Montebourg, le politique qui veut changer l'économie

PSA, Sanofi, Petroplus, LyondellBasell, Rio Tinto, Doux, Fralib, Lohr... Arnaud Montebourg ne s'attendait pas à une telle avalanche de plans sociaux. Le ministre du Redressement productif va passer son été à éplucher les dossiers de reprise, lui qui voulait définir les filières industrielles du futur. Portrait d'un homme qui pense que la politique peut changer l'économie.
Arnaud Montebourg / Reuters
Arnaud Montebourg / Reuters (Crédits : <small>DR</small>)

«Il me rappelle Mitterrand, jeune. » Pierre Joxe est généralement peu prodigue de compliments. Mais c'est ainsi qu'il a expliqué à Claude Angeli, rédacteur en chef du Canard Enchaîné, pourquoi il laissait sa circonscription de Saône-et-Loire à Arnaud Montebourg. Le compliment n'était pas mince. Claude Angeli, de son côté, voyait partir celui qui a probablement été l'un des meilleurs avocats qu'ait connus le palmipède. « Hyperbosseur, il savait toujours trouver la faille chez l'adversaire. Il pouvait me réveiller à une heure du matin pour un point de dossier, se rappelle un journaliste de l'hebdomadaire. Je le regardais plaider avec bonheur. Et, juste au moment où je me disais qu'il commençait à en faire trop, il s'arrêtait. Il était vraiment bon ! »
Arnaud Montebourg n'est pas le dilettante talentueux que l'on imagine parfois. C'est un bosseur, talentueux. Ainsi, lorsqu'un de ses amis s'inquiétait récemment de son silence sur le plan social d'Air France, en quelques minutes, le tout nouveau ministre lui a parfaitement démonté les ratés de la stratégie de la compagnie aérienne, montré les lacunes du plan social, et, en prime, livré ses réticences vis-à-vis du PDG, Alexandre de Juniac. Le dossier était parfaitement maîtrisé, il était juste dans l'impossibilité politique d'en parler publiquement.
En revanche, le bosseur est bien l'intuitif que l'on pense. C'est d'ailleurs sa force. En 1997, en campagne pour gagner la 6e circonscription de Saône-et-Loire, il mesure les premiers ravages de la mondialisation et entend la peur des électeurs. Même sur le marché du lundi à Louhans, sous-préfecture de Saône-et-Loire, il se rappelle avoir rencontré des gens qui avaient « peur de l'étranger ».La Saône-et-Loire a toujours été un département très fortement industrialisé, mais elle s'est pris de plein fouet des restructurations industrielles et des fermetures à tout va : Schneider, Creusot-Loire, les forges de Gueugnon, le charbon à Montceau, etc., tout s'est délité, écroulé. Il mesure alors l'ampleur du gouffre entre les dirigeants socialistes et les citoyens.

Défenseur d'une VIe République

Dès 2001, persuadé que la mondialisation est un enjeu politique considérable, il est l'un des rares à comprendre que Lionel Jospin va à l'échec. Jean-Marie Le Pen est pour lui un danger bien plus grand que ne l'imagine une rue de Solferino qui ne sent pas la désespérance sociale. Arnaud Montebourg a grandi politiquement dans un territoire où l'industrie traditionnelle tombait en morceaux, où les chefs d'industrie laissaient filer, face à la concurrence européenne puis asiatique, et où les fermetures d'usines étaient décidées à Paris ou à Bruxelles. Il en a acquis l'absolue certitude que seule la politique pouvait changer l'économie. Il le dit parfois de manière surprenante : le combat qu'il a mené pour une VIe République était aussi un combat économique. Le député de Saône-et-Loire, fondateur du Nouveau Parti Socialiste, pensait, pense toujours, que la gouvernance politique de la Ve République ne permet pas de lutter contre cette mondialisation.

