General Electric tend la main à EDF et Areva

Dans un grand entretien qui paraîtra ce lundi dans La Tribune, Clara Gaymard, présidente de General Electric (GE) France et vice-présidente Monde du groupe en charge des grands comptes publics, invite la France à nouer des partenariats dans le nucléaire en prenant pour modèle l'accord entre GE et Safran dans les moteurs d'avion. Elle évoque aussi le patriotisme économique, son rôle au sein de GE et la place des femmes dans l'entreprise.

Depuis un an, vous êtes à la fois Présidente de GE France et responsable des relations du groupe avec les grands comptes publics dans le monde. Comment gérez-vous cette double fonction ?

Avoir plusieurs métiers, c'est fréquent chez GE. Rester patron de la France, me paraissait naturel. J'aime mon pays et je pense être - en tout cas j'espère - l'un des meilleurs ambassadeurs de la France chez GE. Si j'ai été nommée vice-présidente au niveau international en charge des grands comptes publics, c'est d'abord à la faveur de la crise, et des plans de relance qui, pour beaucoup, ont pris le relais dans le financement des infrastructures. Mais c'est aussi parce que nous avons vu dans ces opportunités, qui ne se limitent pas aux commandes des Etats, un moyen de capter les vrais besoins du monde d'aujourd'hui. Nous fabriquons et finançons des infrastructures. Nous sommes un groupe de haute technologie qui produit aussi bien des moteurs d'avion ou des locomotives que des IRM et des scanners. Nous ne sommes donc pas une entreprise à bas coût. Pour nous, comprendre comment le monde de l'après-crise, comment cette planète qui va compter 9 milliards d'habitants va résoudre la question de l'accès aux besoins vitaux des 2,5 milliards de personnes ne disposant ni d'eau, ni d'électricité, c'est inventer les solutions dont le monde a besoin. Nous recrutons et nous formons des équipes qui connaissent les acteurs publics, comment ils expriment leurs besoins et leur mise en ?uvre. Nous devons leur apporter non pas seulement un produit mais une expertise et une solution. Le business model, la rapidité d'exécution, la façon dont on peut mettre ensemble les acteurs autour de la table pour que cela se passe le plus vite possible, voilà l'enjeu. Et GE veut être l'un des acteurs majeurs dans ces nouvelles infrastructures que le monde va construire. Il ne faut pas oublier que la donnée environnementale est pour GE un axe majeur de développement depuis 2005. Et nous avons choisi dix pays prioritaires : la France, l'Allemagne, l'Angleterre pour l'Europe, la Chine assez naturellement, le Japon, l'Inde, l'Australie, le Canada, le Brésil, l'Arabie Saoudite.

Etre Française, est-ce un atout pour cette fonction ?

Disons qu'être européenne est un atout. Parce que GE est une entreprise mondiale qui cherche à être plus internationale. D'ailleurs je ne suis pas que Française, je suis à moitié danoise, j'ai vécu à l'étranger et cette capacité d'approche de culture d'appréhension d'autres cultures est, je crois, utile. Mais, vous avez raison, la France a inventé la délégation de services publics et a mis au point les process et les méthodes permettant de mettre en ?uvre des « partenariats public privé » qui ont démontré leur efficacité.

En vous recrutant GE, chantre du libéralisme, n'a pas seulement recruté une Française, mais aussi une ancienne haut fonctionnaire...

Au début, cela m'a surprise, après j'ai compris pourquoi. Je venais de l'administration, je n'avais jamais travaillé dans le privé. Ce n'est pas exactement le profil qu'une entreprise française aurait recruté. Mais dans les entreprises américaines, et particulièrement chez GE, on sait que l'appropriation de la culture, la diversité des métiers est extrêmement importante et donc on cherche parmi les candidats ceux qui ont cette capacité d'adaptation, cette curiosité, cette envie d'apprendre et une forme de créativité qui leur permettra de faire carrière dans notre groupe.

Quel est votre marge de man?uvre vis-à-vis de Fairfield (le siège de GE aux Etats-Unis, ndr) ?

A partir du moment où vous dites ce que vous allez faire, que vous faites ce que vous dites et et que, si vous n'avez pas atteint vos objectifs, vous expliquez pourquoi, bref que tout est clair et lisible, Fairfield fait confiance. On vous confie une responsabilité et la façon dont vous allez l'exercer vous appartient parce que personne au siège ne peut dire comment il faut se comporter en France, pas plus qu'on ne peut dire au patron allemand comment il doit agir en Allemagne. En revanche, définir les objectifs à atteindre, les critères d'évaluation chiffrés, les résultats... la feuille de route est validée par le siège.

C'est très différent de l'administration française ?

