Climat : la France est toujours face aux « risques majeurs » de manquer ses objectifs

Afin que l'Hexagone honore ses ambitions de baisse des émissions de CO2, le Haut conseil pour le climat, qui fait référence pour évaluer l’action du gouvernement en la matière, appelle l'exécutif à un « sursaut » dans son rapport annuel. Pour montrer qu’il en a pris acte, Matignon a annoncé dans la foulée que le pays visait désormais une baisse des émissions de 50% d’ici à 2030, contre 40% auparavant. Le point sur les secteurs français les plus émetteurs.
Marine Godelier
(Crédits : Dennis Scwhartz)

Face à la crise énergétique majeure qui secoue le Vieux continent, l'action mise en place par certains pays interroge sur leur capacité réelle à atteindre les objectifs climatiques qu'ils se sont fixés. Y compris en France, où le gouvernement a récemment décidé de rouvrir une centrale à charbon, de se lancer dans la course au gaz naturel liquéfié, et de subventionner massivement les combustibles fossiles.

Cependant, toutes les nouvelles ne sont pas mauvaises : en 2021, les émissions de gaz à effet de serre de l'Hexagone ont diminué de 3,8% par rapport à 2019, pour s'établir à un niveau 23% inférieur à celui de 1990, relève le Haut conseil pour le climat dans son quatrième rapport annuel, publié mercredi 29 juin. De quoi confirmer la tendance à la baisse observée depuis 2005, malgré un rebond post-Covid prévisible (+6,4% par rapport à 2020), note l'instance consultative indépendante créée il y a trois ans par Emmanuel Macron.

Ainsi, entre 2019 et 2021, les émissions de CO2 du pays ont été « inférieures au plafond moyen du deuxième budget carbone pour 2019-2023 fixé par la SNBC [Stratégie nationale bas carbone, ndlr] », souligne sa présidente, Corinne le Quéré. Ce document, censé fixer la trajectoire pour parvenir à une réduction de 40% des émissions d'ici à 2030 par rapport à 1990, n'avait pas été respecté entre 2015 et 2018.

Seulement 6 orientations sur 25 au niveau

Mais ces progrès demeurent largement insuffisants, de sorte que des « risques majeurs persistent » de ne pas atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour 2030, poursuit la climatologue. Et pour cause, le respect du deuxième budget carbone entre 2019 et 2021 est en fait « principalement dû à l'effet du Covid », qui a considérablement ralenti l'activité économique, mais aussi à un « relèvement du plafond de ce budget lors de sa révision, en 2019 », pointe le Haut conseil pour le Climat.

Pire : seulement 6 des 25 orientations prévues parles pouvoirs publics afin de mettre en œuvre la transition vers une économie bas-carbone « bénéficient de mesures au niveau requis » pour rester dans les clous, alerte l'instance composée de 12 experts. Parmi lesquelles les niveaux de performance des bâtiments neufs, le soutien aux technologies de rupture, ou encore la production d'énergie décarbonée dans l'agriculture.

A l'inverse, les politiques de rénovation des logements, le signal-prix dans les transports ou encore l'efficacité énergétique restent « en déphasage » avec la feuille de route que s'est fixé la France, avertit le rapport.

Les objectifs doivent s'aligner avec ceux de l'Union européenne

D'autant que celle-ci reste trop peu ambitieuse au regard des objectifs récemment adoptés par l'Union européenne, selon l'instance indépendante. En effet, Bruxelles entend désormais renforcer son paquet climat pour parvenir à 55% d'émissions nettes en moins d'ici à 2030 sur le Vieux continent, ce qui « implique un doublement du rythme annuel de réduction » dans l'Hexagone, affirme Corinne le Quéré, qui appelle à un « sursaut ».

« Cela déduira pour la France un rehaussement de l'objectif, qu'on estime de -50% en 2030 par rapport à 1990 pour les émissions brutes, contre un objectif actuel de -40%, et près de -55% pour les émissions nettes [c'est-à-dire en incluant l'absorption du CO2 par les puits de carbone, comme les forêts ou les océans, ndlr] », développe la chercheuse.

Mercredi, Matignon a confirmé que la France visait ces deux nouveaux objectifs, qui devront être débattus au Parlement avant d'être adoptés. La pression est d'autant plus forte que la France est sous le coup de deux décisions de justice, du Conseil d'Etat et du tribunal administratif de Paris, lui enjoignant de prendre rapidement des mesures supplémentaires.

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Les politiques d'adaptation restent absentes

Néanmoins, se contenter de diminuer les émissions ne suffira pas. Car un grand oublié de l'action publique fait planer de nombreux risques sur l'avenir du pays : l'adaptation au changement climatique. De fait, alors que les bouleversements semblent désormais inévitables, et se font déjà ressentir chaque année à travers des événements météorologiques extrêmes, la France « manque d'objectifs stratégiques, de moyens et de suivi des politiques » en la matière, regrette le Haut conseil pour le climat. Résultat : l'adaptation est « insuffisamment évaluée », et les risques, non identifiés.

