"Demain, 20 à 30% de la recherche privée se fera avec le public"

André Syrota, PDG de l'Inserm et futur patron de l'Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé, baptisée Aviesan, détaille ses ambitions.

Le président de la république a porté la recherche biomédicale au rang de priorité nationale, tout en en soulignant les faiblesses. La France est-elle si mal placée ?

Je ne crois pas. En réalité, cela provenait peut-être d?une mauvaise interprétation des données disponibles, depuis rectifiée. On dispose d?un indice d?impact qui tient compte des citations des chercheurs dans les publications scientifiques internationales à comité de lecture et qui constitue la référence au niveau international. Lorsqu?il est supérieur à 1, cet indice atteste d?une recherche supérieure à la moyenne mondiale. Les résultats de l?Inserm (1,45), du CNRS (1,35), de l?Institut Pasteur (2,13), ou du CEA (1,29) démontrent de façon incontestable la qualité de la recherche française dans les sciences de la vie et de la santé. Mais si l?on intègre les résultats des universités, l?indice tombe à 0,96. On a peut-être eu tendance à inciter les jeunes à publier beaucoup, même dans des revues dont l?indice d?impact est mauvais, en leur faisant valoir que, la quantité comptait plus que la qualité. Par ailleurs, cette année, les derniers résultats de l?appel d?offres de "l?European Research Council" montrent que la France arrive en tête de l?ensemble des pays européens, devant l?Allemagne et le Royaume-Uni.

Certains médecins se plaignent que les unités de recherche clinique des CHU, non labellisées, souffrent d?un manque de reconnaissance par rapport aux laboratoires Inserm ou CNRS. A tort ?
La recherche clinique jouit d?une renommée internationale. Le modèle français des centres d?investigation cliniques, qui réunissent des chercheurs, des cliniciens, des hospitalo-universitaires, est envié dans le monde entier, notamment en Chine et en Inde. Sans doute n?existe-t-il pas encore assez d?interactions entre études cliniques et recherche fondamentale. C?est l?une des raisons de la création en avril dernier de l?Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé, qui réunit les huit principaux acteurs de la recherche en sciences de la vie (Inserm, CNRS, Inra, Inria, Institut Pasteur, CEA, IRD, Conférence des présidents d?université) à laquelle vient de s?ajouter récemment la conférence des directeurs généraux de CHU. Nous venons de la baptiser Aviesan.

A quels besoins répond cette alliance ?
La recherche française a beau être excellente, elle est cependant en compétition avec le reste du monde. De nombreux pays européens (Royaume-Uni, Allemagne, Suisse, Suède, Pays-Bas?) conduisent d?ailleurs des réflexions sur la façon d?améliorer leur recherche dans le domaine des sciences de la vie et de la santé. Or en France, face à la multiplicité des acteurs et à la tendance à créer une nouvelle agence pour chaque nouvelle maladie? il nous est apparu important de simplifier et de coordonner ce système, sans pour autant modifier l?organisation de chacune des entités membres de l?Alliance. Tout l?enjeu consiste à pouvoir mieux travailler ensemble.

Comment fonctionnera l?Alliance ?
L?idée consiste à cesser de multiplier les interlocuteurs. Actuellement, lorsqu?un chercheur est évalué, il doit remplir son rapport en deux à quatre exemplaires pour les différentes entités avec lesquelles il travaille ! Ce ne sera plus le cas. Cette simplification s?appliquera également à la gestion des unités mixtes hébergées par les universités, avec des mandats de gestion unique des laboratoires. De la même manière, toujours dans le cadre du renforcement de cette coordination, nous avons réuni en un même programme les actions de soutien aux jeunes chercheurs de l?Inserm et du CNRS. Nous devons également harmoniser nos modes de recrutement, afin d?identifier plus rapidement les meilleurs experts dans chaque domaine. Même chose avec l?université : pour les chaires d?excellence, nouvellement créées, les jurys sont paritaires entre les organismes et l?université.

Qui pilotera l?Alliance ?
Je souhaite que tout soit fixé dans les prochaines semaines. La gouvernance devrait être resserrée et le président-directeur général de l?Inserm a reçu mandat de présider l?Alliance.

