Ma petite banque d'affaires ne connaît pas la crise

MK Finance, Leonardo, Aforge, Bucéphale Finance... Leurs noms ne sont pas aussi connus que ceux de Rothschild ou Goldman Sachs, mais ces « petits Lazard » spécialisés dans le conseil aux PME opèrent sur un marché autrement plus résistant que celui des mégafusions.
Le cabinet Deloitte a aidé la coopérative normande Agrial à acquérir une partie des activités du groupe laitier Senoble.

Lorsqu?on parle de banques d?affaires, à qui songe-t-on immédiatement ? À Goldman Sachs, à JPMorgan, à Morgan Stanley, bien sûr, ces géantes américaines qui conseillent les multinationales du monde entier sur leurs opérations de fusions et acquisitions. Vient également à l?esprit le nom de la vénérable Rothschild, incontournable sur les dossiers impliquant des entreprises françaises stratégiques pour l?État, ou encore celui de Lazard, codirigée en France par le médiatique Matthieu Pigasse, également patron du magazine Les Inrockuptibles et actionnaire du quotidien Le Monde. En revanche, les noms de MK Finance, DC Advisory Partners, Financière Cambon, Bucéphale Finance, Leonardo, Aforge Finance sont autrement moins familiers. Évidemment, conseiller le fabricant de poussettes Babyzen, basé à Venelles (Bouches-du-Rhône), dans le cadre de l?entrée du fonds d?investissement Turenne dans son capital, comme l?a fait DC Advisory en mai, c?est moins glamour que de plancher sur le rachat d?Arcelor par Mittal ou la fusion entre Air France et KLM!
Dans la même veine, l?acquisition en septembre, par le groupe Vétoquinol du laboratoire vétérinaire Orsco, installé dans la région lyonnaise et conseillé par Aforge Finance, n?a pas fait les gros titres de la presse. Pas plus que le rapprochement, en septembre toujours, du fabricant montpelliérain d?échafaudages Altrad avec la société Jalmat, une opération sur laquelle a travaillé la banque Leonardo. Pourtant, ces petites banques d?affaires ? ces « boutiques », comme on dit dans le jargon des fusions et acquisitions ? méritent qu?on s?attarde sur elles. Pour la simple raison qu?elles opèrent sur le segment des M&A (mergers and acquisitions) qui résiste le mieux à la crise financière et économique. Autrement dit, le segment des fusions et acquisitions de PME. Le marché français de ces opérations pour des « small caps » ? dont les valorisations n?excèdent pas 50 millions de dollars ? a fléchi de 21,9% « seulement », au cours des neuf premiers mois de 2012, à 2,8 milliards de dollars, selon les données de Thomson Reuters. Et, si celui des « mid caps », dont les valeurs d?entreprise s?étalent entre 50 et 500 millions de dollars, a reculé de 30,7%, cette chute reste bien inférieure à celle de 56% accusée par l?ensemble du marché français des fusions et acquisitions, sur les trois premiers trimestres.

4.100 PME susceptibles de changer de propriétaire

Plusieurs raisons expliquent cette résistance relative des fusions et acquisitions de PME. D?abord, elles sont tirées par? le vieillissement de leurs patrons qui, arrivés à l?âge de la retraite, doivent passer la main. La part des dirigeants de PME comptant au moins 60 printemps s?élève aujourd?hui à 17,7%, contre 12,8% il y a une dizaine d?années. Aussi, chaque année, pas moins de 4.100 PME françaises sont-elles

susceptibles de changer de propriétaire, selon le baromètre 2011 du cabinet Epsilon Research. Ensuite, en période de crise financière, il demeure relativement aisé de trouver de la dette pour financer des acquisitions de 500 millions d?euros au maximum, alors que cela est quasiment mission impossible dans le cas de mégafusions. Enfin, plus de la moitié (52%) des PME françaises sont aujourd?hui des filiales de grands groupes, et non des entreprises familiales, contre 21% en 1997. Or la propension des groupes à vendre des actifs est deux fois supérieure à celle des familles actionnaires de PME, selon Epsilon Research. C?est dire si le fait d?être un « mini-Lazard en région » n?a rien de dévalorisant, bien au contraire. Mais qui sont exactement ces petites banques d?affaires spécialisées dans les PME? Il y a d?abord les fameuses « boutiques », souvent créées par d?anciens grands banquiers d?affaires, comme Jean-Marc Forneri, fondateur de Bucéphale Finance et ex-star de Credit Suisse. Elles sont bâties sur le modèle de Lazard et de Rothschild, celui de l?indépendance et de la spécialisation : uniquement axées sur le conseil en fusions et acquisitions, elles ne pratiquent pas d?activités de financement d?entreprises ou d?investissement sur les marchés. Si bien qu?elles ne présentent guère de risque de conflits d?intérêts, contrairement aux banques d?affaires régionales de grands établissements comme BNP Paribas, la Société générale et le Crédit agricole. Comme elles n?ont pas de bilan, ni de risques liés à des crédits, le modèle de ces boutiques est assez aisé à rentabiliser. De plus, leur petite taille rassure leurs clients sur la confidentialité des opérations. MK Finance, par exemple, n?emploie qu?une vingtaine de collaborateurs, à Paris et en région, notamment à Nantes, Bordeaux et Toulouse.