Quand vous arrivez chez GE, vous avez l'impression de piloter une Ferrari alors que vous étiez habitué à conduire une 2 CV. Mais l'administration française m'a appris à comprendre et à gérer des problèmes complexes et cela m'est très utile.

Et comment pilotez-vous cette nouvelle activité des grands comptes publics ?

On a fait un diagnostic, pour appréhender ce marché qu'on ne connaissait pas bien. Ensuite on a établi les opportunités et fixé les méthodes et l'organisation pour atteindre nos objectifs, ambitieux, comme toujours chez GE
Vous avez cité l'Inde et la Chine parmi vos dix pays cibles. On peut vraiment y décrocher des contrats publics sans verser de pots-de-vin ?
Vous avez beaucoup de pays où il y a effectivement de la corruption mais vous pouvez y faire des affaires sans avoir à corrompre quiconque. C'est pour cette même et seule raison que nous ne sommes pas dans certains pays d'Afrique.

Et êtes-vous satisfaits des résultats après un an ?

En 2009, année pourtant difficile pour tout le monde, nous avions évalué le marché à un peu moins de 2 milliards de dollars et on a terminé l'année à 4,5 milliards de dollars tout simplement parce que nous sommes allés voir des clients et que nous avons compris leur besoin.
Mais alors pourquoi GE ne s'est pas occupé plus tôt de ces marchés ?
Quand votre croissance est à deux chiffres chaque année - ce qui a été le cas jusqu'en 2008 - que vous avez un résultat net qui s'élève à ce qu'était la taille de l'entreprise il y a 20 ans et que tout va bien, vous n'allez pas sur des terrains plus difficiles. C'est tout de même plus compliqué d'aller vendre à des Etats qu'à des clients qui connaissent notre technologie depuis longtemps. Honnêtement c'est aussi simple que cela.

Quelles activités vous ont permis de faire mieux que vos objectifs ?

L'énergie, avec beaucoup de projets dans le pétrole et le gaz, mais aussi dans la santé. C'est aussi lié à l'obtention de très gros contrats au Brésil, en Arabie Saoudite et en Chine. Mais au cours de cette première année, nous avons aussi compris que les Etats ce sont des régulateurs, parfois des clients, de même que les grandes entreprises publiques mais l'essentiel de la dépense est locale. Voilà pourquoi nous lançons une initiative sur 10 grandes villes dans le monde. Nous souhaitons nouer des partenariats car il ne s'agit pas pour nous de proposer des produits mais de concevoir des solutions. C'est le cas à Lyon. Comme toutes les villes de France, elle est soumise à la règle des 20-20-20 (20 % de réduction de la consommation énergétique ; 20 % de renouvelable ; 20 % d'émissions de Co2 en moins) et nous voulons, avec d'autres participer aux moyens d'y parvenir. Dans les grandes villes, la consommation énergétique a augmenté de 20 % ces dix dernières années. La réduire de 20 %, c'est un sacré enjeu. Prenons un exemple. Nous avons identifié dans une étude que les deux seuls pics d'un quart d'heure, vers 9h00 le matin et 18h00 augmentent la consommation énergétique des transports publics de 50 %. Trouver un moyen pour optimiser les transports publics est donc crucial.

La crise ne remet-elle pas en cause des projets ? En Allemagne, le gouvernement a décidé de ne pas subventionner la voiture électrique !

De ne pas subventionner les constructeurs automobiles ! Des grandes villes allemandes réfléchissent à mettre en place des flottes de voitures électriques.

Mais peut-on développer l'usage de véhicules électriques sans aucune subvention ?

Personne ne peut dire aujourd'hui : « J'ai trouvé la solution, le business model ». C'est pour cela que nous voulons être l'un acteurs de ce nouveau secteur - on ne prétend pas avoir une solution complète - qui réfléchissent avec les acteurs publics sur les solutions qui peuvent s'imposer à l'avenir.

Sur le nucléaire, comment GE peut-il s'imposer dans le paysage franco-français entre Areva et EDF ?

C'est de l'ordre du rêve aujourd'hui. Mais il y a quand même de la place pour nous à l'avenir, on l'espère. La France est le seul pays à avoir trois atouts. La France a de façon constante, qu'elle soit gouvernée par la droite ou la gauche, soutenu le nucléaire. Ce n'est pas le cas en Allemagne, aux Etats-Unis... Deuxième atout : elle dispose des plus grosses puissances installées avec 58 centrales avec un acteur éprouvé - EDF - qui non seulement les a installées mais sait les gérer ou déléguer la gestion de façon sûre et efficace. Enfin, elle dispose d'une chaîne de production avec Areva qui est un acteur majeur de la construction de centrales nucléaires. Sauf que le marché est aujourd'hui à l'international. Et que l'EPR n'est qu'une technologie parmi d'autres qui ne permet pas de répondre à la diversité de la demande du nucléaire dans le monde. La France a une carte maîtresse à jouer aujourd'hui en nouant des alliances - comme l'a fait Safran avec nous sur le moteur d'avion CFM-56. Nous fabriquons des réacteurs qui peuvent être intégrés. GE est donc prêt à réfléchir à des solutions avec EDF ou Areva ou d'autres.

