Au fur et à mesure que la campagne présidentielle avance, les débats s'enflamment sur l'avenir énergétique du pays. Car le temps des décisions presse si la France veut effectivement atteindre la neutralité carbone d'ici à la moitié du siècle, comme elle s'y est engagée en 2019. Résultat : tandis qu'Emmanuel Macron a ouvert la voie à une relance de l'atome lors de son allocution télévisée du 9 novembre, les partisans des renouvelables et du nucléaire s'écharpent sur l'impact des différentes technologies bas carbone existantes. Et intègrent une composante majeure dans l'équation : celle de leur coût.
Résolument anti-nucléaire, le candidat EELV, Yannick Jadot, répète ainsi à l'envi que l'électricité provenant de la fission est « beaucoup plus chère que celle issue des énergies renouvelables ». Quant à Jean-Luc Mélenchon (LFI), il dénonce régulièrement le coût de « 150 milliards d'euros » du « grand carénage », le plan d'EDF pour prolonger et assurer la sécurité des centrales.
Mais le gestionnaire du réseau électrique RTE semble affirmer le contraire. Parmi ses six scénarios prospectifs publiés en octobre « Futurs Energétiques 2050 », le plus compétitif serait en fait celui qui intègre le plus de nucléaire. Autrement dit, dans la grande majorité des configurations étudiées, un scénario de lancement rapide de nouveaux réacteurs (en plus des renouvelables) serait moins coûteux qu'une trajectoire de sortie du nucléaire avec un développement massif du solaire et de l'éolien. Cet écart s'élèverait même à près de dix milliards d'euros par an, selon les indicateurs de référence.
Un gain de compétitivité des énergies renouvelables
Et pourtant, les coûts du nouveau nucléaire resteraient globalement plus élevés que ceux des énergies renouvelables en 2050, avance RTE. Dans le détail, « à coût du capital identique », les premiers seraient compris (hors raccordement) entre 60 et 85 €/MWh, contre 30 à 45 €/MWh pour les seconds. En effet, en même temps que l'explosion des coûts des EPR, ceux du solaire photovoltaïque ont déjà diminué de 85% en dix ans, selon l'IRENA (Agence internationale pour les énergies renouvelables), et « il y a un consensus sur le fait que la baisse va se poursuivre », précise Thomas Veyrenc, directeur exécutif en charge de la stratégie, de la prospective et de l'évaluation de RTE.
« Les nouvelles technologies des panneaux, notamment le polysilicium, consommeront moins de matières premières, avec un meilleur rendement. Il faut y ajouter un effet d'échelle lié à la massification à l'échelle mondiale », ajoute-t-il.
Les coûts de l'éolien, à la fois terrestre et posé en mer, devraient également fléchir. La tendance est déjà marquée : alors que les premiers parcs offshore attribués au début des années 2010 atteignaient 130 à 150 euros le MWh, ce nombre a chuté à 44 euros / MWh pour l'appel d'offre du projet de Dunkerque, dont la mise en service est prévue dès 2026.
Coûts complets du système
Un constat qui donne a priori raison à Yannick Jadot, et que le candidat met d'ailleurs en avant. Mais pour RTE, celui-ci « ne suffit pas pour conclure sur la pertinence économique » d'un choix de production tout renouvelables. Car le calcul se base notamment sur le LCOE (« coût actualisé de l'énergie produite »), un indicateur de la banque Lazard largement utilisé, mais qui n'intègre en fait pas les coûts du système associés à chaque technologie. « Cela revient à calculer le prix d'un panneau solaire isolé. Or, il s'adapte en fonction de la présence d'autres moyens », note Thomas Veyrenc.
« Dès janvier, nous montrions dans un rapport commun avec l'Agence internationale de l'énergie (AIE) que le LCOE est intéressant mais insuffisant. En effet, il n'intègre ni les coûts liés au besoin de flexibilité, comme les batteries, le stockage hydraulique, ou encore la boucle hydrogène. Ni ceux induits par le réseau de transport et de distribution, qu'il faudra adapter si l'on change de modèle de production », développe-t-il.