Pourtant, il faudrait investir a minima 2,3 milliards d'euros chaque année en France pour se préparer aux conséquences du dérèglement, a préconisé l'institut de l'économie pour le climat (I4CE) dans un rapport publié le 23 juin. Mais en la matière, l'action se fait attendre.

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Focus par secteur


Pour la première fois, tous les grands secteurs ont enregistré une diminution en 2021, déjà bien établie dans ceux du bâtiment, de l'industrie et de l'énergie (même si ralentie depuis 2015 pour les deux derniers), et qui « reste à confirmer » pour le transport et l'agriculture, précise Corinne le Quéré.

Dans le détail, les transports restent de loin le secteur le plus polluant, avec 31% des émissions nationales. Sur le sujet, le Haut conseil pour le climat enregistre des progrès, comme la croissance des véhicules électriques. En effet, leur part parmi les immatriculations neuves (9,8%) s'est accélérée en 2021, notamment grâce au plan de relance, aux normes européens et à la loi sur les mobilités, note l'instance. Mais le déploiement des bornes a pris du retard, et le développement des services à faibles émissions « se poursuit de manière trop hétérogène et pas assez opérationnelle », regrette-t-elle.

Du côté de l'industrie, qui représente 19% des émissions, la baisse des émissions se poursuit, mais a néanmoins ralenti depuis 2015. « Le rythme doit accélérer [...] Trop peu de financements accompagnent la transition professionnelles », notent les experts.

Quant à l'agriculture (19% des émissions également), le Haut conseil pour le climat partage ses inquiétudes quant à la future politique agricole commune (PAC) pour 2023, et sa déclinaison en France via le Plan stratégique national (PSN). « Le PSN ne suffit pas, il permettrait d'atteindre seulement la moitié des objectifs climatiques de la SNBC », précise Marion Guillou, spécialiste de l'alimentation et membre du groupe d'experts. Par ailleurs, les bonnes pratiques sur le stockage du carbone dans les sols restent « trop peu soutenues », et « devraient être harmonisées au niveau européen », ajoute-t-elle.

Pour ce qui est des bâtiments (18% des émissions), la tendance à la baisse continue d'être marquée. Et pour cause, le secteur « a largué 1,9 tonnes de CO2 en moins par rapport à ce qui est souhaitable si l'on veut respecter l'objectif européen de baisse de 55% des émissions d'ici à 2030 », avance Marion Guillou. La réglementation environnementale 2020 (RE2020), qui s'applique aux constructions neuves afin d'agir sur les émissions des bâtiment, est une « très bonne mesure », considère le rapport. Mais l'éradication des passoires thermiques reste « mal accompagnée », et les dispositifs « ne ciblent pas assez les opérations globales performantes » de rénovation, note l'ingénieure agronome.

Enfin, l'énergie (11% des émissions) fait a priori figure de bon élève, puisque c'est « le seul secteur où les émissions réalisées s'avèrent significativement inférieures au budget carbone sectoriel », précise le rapport. Mais celui-ci accuse un « manque d'approche systémique », tandis que les mesures d'efficacité et de sobriété « ne sont pas assez mobilisées », alerte Marion Guillou. Par ailleurs, le réseau électrique, actuellement en cours de modernisation, reste inadapté à l'explosion des énergies renouvelables, lesquelles ne se déploient de toute façon pas assez vite, pointe la polytechnicienne. Enfin, avertit-elle, « les investissements dans le nouveau nucléaire et dans l'hydrogène bas carbone prendront du temps à se concrétiser », et ne délivreront donc pas d'effets à court terme.

Marine Godelier

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Commentaires 4
à écrit le 30/06/2022 à 21:04
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Bonjour, Je crains que les objectifs climatique de la France ons était pris par des individus qui n'ont se pas tenus compte de la situation de la France... Maintenant, ils CV est certain que nous pouvons faire des efforts... L'installation de ferm...

à écrit le 30/06/2022 à 18:53
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Poutine en est loin aussi, alors pas de souci, il ne faut pas courroucer les Français avec ces objectifs, ce qui les intéresse c'est de boucler les fins de mois.

le 30/06/2022 à 20:11
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Pourquoi ramener le nom de Poutine ? Alors que les plus gros pollueurs sont Americain, chinois Parlez nous de notre modele allemands qui ne pollue pas... des gens qui ont des poblemes de fin de mois il y en a partout.. voyager et cotoyer les gens ...

à écrit le 30/06/2022 à 9:40
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C'est pas un hexagone pour rien... la bête a 6 cornes...

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