Pour la première fois, vous venez d?élaborer un plan stratégique. Quelles en sont les grandes lignes ?
A la différence du contrat d?objectifs et de moyens que nous signerons en 2010 avec l?Etat et qui sera spécifique à l?Inserm, le plan stratégique s?inscrit comme une réflexion sur l?effort que devra porter la France dans le domaine des sciences de la vie et de la santé. Elaboré grâce aux contributions des instituts thématiques multi organismes de l?Alliance, ce plan est cours de finalisation. Il a fait l?objet d?une large consultation et doit être présenté au conseil d?administration début décembre. Sur le fond, ce plan n?est pas une programmation. N?oublions jamais que la recherche est faite de hasards. Mais il nous faut néanmoins dégager un certain nombre de grandes lignes directrices.
Parmi celles-ci, la première consiste à explorer toutes les bases du vivant, et à disposer d?une recherche fondamentale très forte. Le second axe vise à intégrer la pluridisciplinarité : les sciences de la vie ne sont pas seulement de la biologie, mais également désormais de la physique, de la chimie, des mathématiques, et de plus en plus d?informatique (avec l?utilisation de supercalculateurs pour l?analyse des génomes?). La troisième ligne de force vise à repenser des concepts et des pratiques que l?on disait "classiques". Par exemple, il nous faut maintenant des techniciens, des ingénieurs de très haut niveau pour faire fonctionner les plates-formes de biologie. On cherche également à substituer des techniques à l?utilisation des animaux. Toujours au regard de cette préoccupation, il s?agira d?amplifier l?étude de spécialités comme l?anatomopathologie, la toxicologie ou la pharmacologie. En matière de recherche clinique, on assistera à une montée en puissance des cohortes [Ndlr : ensemble d?individus ayant vécu un événement semblable au cours d'une période donnée] de malades ou de sujets sains qui ne peuvent désormais se concevoir qu?à l?échelle européeenne. Cette dimension européenne est déterminante pour la plupart des enjeux qui sont au c?ur de notre réflexion, qu?il s?agisse de l?accès aux biobanques ou des grandes infrastructures de recherche, comme le programme ESFRI, auquel nous participons intensément.
Le plan stratégique doit tenir compte enfin des nouveaux défis auxquels nous sommes confrontés en matière de santé : vieillissement de la population et accroissement des maladies neurodégénératives (la France est à l?origine de l?initiative de programmation conjointe européenne sur la maladie d?Alzheimer), passage à la chronicité de maladies aiguës, incidence croissante de maladies non transmissibles et impact négatif sur la santé des facteurs de l?environnement. Enfin, se posent aussi les questions de la réémergence des maladies infectieuses, de la prise en charge des maladies rares, du développement de la médecine personnalisée, de l?efficience et de l?équité de notre système de santé puisque l?accélération des innovations médicales accroît les besoins de régulation. Tout cela nécessite une recherche très fondamentale, seule susceptible de déboucher sur des innovations et une amélioration de la santé de nos concitoyens. C?est aussi à ces objectifs que doit répondre l?Alliance.

L?enseignement supérieur et la recherche sont la première des priorités du grand emprunt avec à la clef, plus de 10 milliards d?euros. Est-ce suffisant ?
C?est extrêmement utile et immédiat. Mais en comparaison, aux Etats-Unis, le plan de relance du président Obama a octroyé 10,5 milliards de dollars supplémentaires rien que pour les NIH (National Institutes of Health, dont le budget annuel était déjà de 30 milliards de dollars) Pourquoi un tel investissement ? Il est démontré que, lorsque l?on investit dans les sciences de la vie et de la santé, le retour sur investissement est rapide et durable. Une récente étude parue dans la revue de l?Académie des Sciences américaine (PNAS) indique d?ailleurs que le budget des NIH devrait quadrupler d?ici dix ans et atteindre 120 milliards de dollars pour répondre aux besoins de santé croissant de la population américaine, mais aussi assurer son développement économique.

Le président de la république a présidé le 26 octobre le CSIS (Comité stratégique des industries de santé) qui a réuni, pour la première fois depuis deux ans, industriels de la pharmacie et représentants de la recherche privée. Comment évoluent vos relations avec le privé ?
L?industrie pharmaceutique vit, elle aussi, de profondes évolutions, d?autant que la compétition mondiale s?intensifie. Longtemps elle a été basée sur la chimie. Or l?émergence de biomolécules pour traiter les maladies les plus complexes l?oblige à se transformer. C?est un défi majeur. Même avec des milliers de chercheurs au sein d?un grand groupe privé, il devient très difficile de trouver de nouveaux médicaments susceptibles d?être approuvés par les autorités de santé. Seule une vingtaine de nouvelles molécules est mise sur le marché chaque année. L?aspirine n?aurait certainement jamais été commercialisée si elle était jugée avec les critères actuels ! Enfin, l?industrie fait face au défi de la médecine personnalisée : un même médicament ne provoque pas nécessairement la même réponse chez deux personnes.

