Demain, un luxe 100 % chinois ?

Shang Xia chez Hermès, Yue-Sai chez L'Oréal... de plus en plus de groupes de luxe ne se contentent plus de s'intéresser aux consommateurs chinois mais regardent aussi de près leurs marques.

Depuis quelques années, l'ouverture d'une boutique de luxe en Chine est devenue presque aussi anodine que celle d'un McDonald. "Les marques y vont tellement toutes à fond la caisse qu'on doit leur conseiller de ralentir", confie Jean-Marc Bellaïche, responsable du luxe au Boston Consulting Group. Pourtant il est une inauguration que tout le monde attend encore avec la plus grande curiosité : celle de Shang Xia, prévue pour septembre à Shanghai. Créée de toutes pièces par Hermès, cette marque de luxe sera la première 100% "made in" ou plutôt "design by and for China". "Une belle mission !", s'exclame Charles de Brabant, associé au cabinet de chasseur de tête de Floriane de St Pierre et professeur en marketing de luxe à Shanghai. "Shang Xia a pour vocation la création, la fabrication et la diffusion d'objets mettant en ?uvre des matières premières et des savoir-faire artisanaux chinois d'excellence", explique-t-on chez Hermès. Dirigée par une célèbre designer chinoise, Qiong Er Jiang, elle proposera du mobilier, des objets, des vêtements et des accessoires. Mais inutile d'en demander plus. Hermès préfère ne pas donner d'idée à ses concurrents.

Comme la maison du 24 Faubourg, L'Oréal a conscience de jouer les pionniers avec sa marque locale Yue Sai. Rachetée en 2004 à Yue Sai Kan, une star de la télévision locale, cette marque de crèmes et de maquillage est en pleine phase de mutation dans les laboratoires du groupe à Pudong. "Nous la sinisons en y ajoutant des ingrédients comme le ginseng ou le champignon revitalisant ganoderma, tout en lui apportant les dernières technologies occidentales", explique Didier Saint-Léger, directeur du centre de Pudong. Objectif : la faire monter dans l'univers du luxe (son prix est encore 40% inférieur à celui d'un Lancôme) pour ensuite l'internationaliser. "Nous plaçons nos pions en attendant que les mentalités changent", continue le directeur de la R&D. Bien joué. Elles changent à vitesse accélérée.

La Chine est en train de battre des records de croissance dans le luxe. Selon la banque HSBC, elle contribuera à hauteur de 35% à la croissance du secteur en 2010, alors que le marché mondial a reculé de 10% en 2009 et devrait croître de seulement 4% cette année. "Les Chinois sont devenus notre première clientèle dans le monde et le pays dépassera bientôt le Japon comme premier marché", déclare-t-on en c?ur chez Gucci et Louis Vuitton. Car, non content de dépenser 8,6 milliards de dollars en crèmes Chanel, sacs Vuitton et autres montres Rolex dans leur pays, les Chinois en achètent 11, 6 milliards supplémentaires à l'extérieur, là où, comme à Hong-Kong, les taxes sont 20% moins chères. Selon Waldemar Jap, partner au BCG en Chine, les 14 millions de Chinois ayant un revenu supérieur à 100.000 dollars, et donc clients potentiels du luxe, deviendront 65 millions en 2020. Et les 34 millions disposant d'un revenu compris entre 60.000 et 100.000 yuans sont déjà capables de sacrifier 20% d'un salaire mensuel dans une crème Lancôme.

Certes, pour le moment, ces nouveaux entrants associent encore étroitement luxe et grandes marques occidentales. Mais la fierté nationale ne cesse de se renforcer chez la nouvelle génération des trentenaires, qui n'a connue son pays qu'après l'ouverture décidée par Deng Xiaoping en 1979. "Cette fierté s'est accéléré avec les jeux olympiques en 2008, puis le tremblement de terre du Sichuan, qui a soudé le pays autour d'une catastrophe, enfin l'Expo universelle de 2010", explique Charles de Brabant. "Nous sommes passés de 40% de consommateurs chinois et 60% d'occidentaux à une situation inverse après les jeux olympiques", confirme Raphaël Le Masne de Chermont, président de Shanghai Tang, l'une des premières marques de luxe à connotation chinoise, rachetée par le groupe Richemont en 1997. Le haut de la pyramide des consommateurs commence donc à se sophistiquer et s'éloigne du luxe "bling bling" pour s'intéresser à sa propre culture. D'autant plus que les modèles Américains et même Européens ont été battus en brèche par la crise, alors qu'elle a effleuré la Chine.

Dans ce contexte, se rapprocher d'un luxe "made in and by" China devient-il pertinent ? Au-delà d'Hermès ou de L'Oréal, de plus en plus de groupes le pensent. Selon nos sources, PPR regarderait activement du côté des pays émergents comme la Chine ou le Brésil pour ses prochaines acquisitions. LVMH, qui avait pourtant suivi ce même schéma de développement local en rachetant Donna Karan et Marc Jacobs aux Etats-Unis, semble plus réservé. Pourtant, selon les observateurs extérieurs, le choix d'Hermès de se développer en Chine via une marque indépendante présente de nombreux avantages. A commencer par celui de toucher une cible plus large de consommateurs qui ne pourront pas se payer du Hermès avant longtemps.

"Selon toute vraisemblance, l'offre sera un peu plus accessible", avance Xavier Legentil, partner chez RISC International. "Faire du made in China de qualité n'est plus une insulte, estime Jean-Marc Bellaïche, et permet de tester l'appétence des étrangers pour une marque de luxe chinoise". Enfin, mettre en avant les 2000 ans d'histoire de l'artisanat chinois offre le double avantage de flatter les consommateurs locaux et de gagner la confiance du gouvernement. Mais attention à ne pas tout mélanger. "Les deux marques doivent rester bien séparées, histoire de ne pas perdre en image ce que l'on gagnera en coût de revient", prévient un concurrent.

D'ordre général, le choix de se lancer en Chine dépend beaucoup du secteur. Avec l'ameublement, Shang Xia touchera un créneau largement sous exploité et en plein boom. "Nous observons un vrai retour des élites vers les meubles de style chinois", explique Xavier Legentil. La cosmétique ou encore les spiritueux sont aussi très porteurs. LVMH possède d'ailleurs un Baiju (alcool de riz) haut de gamme : Wen Jun. Enfin, la joaillerie made in China est aussi très courue.

Des marques comme Qeelin ou Chow Tai Fook répondent bien mieux aux symboles plébiscités par les Chinois, comme le huit, le panda ou le poisson, que les Cartier ou Van Cleef. En matière de mode, de maroquinerie ou d'horlogerie, les marques européennes disposent d'une avance qui sera plus difficile à rattraper. Mais les Chinois pourraient avoir une méthode bien plus simple pour palier leur retard en rachetant eux-mêmes des marques de luxe occidentales. Après les vignobles dans le Bordelais ou les stylos Omas acquis auprès de LVMH en 2007, ils pourraient passer à la vitesse supérieure. "La Chine est un pays qui a attendu son heure en matière de luxe, maintenant, on y est !", conclue Xavier Legentil.

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