer en jeu.

Doubler le taux de recyclage

"Aujourd'hui,15% de l'acier que nous produisons sur le site de Dunkerque est issu du recyclage. L'objectif du site est de passer à 30% d'ici à deux ans", explique Henri-Pierre Orsini. "Pour atteindre cet objectif, le parc à ferraille devrait rapidement tripler de surface", précise la responsable de l'approvisionnement de l'aciérie, en désignant un parc de 25.000 mètres carrés. Le recyclage de l'acier, qui permet de limiter les besoins en charbon, n'est pas nouveau sur le site de Dunkerque, mais il répondait jusqu'à présent à des questions d'ordre économique et non environnemental. Pour changer d'échelle, le sidérurgiste devra relever des enjeux de qualité, de traçabilité et, plus largement, ceux liés à la structuration de la filière de recyclage. A terme, le doublement du taux de recyclage de l'acier devrait permettre de réduire de 8% les émissions du site.

Un haut fourneau "vert", une première mondiale

Le deuxième axe concerne le haut fourneau numéro 3.

"L'idée est de mettre au point un système permettant de séparer les gaz issus du haut fourneau et de l'aciérie afin de récupérer le monoxyde de carbone pour le réinjecter dans le haut fourneau. Cela nous permettra de réduire la quantité de coke que nous utilisons dans ce procédé et donc d'émettre moins de CO2", expose Henri-Pierre Orson. "Réinjecter du monoxyde de carbone dans le haut fourneau, ça ne s'est jamais fait. C'est une innovation mondiale", fait-il valoir.

Le projet, baptisé Igar, doit être présenté cette semaine au fonds innovation européen pour bénéficier de subventions publiques alors que l'investissement se chiffre à 200 millions d'euros. L'enjeu est de taille : le haut fourneau "vert", qui devrait être opérationnel en 2025, doit contribuer à réduire les émissions de CO2 du site à hauteur de 17%.

Capturer et stocker le CO2

Le site de Dunkerque mise enfin sur la capture du CO2 dans le cadre du projet européen 3D emmené par un consortium composé de onze acteurs, dont Axens, IFP Energies nouvelles et Total. Le chantier a d'ores et déjà démarré et une tour de 24 mètres de haut verra bientôt le jour à côté du haut fourneau. Ce dispositif pilote doit permettre de capter, dans un premier temps, 0,5 tonne de CO2 par heure issu du gaz sidérurgique. Une infime partie des émissions du site donc. Toutefois, une première unité industrielle est prévue pour 2025. Elle devra capter plus de 125 tonnes de CO2 par heure, soit un million de tonnes de CO2 par an. L'idée est de capturer le CO2, de le purifier, puis de le liquéfier pour le stocker ensuite à 1.000 mètres de profondeur dans la mer du Nord. L'objectif, à terme, est de mettre en place une sorte de "hub carbone" pour mutualiser les infrastructures, créer des synergies avec d'autres industriels et renforcer l'attractivité du territoire grâce à cette ressource carbone, qui peut être valorisée par d'autres entreprises.

Remplacer le charbon par de l'hydrogène vert

En parallèle de ces projets en cours d'implémentation, le site de Dunkerque planche aussi sur la neutralité carbone à l'horizon 2050. La réalisation de cet objectif doit passer par l'utilisation de l'hydrogène décarboné à la place du charbon pour réduire le minerai de fer. "Nous prévoyons d'injecter de l'hydrogène à l'horizon 2023", précise Henri-Pierre Orsoni. Dans cette optique, le sidérurgiste est en discussions avec la société H2V, prête à déployer ses deux usines d'hydrogène vert. L'idée, dans un premier temps, est de remplacer 5% du charbon utilisé dans le grand fourneau numéro 4 par cet hydrogène. Ce qui permettrait, mécaniquement, de réduire les émissions de CO2 de 5%.

Grâce à la mise en oeuvre de cette stratégie bas carbone à l'échelle mondiale, ArcelorMittal entend proposer à ses clients 30.000 tonnes d'acier "vert" dès 2020, 120.000 tonnes en 2021 et 600.000 tonnes en 2022. Une montée en cadence importante mais qui reste encore faible au regard de sa production annuelle : en Europe, ArcelorMittal produit entre 20 et 25 millions de tonnes d'acier chaque année.

"Des projets pas rentables"

Par ailleurs, la bonne mise en musique de cette nouvelle partition sera directement liée à la question des financements. Le numéro 1 mondial de l'acier, qui consacre chaque année 300 millions d'euros à sa R&D, évalue le coût de sa décarbonation entre 15 et 40 milliards d'euros. Ce qui se traduirait, selon lui, par une augmentation des coûts de production de 30 à 80%.

"Ce sont des projets qui ne sont pas rentables, mais qui sont nécessaires face aux enjeux climatiques. Nous avons donc besoin du soutien de l'Europe, de la France et de la région", souligne Dominique Pair, le responsable du site de Dunkerque, qui dénonce une concurrence déloyale.

"Aujourd'hui, nous sommes soumis à un quota d'émissions de CO2. De par notre production, nous dépassons ce quota et sommes obligés d'acheter du CO2 sur le marché du carbone où la tonne de CO2 se vend actuellement à 25 euros. Cela représente plusieurs dizaines de millions d'euros pour le seul site de Dunkerque", explique-t-il alors qu'il doit faire face à de nouveaux concurrents qui exportent en Europe de l'acier dont le coût de production n'inclut pas le prix du carbone.

Dernier enjeu de taille pour la direction d'ArcelorMittal : l'accompagnement des salariés. Sur les 3.100 employés du site, environ la moitié devraient voir leur métier considérablement chamboulé par cette décarbonation. Un important plan de formation est prévu, mais il n'a pas encore été budgété.

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Commentaires 3
à écrit le 30/10/2020 à 6:53
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Un cas typique de Greenwashing

à écrit le 29/10/2020 à 18:48
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Enfin quelque chose de positif: réutiliser le fer et l'acier de recyclage, j'espère aussi une petite reprise des prix d'achat des mélanges broyés dits platins pour une économie circulaire équilibrée, il y a tellement de stock de vieille ferraille un ...

à écrit le 29/10/2020 à 17:56
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bravo! mais une petite ERREUR dans l' article À Dunkerque, ArcelorMittal veut produire de l'acier "vert" Par Juliette Raynal à Dunkerque | 28/10/2020, 17:48 erreur ici: Et chaque jour 20 000 et non 200.000 tonnes d'aciers prod...

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