La finance verte, ses promesses et ses défis

PRISE DIRECTE. Leviers clés pour accélérer la transition écologique des villes, les outils financiers tels que les « green bonds » sont en plein essor. Les avancées qu'ils permettent, mais aussi leurs limites, ont été débattues au Forum Zéro Carbone, organisé par La Tribune, en présence de Paul Simondon, adjoint à la Mairie de Paris chargé des finances, du budget et de la finance verte, Vincent Gaillard, directeur des finances de La Société du Grand Paris, Serge Bayard, directeur des entreprises et du développement des territoires de La Banque postale, Laurence Pessez, directrice RSE chez BNP Paribas et Lucie Pinson, fondatrice de l'ONG Reclaim Finance.

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L'engouement pour les obligations vertes connaît un essor sans précédent : le marché mondial des titres émis pour financer des projets liés à l'environnement n'a cessé de croître, de 10 milliards de dollars en 2013 à 200 milliards l'an dernier. Et parmi les émetteurs, les collectivités locales sont de plus en plus nombreuses. La Ville de Paris a ainsi émis sa première obligation verte à la veille de la Cop21, suivie récemment par deux autres opérations. « Nous sommes à un total de 230 millions d'euros d'encours pour ces trois émissions sur une dette totale de 6,5 milliards d'euros », a indiqué Paul Simondon, adjoint à la Mairie de Paris chargé des finances, du budget et de la finance verte. L'outil garantit aux investisseurs « que les projets financés grâce à ces obligations remplissent un certain nombre de critères en termes d'impact environnemental et de solidarité. Nous leur devons ensuite un reporting sur ces projets », précise-t-il.

Quatrième émettrice d'obligations vertes au niveau mondial, la Société du Grand Paris (SGP) a quant à elle fait le choix de financer exclusivement par ces instruments la construction du nouveau métro automatique, qui devrait éviter l'émission de « 25 à 51 millions de tonnes de CO2 à horizon 2070 », d'après Vincent Gaillard, directeur des finances de La Société du Grand Paris. La SGP a levé au total 16 milliards d'euros auprès des investisseurs. « Nous avons sécurisé 50 % du financement du Grand Paris Express dans de très bonnes conditions : un taux d'intérêt moyen inférieur à 1 % et une moyenne de maturités de 28 ans », a affirmé ce responsable.

Un impact écologique encore incertain

Mais si les obligations vertes ont le vent en poupe, sont-elles pour autant réellement... vertes ? « Aucunement », répond Lucie Pinson, fondatrice et directrice générale de l'ONG Reclaim Finance. « Il faut rappeler qu'il n'y a pas d'encadrement légal et contraignant des obligations vertes. La formalisation ou l'alignement des pratiques se fait donc sur une base volontaire, via des standards comme Green Bond Principles ou Climate Bond Standards, ces derniers étant plus contraignants que les premiers ». Autre écueil, « l'impact sur le monde réel en termes de transformation et d'accélération de la transition écologique n'est pas prouvé ».

Enfin, « l'obligation verte n'est liée qu'à la qualité des projets financés », poursuit Lucie Pinson. « Même lorsqu'il y a des projets verts de qualité et impactants, cela n'implique pas automatiquement une démarche de transition de la part de l'émetteur. Ainsi, des entreprises peuvent émettre potentiellement lundi une obligation verte, mais poursuivre un modèle de développement très émetteur et moteur du dérèglement climatique le reste de la semaine... », juge-t-elle. Signe d'évolution, toutefois, certains poids lourds de la gestion d'actifs, comme Amundi, ont récemment menacé de se défaire d'obligations vertes pour infléchir les comportements des émetteurs. Dans le cas d'Amundi, il s'agit d'une obligation émise par une banque indienne, qui, en parallèle, finance également un projet controversé de mine de charbon en Australie.