Quelle est la place de la recherche publique dans cette évolution ? Comment dépasser les différences "culturelles" entre ces deux mondes ?
Jusqu?alors, les laboratoires privés nous disaient préférer nouer des partenariats à l?étranger en raison de la complexité du paysage de la recherche publique française. Grâce à l?Alliance, ils bénéficieront d?un mandataire unique pour les partenariats et la valorisation des découvertes. A ce titre, nous allons signer un protocole d?accord avec le premier laboratoire privé français, Sanofi-Aventis qui sera opérationnel d?ici la fin de l?année. Sanofi y exprime quatre axes d?intérêts pour la recherche fondamentale. L?objectif, pour l?industriel, est de bénéficier de relations avec les meilleurs chercheurs, indépendamment de toute retombée industrielle immédiate. Progressivement, le privé va s?appuyer sur la recherche académique qui restera avant tout orientée sur l?acquisition de connaissances. On estime aujourd?hui que 20 à 30% de la recherche privée se fera en partenariat dans les prochaines années.

Comprenez-vous la méfiance des Français envers le vaccin contre la grippe A et la polémique sur les adjuvants ?
Moi-même, j?ai été vacciné et je fais vacciner ma famille. La vaccination est quelque chose de majeur. Beaucoup de pays du monde souhaitent pouvoir disposer de ce vaccin qui a démontré son innocuité. Quant aux adjuvants, ce sont les mêmes que l?on trouve dans d?autres vaccins. Personnellement, je préfère être vacciné et ne pas avoir le risque, même s?il est faible, de me trouver en réanimation pour une détresse respiratoire aiguë.

La communication a-t-elle été mauvaise ?
Non, il y a surtout eu beaucoup de communication. On a attiré l?attention de l?opinion publique. Il y a déjà eu par le passé des épidémies de grippe graves. Le ministère de la Santé a effectué un effort financier considérable pour donner largement accès à la vaccination. Il ne l?aurait pas fait, cela lui aurait été reproché. Concernant la recherche sur H1N1, l?Alliance a démontré son efficacité et sa très grande réactivité. Dès le début de l?épidémie au Mexique au printemps 2009, elle a réuni très rapidement tous les experts du sujet : virologues, épidémiologistes, anthropologues, représentants des centres nationaux de référence et des industriels. Ceux-ci ont immédiatement engagé les recherches à effectuer pour mieux comprendre le virus H1N1. Six mois ont ainsi été gagnés pour la constitution de cohortes. A titre de comparaison, lors de l?épidémie de chikungunya, il n?y avait aucune coordination entre organismes.

La quête du progrès mérite-t-il toujours que l?on prenne des risques ou le principe de précaution doit-il prévaloir ?
La recherche académique est une recherche évaluée par les pairs. En permanence, nous veillons à l?éthique ; c?est un sujet que nous voulons développer au même titre que l?intégrité scientifique. Certaines publications sans comité de lecture et ne disposant d?aucun facteur d?impact, attirent l?attention sur des risques. Il convient de distinguer ce qui relève d?une recherche scientifique professionnelle de ce qui relève de l?amateurisme. Je pense que l?acceptabilité des avancées de la science par le grand public est indissociable de la capacité des chercheurs à expliquer les résultats de leurs travaux.

Comprenez-vous les industriels lorsqu?ils se plaignent de la trop courte durée des brevets (20 ans) pour rentabiliser les efforts de recherche médicale ?
La durée du brevet est l?affaire des industriels. Mais c?est vrai, le temps d?exploitation devient de plus en plus court.

En tant que chercheur, vous avez travaillé sur les effets de la radiobiologie dans le développement de cancers. Comprenez-vous les craintes suscitées par les ondes des téléphones mobiles et les antennes relais des opérateurs ?
Il s?agit du domaine des faibles doses et des faibles débits de doses. A ma connaissance, aucun effet démontré n?a été publié. On peut multiplier les études épidémiologiques, on ne mesure aucun effet. En revanche, il convient de rappeler qu?on guérit une grande fraction des cancers grâce à la radiothérapie, qui recourt à de fortes doses de rayonnements ionisants. Plus largement, la génomique va permettre d?étudier très finement les effets des faibles doses et des faibles débits de doses des polluants, en particulier chimiques et environnementaux. Cela figure également dans notre plan stratégique.

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