Il faut l'imaginer sincère

Pour saisir Arnaud Montebourg, il faut s'enlever de l'idée que sa campagne pour la démondialisation lors des primaires socialistes n'était qu'un « coup de com' », qu'un simple positionnement. Bien sûr, le Bourguignon sait communiquer. Bien sûr, il adore les médias et s'en sert à merveille. Mais il faut imaginer Monte bourg sincère : il a mis une quinzaine d'années à « théoriser » son intuition. Il a beaucoup emprunté à droite et à gauche et son discours, au grand dam de ses amis économistes, est parfois bancal. Mais l'intuition n'a pas changé. Elle s'est même enrichie d'un rapport à l'industrie très rare chez les socialistes : « Il ne s'est jamais satisfait de l'idée que la seule puissance publique puisse assurer la prospérité. Il ne pense pas qu'il suffit d'avoir des fonctionnaires bien formés et un État fort pour assurer la croissance. Il a totalement intégré que l'industrie est l'élément essentiel de la puissance économique. En fait, il sait depuis longtemps que les socialistes qui négligent l'importance de l'entreprenariat et brident les créateurs d'entreprise ont tout faux, explique l'un de ses amis. C'est, je pense, l'une des raisons de l'incompréhension entre lui et Pierre Moscovici. »Il est vrai qu'Arnaud Montebourg a une relation parfois poétique avec l'économie. L'un de ses côtés mitterrandiens ! Il a raté l'ENA pour un 4 sur 20 en économie. Mais, de toute façon, il n'était pas formaté pour l'Administration. Fonda mentalement, il est avocat. Or, un avocat défend le faible, et, chose peu courante chez un élu socialiste, le petit patron tout autant que le salarié. Il ne s'embarrasse guère de business plan, mais soutient ceux qui ont des idées.

Didier Gencourt, par exemple. Ce jeune patron d'une toute petite boîte de numérique, Broadcast News, à Chalon-sur-Saône, a réussi fin 2011 à rencontrer Montebourg pour lui expliquer son business, des techniques graphiques pour l'habillage des émissions de télévision. Surtout, il lui a dit pourquoi sa petite entreprise allait mourir, sans aide pour assurer le développement de son produit. « Il a été impressionnant, raconte Didier Gencourt. Il s'est renseigné sur mon entreprise, mais il a eu un premier retour pas très positif. Il est alors revenu vers moi ; je lui ai suggéré d'appeler les gens de Canal+, qui avaient testé mes solutions. Il l'a fait ! J'étais ébahi. Canal l'a convaincu qu'on avait un bon produit mais que l'on manquait de cash pour tenir jusqu'aux grilles de rentrée de 2012. Il a alors appelé tout le monde, boosté Oséo, boosté la région... Il m'a redonné confiance dans la parole politique. Il a fait ce qu'il avait dit. »Le business plan de Broadcast News ? Il est possible qu'Arnaud Montebourg ne l'ait pas lu. Si la start-up se crashe, il aura quand même fait ce qu'il estime être le rôle d'un politique. Idem avec Amazon. Lorsqu'il monte dans le TGV de Chalon-sur-Saône pour promouvoir l'implantation d'une base logistique du géant américain de la vente, il sait parfaitement que l'on a déroulé le tapis rouge à une multinationale qui ne paie pas d'impôts en France et emploie des manutentionnaires au smic. Mais c'est de l'emploi. Et, comme beaucoup de Bourguignons, il en a soupé des catastrophes industrielles.