Etes-vous allée les voir pour proposer vos services ?

Ils le savent. Mais je le dis clairement : si la France ne s'ouvre pas assez rapidement pour s'adapter au marché mondial, elle prend le risque que d'autres, comme les Coréens, s'imposent sur le marché mondial. GE ne sera jamais concurrent d'EDF ou même d'Areva en tant qu'intégrateur. Cela ne nous intéresse pas. Nous sommes favorables, comme les Japonais, à la mise en place d'alliances technologiques aussi efficaces que celle que l'on a noué avec Safran.

Yves Jégo a proposé la semaine dernière la mise en place d'un label permettant de valoriser la marque France en instituant un « made in » à étoiles. Un produit assemblé et fabriqué entièrement en France obtiendrait un nombre maximum d'étoiles. Qu'en pensez-vous ?

Désolée, je ne connais pas le détail de cette proposition.


Mais sur le principe ?

Ne soyons pas naïf. Il faut regarder la réalité des investissements, de la recherche et du développement sur le sol français des entreprises - qu'elles soient françaises ou étrangères. C'est cela le vrai patriotisme économique. Et j'en profite pour dire que nous n'avons pas à rougir de ce que nous avons fait en France. Nous nous sommes même comportés de façon plus française que certaines entreprises françaises. Des exemples ? En 1999, nous avons racheté les turbines à gaz d'Alstom. Nous sommes d'abord devenu le seul fabricant français de grosses turbines: Alstom les fabrique en Suisse. On a multiplié depuis le chiffre d'affaires par quatre. On a créé un centre d'ingénierie mondial qui emploie 800 ingénieurs, dont 400 recrutés au cours des deux dernières années. Et on en a fait une entreprise hautement bénéficiaire qui exporte plus de 90% de sa production. Tout ça sur le sol français. On a fait la même chose au Creusot avec le rachat de l'usine de Framatome qui fabriquait des petites turbines et des compresseurs. Ce site perdait lui aussi de l'argent. Il est devenu le seul endroit au monde où GE fabrique des compresseurs et des petites turbines vapeur. Le chiffre d'affaires a été multiplié par trois. On y a embauché une quarantaine d'ingénieurs l'année dernière et on fait travailler un nombre considérable de sous-traitants dans la région. Je pourrais aussi parler du site de Buc dans les Yvelines. Tous les mammographes vendus par GE dans le monde y sont conçus et fabriqués, de même que les appareils cardio-vasculaires. On y a 450 chercheurs. C'est ici que sont créés et produits tous les logiciels en 3D de l'imagerie médicale pour GE. Que tous ces produits-là soient labellisés "made in France", je suis d'accord. GE est un investisseur qui croit au talent des Français. Nous venons d'investir 45 millions dans un centre de recherche dans la sécurité des transports. Nous croyons au savoir-faire français et nous investissons dans l'avenir.

La baisse de l'euro face au dollar, c'est une bonne nouvelle pour GE ?

C'est bon pour GE Aviation puisque les moteurs CFM56 se vendent sur un marché libellé en dollar... Mais GE vend partout dans le monde. Disons qu'on a l'habitude de s'adapter.

Que pensez-vous de la tournure prise par les discussions sur le projet de loi Grenelle 2 ? N'y aurait-il pas une volonté de la part du gouvernement français de favoriser l'éolien offshore au détriment de l'éolien terrestre, bataille que les industriels français ont perdue ?

Ce ne sont pas les entreprises françaises qui ont raté l'éolien onshore, c'est la France. Chez GE par exemple, nous avons décidé de faire un très gros investissement de 350 millions de dollars, avec 1.000 embauches, pour développer de l'éolien offshore en Europe. J'ai évidemment mis la France dans la boucle et si elle n'a pas été choisie, c'est qu'il n'y a pas de marché suffisant. La France est en retard sur l'éolien d'une façon générale. En Allemagne, dans les pays scandinaves, au Royaume-Uni, le marché est là, les projets de fermes existent. L'énergie va provenir demain de toutes les sources : nucléaire, charbon propre, gaz, solaire, éolien. Et la fourniture d'énergie s'adaptera à la consommation. L'éolien, par exemple, n'est pas adapté aux grandes industries mais à l'habitat. Franchement, il était temps que la France prenne le virage de l'offshore. C'est une chance pour les acteurs étrangers comme pour les français, car notre pays est en retard sur ses concurrents.

