Le ton est alarmiste, bien plus que lors du précédent rapport de 2014 : pénurie d'eau, exode, malnutrition, extinction d'espèces, « le pire est à venir » pour l'humanité, alerte le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) dans un résumé technique que l'Agence France-Presse a pu consulter. Car si « la vie sur Terre peut se remettre d'un changement climatique majeur en évoluant vers de nouvelles espèces et en créant de nouveaux écosystèmes, l'humanité ne le peut pas », estiment les experts climat de l'ONU.
Dans ce document de 137 pages, ceux-ci dressent un tableau bien sombre, apocalyptique même, du destin des hommes : quel que soit le rythme de réduction des émissions de gaz à effets de serre, les impacts dévastateurs du réchauffement sur la nature et l'humanité qui en dépend vont s'accélérer, et devenir douloureusement palpables bien avant 2050, affirment-ils. Résultat : la vie sur Terre telle que nous la connaissons sera inéluctablement transformée quand les enfants nés en 2021 auront trente ans, voire plus tôt.
Car le train est déjà en route, et s'élance à toute vitesse : alors que la hausse des températures moyennes depuis le milieu du 19ème siècle atteint 1,1°C, les effets seront de plus en plus violents. Et ce donc, même si les émissions de CO2 sont freinées.
Ne pas dépasser +1,5°C
Les experts ne se veulent cependant pas fatalistes : des mesures immédiates et drastiques pourraient encore changer la donne et limiter l'emballement, font-ils valoir. Mais elles impliquent de revoir l'objectif d'abaissement du seuil au-delà duquel le réchauffement peut être considéré comme acceptable. Car si les signataires de l'accord de Paris se sont engagés à limiter la température à +2°C par rapport à l'ère préindustrielle, et si possible 1,5°C, cette dernière possibilité ne devrait en fait pas être dépassée, selon les scientifiques. Faute de quoi « des conséquences graves » suivraient, « pendant des siècles, et parfois irréversibles ».
Les pronostics sont pourtant mauvais : selon l'Organisation météorologique mondiale, la probabilité que ce seuil de +1,5°C sur une année soit dépassé dès 2025 est déjà de 40%.
80 millions de personnes dans la famine
Dans ce cas de figure, 350 millions d'habitants supplémentaires seront confrontés aux pénuries d'eau dans les villes, et 400 millions à +2°C. Et avec ce demi degré supplémentaire, 420 millions de personnes de plus se trouveront exposés à des canicules extrêmes. Sans compter les vagues de submersion plus fréquentes, qui menaceront en 2050 des centaines de millions d'habitants de villes côtières, du fait de la hausse du niveau de la mer - entraînant à son tour des migrations importantes.
Des effets qui frapperaient en cascade : certaines régions (est du Brésil, Asie du Sud-Est, Chine centrale) et presque toutes les zones côtières pourraient être touchées par trois ou quatre catastrophes météo simultanées, voire plus, comme la canicule, la sécheresse, les cyclones, les incendies, les inondations ou encore les maladies transportées par les moustiques.
Surtout, même en limitant la hausse à 2°C, « jusqu'à 80 millions de personnes supplémentaires auront faim d'ici à 2050, et 130 millions pourraient tomber dans la pauvreté extrême d'ici dix ans », alerte le résumé. En cause : des pertes soudaines dans « tous les systèmes de production alimentaire » : agriculture, élevage, pêche ou aquaculture, rien ne sera épargné.
Et les êtres humains ne seront pas les seuls touchés : pour certains animaux et variétés de plantes, il est peut-être même déjà trop tard, note le GIEC, comme pour les récifs coralliens, qui servent d'abris à plusieurs espèces et leur fournissent protection et nourriture.
« Même à +1,5°C, les conditions de vie vont changer au-delà de la capacité de certains organismes à s'adapter », souligne le rapport.
Parmi les espèces en sursis, les scientifiques citent également les animaux de l'Arctique, territoire qui se réchauffe trois fois plus vite que la moyenne. Sur place, des modes de vie ancestraux, de peuples vivant en lien étroit avec la glace pourraient également disparaître.
Point de non retour
Pour freiner ce processus funeste, « chaque fraction d'un degré compte », avancent les experts du GIEC. Car en plus de ces bouleversements, une incertitude plane, et pas des moindres : le niveau de déclenchement de « points de bascule » - des éléments clés dont la modification substantielle pourrait entraîner le système climatique vers un changement violent et irrémédiable.
Par exemple, au-delà de +2°C, la fonte des calottes glaciaires du Groenland et de l'Antarctique de l'Ouest - qui contiennent assez d'eau pour provoquer une hausse du niveau de la mer de 13 mètres - pourraient entraîner un point de non retour, selon de récents travaux. Autre point de rupture possible : la transformation de la forêt amazonienne, l'un des poumons de la planète, en savane.
Redéfinir notre mode de vie
Mais tout espoir n'est pas perdu : face à cette catastrophe annoncée, l'humanité peut encore orienter sa destinée vers un avenir meilleur, en prenant aujourd'hui des mesures fortes pour freiner l'emballement de la deuxième moitié du siècle, affirme le GIEC, qui se donne pour mission d'orienter les politiques en matière climatique.
« Nous avons besoin d'une transformation radicale des processus et des comportements à tous les niveaux: individus, communautés, entreprises, institutions et gouvernements [...] Nous devons redéfinir notre mode de vie et de consommation », plaide le rapport.
Par exemple, la conservation et la restauration des mangroves et des forêts sous-marines des algues laminariales, qualifiées de puits de « carbone bleu », accroissent le stockage du carbone, mais protègent aussi contre les submersions, tout en fournissant un habitat à de nombreuses espèces et de la nourriture aux populations côtières.
Publication en 2022
Ces 137 pages ne restent cependant qu'un aperçu : le rapport du GIEC de 4.000 pages ne devrait être officiellement publié qu'en février 2022, après son approbation par consensus par les 195 Etats membres de l'ONU. Si les principales conclusions ne devraient pas changer, ce sera trop tard pour plusieurs réunions internationales cruciales sur le climat et la biodiversité, prévues fin 2021.
(Avec AFP)
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