Les « Big Four » s?intéressent au secteur

Outre les « boutiques », les Deloitte, KPMG, Ernst & Young et PricewaterhouseCoopers figurent en bonne place sur le marché du conseil en fusion et acquisition de PME. Ces cabinets d?audit ont en effet renforcé cette activité afin de contrebalancer un tassement des revenus issus de leur métier de base. Ces filiales des « Big Four » mettent, elles aussi, en avant leur absence de risque de conflit d?intérêts : « Nous sommes totalement indépendants, nous n?avons pas d?activité de financement d?entreprises ou d?investissement sur les marchés », insiste Charles Bédier, associé chez Deloitte, qui a notamment travaillé sur l?acquisition d?une partie des activités du groupe laitier Senoble par la coopérative normande Agrial, l?an dernier. Il s?agirait là d?un argument commercial de taille car, « dans la conduite d?une fusion ou d?une acquisition, en raison du lien fort entre le dirigeant et son entreprise, le rôle de l?intermédiaire est beaucoup plus important sur le segment des « mid caps » que sur celui des « large caps ». C?est pourquoi, nous attachons une importance particulière à la proximité avec nos clients », explique Charles Bédier.
Contrairement aux dirigeants de grands groupes, qui disposent de tout un aréopage de directeurs adjoints, les patrons de PME, eux, ont les mains dans le cambouis. Comme la gestion simultanée des affaires courantes de leur entreprise et de ses opérations de croissance externe relève du don d?ubiquité, ils s?en remettent volontiers à leur banquier-conseil pour cette partie du « business. » À condition de pouvoir lui vouer une confiance totale. Pour autant ce n?est pas parce qu?elles travaillent sur le rapprochement de PME régionales que les petites banques d?affaires n?ont pas une envergure internationale. Rares sont celles dont le siège social n?est pas à Paris, et, plus précisément, dans le huitième arrondissement, non loin de leurs grandes s?urs Rothschild et Lazard.

Réduire la dépendance au marché Français

Question de prestige du métier, question de praticité, également, pour ces « boutiques » qui n?hésitent pas à ouvrir des bureaux à l?étranger, aussi bien à Genève qu?à Shanghai ou au Brésil. « Nous avons une forte présence en Chine, ainsi qu?un desk Chine en France dont nous faisons partie. Nous sommes également bien présents en Amérique latine et en Amérique du Nord », indique Thierry de Chambure, associé corporate finance advisory, chez Deloitte. « Certains de nos clients veulent s?implanter à l?étranger. L?expansion internationale nous permet également de mieux répartir notre risque, en réduisant notre dépendance au marché français », décrypte Patrice Klug, associé fondateur chez MK Finance. Sont-elles si tranquilles, alors, ces banques-conseils des PME, sur leur niche relativement épargnée par la crise?? Eh bien, pas tant que ça. Leur dynamisme attire la concurrence des? banques d?affaires d?ordinaire spécialisées sur de plus gros « deals » mais qui, faute de grives, sont prêtes à se mettre en chasse de merles. Résultat, qui retrouve-t-on dans le trio de tête du classement des banques d?affaires de « small caps » élaboré par Thomson Reuters, pour les neuf premiers mois de 2012? Rothschild et Lazard! Ainsi que BNP Paribas, les banques de détail montrant un intérêt croissant pour le marché du conseil en transmission de PME, histoire, entre autres, de faire d?une pierre deux coups, en proposant aussi leurs services de gestion de fortune aux futurs ex-patrons millionnaires. Mais que les mini-Lazard se rassurent : une fois les mégafusions de retour, les grandes banques d?affaires se feront une joie de leur adresser leur clientèle de PME. Et puis, les fusions et acquisitions de moins de 500 millions de dollars, qui génèrent des commissions de l?ordre de 3 millions de dollars « seulement », ne sont guère rentables pour les stars des fusions acquisitions.

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Small caps, mid caps?
Les « small caps » sont des entreprises dont les valorisations n?excè-dent pas 50 millions de dollars. Les « mid caps représentent la caté-gorie de valorisation comprise entre 50 et 500 millions de dollars.

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