Un sac rempli de bouteilles en plastique à leurs pieds, deux jeunes filles les insèrent une par une dans une machine située à l'entrée du supermarché de la chaîne Coop Obs ! à Lillestrom, une petite ville au nord-est d'Oslo. Elles repartent avec un bon d'achat qu'elles pourront échanger en caisse, utiliser pour payer leurs courses et jouer à un loto dédié, ou encore donner à une ONG. Nous sommes en Norvège, où une consigne de 2 ou 3 couronnes (20 ou 30 centimes d'euro) doit être payée pour chaque canette et bouteille en plastique. Adopté par le pays scandinave à la fin des années 1990, ce dispositif a permis d'atteindre des taux de collecte très élevés : 88 % pour les bouteilles en plastique et 87 % pour les canettes l'an passé.
En France, seulement 57 % des bouteilles en plastique sont recyclées. Pas étonnant, alors, que le modèle norvégien soit cité en exemple par les partisans de la consigne. Une mesure portée par le ministère de la Transition écologique, mais critiquée par les collectivités locales et les recycleurs. Pour l'instant, le Sénat l'a limitée à la seule consigne des emballages réutilisables. En Norvège, le succès du dispositif repose sur un système complexe, mobilisant l'ensemble des parties prenantes et associant innovations législatives et technologiques.
Un petit prix, un maillage fin et une technologie de pointe
Premier secret de la recette : le montant de la consigne.
« Calculé en fonction du pouvoir d'achat local, il doit être suffisamment élevé pour induire les gens à rapporter les emballages, mais pas trop afin d'éviter de les inciter aux fraudes », analyse Michael Löwe, vice-président chargé des affaires publiques chez Tomra, entreprise norvégienne qui fabrique des machines de récupération des bouteilles.
« Cette somme doit aussi être indiquée séparément, et non taxée », ajoute-t-il. Les bons émis par les machines de déconsignation doivent être largement utilisables, et convertissables en argent ou en monnaie électronique. En revanche, « restituer directement du cash impliquerait une trop grosse contrainte technologique. Et le transférer sur une carte Visa coûterait trop cher », poursuit le responsable de Tomra.
Deuxième facteur des bons résultats : le fin maillage des points de récupération des emballages à travers le pays. Selon la loi, tous les magasins qui vendent des boissons, quelle que soit leur taille, sont en effet tenus de reprendre les canettes et les bouteilles, entières, et sans que doive être enlevé le bouchon - ce qui facilite le transport des bouteilles par les consommateurs. Les plus gros distributeurs répondent à leur obligation en installant des automates, dont la partie de stockage postérieure peut occuper plusieurs mètres carrés, mais qui assurent une économie de main-d'œuvre, chère en Norvège. « L'investissement moyen, de 20 000 euros, peut être rentabilisé en moins de sept ans », calcule Michael Löwe. Les magasins plus petits peuvent toutefois aussi scanner les emballages et restituer l'argent manuellement. Les consommateurs ont également la possibilité de restituer les bouteilles et les canettes aux livreurs de repas ou de les donner à des institutions, comme les universités. Seulement 6 % des emballages passent finalement par la déconsignation manuelle.
Autre raison du succès : la technologie, qui simplifie et sécurise le processus. Dans les automates, jusqu'à 12 caméras, associées à des capteurs de poids, permettent de déterminer rapidement si la bouteille est vide, a été consignée et est éligible au remboursement. Les données collectées sont utilisées ensuite à des fins de traçabilité.
Un dispositif coordonné par un éco-organisme
Dès que la bouteille est restituée, une logistique complexe se met en place. Les distributeurs sont tenus de stocker les emballages dans des sacs spécifiques, payants et munis d'un code-barres qui permet de les suivre. Ils peuvent en revanche mélanger bouteilles et canettes, ce qui permet d'optimiser la fréquence de remplissage et le poids. Ces sacs sont ensuite récupérés par Infinitum, la société privée à but non lucratif qui gère le dispositif, détenue à 50 % par des distributeurs et à 50 % par ceux qui mettent des emballages sur le marché, c'est-à-dire des producteurs de boissons.
Une taxe modulée selon les performances
Dans ses usines, Infinitum sépare les canettes des bouteilles, puis les compacte en d'énormes blocs cubiques, appelés balles, qu'elle revend aux recycleurs de plastique et d'aluminium. C'est elle aussi qui croise les données essentielles au fonctionnement du dispositif. Celles-ci servent en particulier à le rééquilibrer sur le plan financier entre les magasins, en fonction des montants qu'ils ont reçus pour la consigne et du nombre d'emballages qu'ils ont déconsignés.
Infinitum joue aussi un rôle de régulateur : il fixe les objectifs de collecte, définit les caractéristiques des machines de consignation, et impose même à ses membres des règles d'écoconception des emballages. Des pouvoirs qui lui confèrent une efficacité enviée par la plupart des éco-organismes du monde, et qui découlent d'un mécanisme fiscal particulier créé par la loi, véritable clé de la réussite du système de consigne norvégien. « Le législateur laisse les fabricants libres d'adhérer au système de consigne ou à celui de recyclage traditionnel, dénommé Green Dot. Mais la taxe environnementale qu'ils doivent payer à l'État pour chaque emballage est réduite du même nombre de points que le taux de collecte atteint : de 75 % si ce taux est de 75 % », explique le directeur général d'Infinitum, Kjell Olav A. Maldum. Lorsqu'on dépasse le taux de collecte de 95 %, une exemption totale de la taxe est appliquée. Les industriels sont ainsi incités à adhérer au système de consigne, plus efficace, à se soumettre à ses règles et à œuvrer afin d'accroître ses performances, note le directeur d'Infinitum. Il admet toutefois que cette recherche de réduction des coûts est la raison de l'abandon en 2012 de la consigne des bouteilles réutilisables, qui pourtant existait depuis 1900.
Rapatrier le recyclage
L'éco-organisme est tellement convaincu des vertus d'une telle réduction fiscale qu'il presse aujourd'hui le gouvernement d'adopter un système analogue afin d'encourager l'incorporation de plastique recyclé.
« Grâce à la quantité, à la traçabilité et à la qualité du plastique collecté aujourd'hui en Norvège, il serait possible de fabriquer des bouteilles constituées à 80 % de plastique recyclé, qui pourrait être recyclé encore cinq fois », estime Kjell Olav A. Maldum.
Réduire la taxe environnementale en fonction des taux de plastique recyclé incorporé pourrait même inciter les industriels à la création d'une usine de fabrication du plastique en Norvège, plaide-t-il.
Avec cet objectif en ligne de mire, l'urgence est, néanmoins, d'abord de rapatrier en Norvège le recyclage des bouteilles en plastique collectées, dont 18 000 tonnes sont aujourd'hui envoyées chaque année en Suède et en Allemagne. Infinitum est déjà en train de construire à côté de ses locaux cette usine, qui travaillera en « circuit ultracourt » et sera gérée par Veolia.
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