N'estimez-vous pas que le Grenelle 2 a été vidé de sa substance ?

Ce qui m'importe dans le Grenelle 2, c'est que nous sommes un pays qui avance même si cela se fait péniblement. On peut regretter l'abandon de la taxe carbone. Ce n'était pas une solution parfaite, mais elle avait au moins le mérite d'exister. En tant qu'entreprise de technologie, nous avons toujours pensé qu'un encadrement légal clair, qui permette de faire des projections à long terme, pousse à améliorer la technologie. La contrainte réglementaire, quand elle est bien faite, stimule l'innovation. J'espère que nous sortirons du débat du Grenelle avec des engagements clairs et lisibles afin que les entreprises soient stimulées dans leur innovation, tant dans l'éolien, le solaire que dans les cycles combinés. Il ne faut pas oublier les technologies traditionnelles. Les cycles combinés constituent une révolution, avec un rendement multiplié par deux.

Pensez-vous qu'en période de crise il faille savoir renoncer à certaines ambitions en matière de lutte contre le réchauffement climatique ?

Ce n'est pas dans ces termes que le débat se pose. Ce qui nous intéresse c'est d'investir dans des pays où le cadre de recherche, le cadre intellectuel et les opportunités de marché sont là. On ne choisit pas un pays parce qu'il est à bas coût. Ce qui nous intéresse c'est d'avoir une longueur d'avance en matière de technologie. Dans ce cadre là, si la France a le courage de prendre des engagements certes contraignants mais qui poussent à l'innovation, on aura une longueur d'avance sur nos concurrents. C'est ce que notre pays a fait dans le passé avec le TGV, avec le nucléaire, avec Airbus... La France ne peut pas le faire dans tous les domaines, on ne peut pas être les meilleurs partout, mais ce que j'observe c'est qu'avec le grand emprunt et le Grenelle, on est sur les vrais sujets. La façon dont ça s'exécutera, on peut toujours rêver mieux, mais pour nous ça va dans la bonne direction.

Que pensez-vous de la place des femmes dans l'entreprise ?

Moi j'ai été choquée qu'on me demande si les nominations de Mesdames Oudéa et Woerth dans des conseils d'administration étaient légitimes. Certes, elles sont mariées à des hommes connus, mais ce sont des femmes de grand talent. Amélie Oudéa est financière experte et reconnue, Béatrice Woerth aussi est une femme talentueuse et remarquable. Je suis pour la déclaration faite par l'Afep et le Medef, c'est une très bonne initiative, si on n'est pas proactifs ça n'avancera pas. Vous verrez qu'elles vont apporter beaucoup à leurs conseils d'administration. De plus, je sais que ce seront des administratrices investies et vigilantes. Chez GE on a toujours pensé que la diversité, de même que l'environnement, étaient, non pas des contraintes mais des facteurs de croissance. Quels que soient les individus et leurs origines, leurs coutumes, leur âge, leur sexe, ils apportent trois choses. Leur talent personnel, leur expertise, et leur différence. Et bien souvent, la différence c'est au moins aussi important que l'expertise. Et c'est ça qu'on doit à tout prix rechercher dans une entreprise, ne serait-ce que pour ressembler à nos clients.
Ca va dans le bon sens mais c'est dommage que ça arrive si tard et que ça aille si lentement. Personnellement j'aimerais être dans un pays où on ne se pose même pas la question si on a eu raison ou tort de nommer telle femme à un conseil d'administration.

Dans l'encadrement de GE France, êtes-vous à la parité ?

Oui, dans les métiers financiers mais dans les sites industriels pas tout à fait car on a beaucoup de mal à recruter des femmes ingénieurs. D'ailleurs on a un programme de recrutement dans les écoles de femmes ingénieurs, une politique proactive car on aimerait vraiment en avoir plus. Parmi les cadres dirigeants, on compte de l'ordre de 20 % de femmes. C'est mieux qu'ailleurs, mais on peut mieux faire. En revanche, la parité salariale est respectée.

 

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Commentaires 3
à écrit le 10/05/2010 à 14:19
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Même avec des amis bien placés on ne vous confierait certainement pas le meme poste qu'elle...

à écrit le 10/05/2010 à 8:28
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super cette femme.

à écrit le 10/05/2010 à 5:09
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Cette Chère Clara est de retour ! Rappelez-vous, l'appartement d'Hervé Gaymard en 2004. Mais oui, souvenez-vous, le 600 m2 à 14.000 euros/mois PAYE PAR LE CONTRIBUABLE. C'était elle et son mari ! Elle s'en est bien sortie la petite.... (c'est...

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