Prêts verts pour les petites collectivités

Autre limite des obligations vertes, si les grandes métropoles y ont accès pour se financer, ce n'est pas le cas des petites communes. Face à ce constat, la Banque postale a lancé des prêts verts en direction des collectivités. « Nous avons pris la décision de démocratiser ce marché en émettant des green bonds et en les transformant en prêts verts. Une alchimie bancaire qui permet d'intervenir sur des petits projets », a expliqué Serge Bayard, directeur des entreprises et du développement des territoires de La Banque postale qui, depuis 2019, a distribué 800 millions d'euros de prêts verts. Parmi les projets financés, un réseau d'eau en Ardèche, des programmes de bus ou de tramway, ainsi que d'assainissement des eaux. « Nos objectifs pour 2021 s'élèvent à 1 milliard d'euros de financement », précise Serge Bayard. Mais encore faut-il trouver des projets à soutenir...

Crédits à impact pour financer la transition

Acteur phare du marché des obligations vertes, BNP Paribas est également leader sur le compartiment crédit à impact. « Les taux d'intérêt sont corrélés à l'atteinte d'objectifs non financiers, tels que la réduction des émissions de CO2. Cela concerne tout type d'entreprise à partir du moment où elle est engagée dans un vrai projet de transformation et où les critères fixés sont suffisamment ambitieux pour qu'ils aient un véritable impact », explique Laurence Pessez, directrice RSE chez BNP Paribas. Ces outils, selon elle, intéressent en particulier les secteurs fortement émetteurs de CO2, dont ceux de l'énergie, du transport, du ciment, de l'acier... Et si, jusqu'à présent, la banque s'adressait essentiellement aux grandes entreprises, « le produit commence à être simplifié pour s'adresser désormais à des ETI », indique-t-elle.

Des chantiers pour accélérer

Les collectivités elles aussi innovent pour financer l'accélération de la transition écologique. A l'instar de la Ville de Paris, qui a lancé Paris Fonds Vert en 2018. « Paris a créé ce fonds avec un investissement total de 160 millions d'euros. Un tiers a déjà été investi », note Paul Simondon. L'objectif de Paris Fonds Vert, géré par Demeter ? « Que la Ville, avec les grands investisseurs publics et privés, aide des entreprises innovantes dont les solutions auront un impact en matière de transition écologique sur le territoire parisien ou dans la région », dit-il. Amélioration de la gestion des déchets, installation de panneaux solaires dans un contexte urbain... font partie des domaines dans lesquels le fonds investit.

Parmi les chantiers à venir, celui de l'impact sur la biodiversité commence déjà à être exploré. BNP Paribas, entre autres, veut servir de levier dans ce domaine. « Nous demandons à nos clients de prendre rapidement des engagements », assure ainsi Laurence Pessez. Une tâche qui s'annonce difficile, puisque « contrairement au CO2, il n'y a pas d'indicateur unique. Il reste à les travailler », ajoute-t-elle.

Autant de pistes, en tout cas, pour accélérer le combat environnemental et renforcer la Place de Paris comme capitale de la finance verte. La bataille est encore loin d'être gagnée : « Aujourd'hui, la Place financière continue de soutenir les acteurs qui augmentent leur production d'hydrocarbures et développent de nouveaux projets dans le secteur pétrolier et gazier », regrette ainsi Lucie Pinson. Reste que, depuis cinq ans, du chemin a été parcouru : « Il y a une vraie prise de conscience, en tout cas pour le secteur de l'énergie, des différents outils dont les institutions financières peuvent se saisir pour infléchir le comportement de leurs clients », admet-elle. En somme, depuis la COP 21, la volonté est là. Les outils sont disponibles. Charge aux émetteurs et aux investisseurs de s'en emparer toujours plus.

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Commentaire 1
à écrit le 19/01/2021 à 8:20
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"mais aussi leurs limites" Pas étonnant, suffit de laisser parler les politiciens pour qu'avant même de commencer ils pensent à arrêter. Vu la tête de filou qu'il a le gars hein... -_-

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