Un fond souverainiste, chevènementiste

Chalon a connu le coup de grâce avec la fermeture de Kodak il y a cinq ans : « Près de 3 000 personnes sur le carreau d'un coup, dans une zone qui avait déjà été bouleversée par Creusot­Loire, ça a été un choc énorme, pour Arnaud comme pour nous tous, explique un élu de Chalon. Il n'y a même pas eu un seul jour de grève car l'entreprise a versé de grosses indemnités. Mais l'incapacité de Kodak à s'adapter au numérique et son impossibilité de produire de l'argentique moins cher ont mené la ville dans le mur. » Ainsi, les premiers mots d'Arnaud Montebourg pour présenter l'installation d'Amazon ont été : « Nous avons connu la désolation de l'après Kodak... »
Le ministre du redressement productif est donc devenu très pragmatique. La démondialisation n'est plus aujourd'hui que l'habillage d'une idée à laquelle il tient : les entrepreneurs français peuvent gagner si tout le monde a les mêmes règles. En attendant que cela arrive, il faut s'adapter, se protéger. C'est son fond souverainiste, l'influence chevènementiste, le patriotisme économique dont il a fait son leitmotiv de ministre. Cela suffira-t-il ? Arnaud Montebourg ne le pense pas. il est piégé, réduit à un rôle de médecin urgentiste avec des ambulances qui amènent les blessés sans discontinuer, alors qu'il voudrait prendre la main avec un discours stratégique d'avenir. Lorsqu'il s'y essaie en appelant devant les patrons de la Conférence nationale de l'industrie au « financement de l'innovation, même la plus radicale », il fait un flop : les patrons présents étaient un peu assoupis et, surtout, PSA lui vole toutes les manchettes du lendemain avec son plan social. Lorsqu'il essaie, un peu maladroitement, de pousser les participants de sa table ronde sur les conditions du redressement productif, qu'il anime à la Conférence sociale, à entériner un texte sur les raisons de la baisse de compétitivité des entreprises françaises, il se fait remettre en place par les participants. Marisol Touraine proteste, ne veut pas le laisser empiéter sur le dossier des charges sociales, et Jean-Marc Ayrault le recadre. Et dans les couloirs du palais d'Iéna, Jean-Claude Mailly, le patron de FO, lui lance : « Alors, Arnaud, tu es passé de l'antimondialisation à l'ultracompétitivité ? »

Il a le sentiment de l'urgence

Arnaud Montebourg n'a jamais fait de la recherche du consensus à tout prix sa ligne de conduite préférée. Surtout, il a le sentiment de l'urgence. Il souhaiterait aller vite alors que Jean-Marc Ayrault avance prudemment, que pierre Moscovici pourrait, pense-t-il, être plus volontariste, et que l'administration des Finances est peu encline à l'innovation intellectuelle. Cette dernière ne lui propose que du classique, de la bonne vieille recette éprouvée (CARTE) dont elle avait déjà « vendu » une première mouture à Jacques Chirac en 1995. Ou bien elle s'emploie à ce que la banque publique d'investissement ne lui échappe pas, alors qu'Arnaud Montebourg estime qu'elle doit se diriger au plus près des réalités, dans les territoires, pas au 139, rue de Bercy, paris, XIIe arrondissement...
Autre exemple ? Le pétrole, avec Petroplus ou LyondellBasell sur l'étang de Berre. Cette dernière raffinerie était dans la circonscription d'olivier Ferrand, mort fin juin. Un ami d'Arnaud Montebourg mais aussi de Christophe Bejach, le conseiller et tête chercheuse du ministre, cofondateur de la Fondation terra nova. Christophe Bejach travaille sur un plan de restructuration de l'approvisionnement pétrolier aussi nationaliste que novateur. il va falloir le faire passer en finesse car - Nicole Bricq l'a déjà rencontré en Guyane - il y a face à eux un lobby pétrolier puissant et une administration aux semelles de plomb.

L'homme est ambitieux

Idem avec l'innovation. C'est sa grande ambition, que la France rattrape son retard et devienne « l'un des laboratoires du monde » ; il veut « renforcer l'écosystème de l'innovation ». C'est une vraie révolution culturelle qu'il a en tête, alliant un rôle accru de l'état à une diffusion de l'innovation « jusque chez les plus petits ». Arnaud Montebourg est ambitieux. Les mauvaises langues socialistes disaient qu'il avait été nommé à un ministère de la parole et qu'il y excellerait. D'autres mauvaises langues, tout aussi socialistes, glissaient, elles, qu'il avait été nommé pour assumer les plans de licenciement inévitables et qu'une fois perdue toute force politique il serait renvoyé à sa bourgogne. Les mauvaises langues, surtout chez les socialistes, peuvent se tromper. Arnaud Montebourg a compris que, pendant six mois, la situation allait être terrible pour lui. Mais il pense aussi que, cet hiver, après que les parlementaires auront discuté d'une loi de finances particulièrement sinistre, il sera le seul à pouvoir tenir un discours novateur et positif. C'est son calendrier, son pari.

Commentaire 1
à écrit le 22/08/2012 à 0:04
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Il veut surtout changer SON économie personnelle. Quel intérêt pour lui d'intervenir avant qu'une boite n'ait déposé le bilan ? Prenons par exemple une entreprise leader de tablettes android en difficulté, et dont son ministère aurait subitement coup...

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