Pour combler ces lacunes, RTE affirme avoir examiné les « coûts complets du système » pour chacun des scénarios, dans une analyse « bottom-up » incluant la chaîne de production, de flexibilité et de réseau, et en tenant compte des taux de charge.
Le prix de l'intermittence
Et ces coûts additionnels seront « plus importants dans les scénarios avec une très forte part en énergies renouvelables ». Premièrement parce que ces dernières produisent de façon intermittente, et que la France ne dispose pas encore de solution compétitive de stockage de l'électricité sur le long cours. Résultat : plus leur part sera élevée, plus les besoins en centrales thermiques pour assurer l'équilibre entre l'offre et la demande en période d'intermittence seront grands. Dans l'idéal, celles-ci finiraient par tourner au gaz « vert » plutôt que fossile, mais le coût de cette solution « pourrait être bien plus élevé » que le gaz naturel dont on dispose aujourd'hui, précise Thomas Veyrenc.
« Il y a beaucoup d'incertitudes sur l'évolution de ce coût, selon qu'on considère qu'on transformera l'électricité et l'eau en hydrogène à partir d'électrolyseurs situés en France, ou via des importations et un super système interconnecté en Europe. Ou encore, selon qu'on utilisera plutôt du biogaz ou du méthane de synthèse », explique Olivier Houvenagel, directeur adjoint de l'économie des systèmes électriques RTE.
Sur le stockage des électrons pour étaler la consommation, RTE a retenu une division par deux des coûts des batteries à horizon 2050. Mais ce chiffre reste très incertain : si leur prix a baissé ces dernières années avec le passage à l'échelle, et continuera de diminuer, la demande très forte en matériaux critiques (cobalt, lithium) « pourrait entraîner une tension sur l'approvisionnement, donc un renchérissement », avance Olivier Houvenagel. A l'inverse, RTE intègre dans son modèle la possibilité d'un fort progrès technique, voire d'une rupture technologique, qui améliorerait grandement les rendements et ferait baisser les coûts.
De la même manière les besoins en réseau seront « significativement plus élevés » dans les scénarios à forte part en énergie renouvelable, ajoute RTE. En cause, notamment, le raccordement des parcs éoliens en mer, qui deviendrait « l'une des principales composantes des coûts du réseau », mais aussi celui des panneaux photovoltaïques et des éoliennes terrestres.
Les scénarios avec nucléaire, plus compétitifs
C'est donc en intégrant l'ensemble de ces coûts de flexibilité et de réseau que RTE arrive à la conclusion que les coûts sont « globalement inférieurs » dans les scénarios de construction de nouveaux réacteurs nucléaires. Et ce, même si la facture des EPR2 restait aussi élevée que celle de l'EPR de Flamanville (environ 12 millions d'euros), ce qui ne devrait pas arriver du fait de l'effet de série et des économies d'échelle. Et dans toutes les configurations, RTE assure avoir pris en compte l'ensemble des composantes de coûts sur tout le cycle de vie des centrales, de l'exploitation à la gestion à long terme des déchets, en passant par la maintenance et le démantèlement.
« Pour les coûts liés à l'aval, on a retenu à chaque fois l'hypothèse la plus pessimiste possible, afin de ne pas sous-estimer des postes de dépenses, car c'est un point de débat. Et ce, en recueillant des données auprès des opérateurs concernés, et en réalisant des analyses de sensibilité », précise Olivier Houvenagel.
Reste que, dans toutes les configurations, le coût complet du système électrique, aujourd'hui de 45 milliards d'euros par an, devrait grimper entre 60 et 80 milliards d'euros, du fait du changement de modèle et de l'électrification des usages. Et selon le régime de soutien des pouvoirs publics français au nouveau nucléaire, ou européen via la taxonomie verte, les tarifs de production pourraient varier.
Mais la compétitivité économique n'est pas le seul critère qui doit aiguiller la prise de décision, rappelle Thomas Veyrenc. Car alors que les six scénarios présentent tous des voies possibles vers la neutralité carbone (même s'ils impliquent des paris technologiques et de faisabilité), le choix final de la sortie ou non du nucléaire sera, in fine, d'ordre politique. Et promet d'engendrer encore de longs débats.
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