Gérard Mestrallet "Le gaz de schiste est devenu un sujet tabou. Il faut le réexaminer de façon paisible"

Gérard Mestrallet, PDG de GDF Suez revient sur la position française sur le point du gaz de schiste.
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LA TRIBUNE - Quelle est la nature de la révolution initiée par le gaz de schiste ?
Gérard Mestrallet -
Le gaz de schiste a changé les perspectives à plusieurs titres. Il a d'abord permis d'augmenter considérablement les estimations de réserves de gaz naturel dans le monde. Pendant longtemps, on tablait sur 60 ans de réserves de gaz conventionnel. Les découvertes de gaz non conventionnel permettent de rajouter un ou deux siècles, de quoi couvrir au moins les besoins du XXIe, voire du XXIIe siècle, avec des quantités considérables de gaz accessibles à un coût raisonnable. Pour l'énergéticien gazier que nous sommes, c'est une bonne nouvelle. Et ce n'est pas un rêve. Aux Etats-Unis, c'est aujourd'hui une réalité. Ils sont, grâce au gaz de schiste, autosuffisants en gaz, et en disposent à un prix extrêmement intéressant. Ce qui, au passage, change la donne industrielle outre-Atlantique en leur conférant un avantage compétitif par rapport à l'Europe. Il faut ajouter que le gaz de schiste n'en est qu'à ses débuts. Il n'est exploité aujourd'hui pratiquement qu'aux Etats-Unis. Mais il existe des réserves importantes en Chine, en Australie et en Ukraine. Il y en aurait aussi dans deux pays en Europe, en Pologne - dans des quantités peut-être plus faibles que ce qui était attendu - et en France.

Que préconisez-vous en matière de gaz de schiste en France ?
La France ne produit ni pétrole, ni gaz, ni charbon mais en achète beaucoup. La situation économique française mérite qu'on explore toutes les voies possibles. Je suis partisan d'une approche rationnelle, transparente et scientifique, qui soit pilotée par l'État. De toute façon, le gaz de schiste ne se développera pas en France ou en Europe si on ne parvient pas à l'extraire d'une manière irréprochable pour l'environnement. C'est une absolue nécessité. Avec ses experts et des spécialistes indépendants, l'État doit être le garant de règles d'extraction et de contraintes d'exploitation respectueuses de l'environnement. Aux Etats-Unis, quelques exploitants peu scrupuleux ont discrédité la profession, d'où le film Gasland. Mais la plupart des champs de gaz non conventionnel aux Etats-Unis, lorsqu'ils sont exploités par des industriels compétents et reconnus, n'ont jamais eu de problème. Les techniques vont encore progresser. Mais cela reste surtout une question de coût. Par exemple, en attendant qu'on puisse utiliser 100 % d'additifs biodégradables, on peut parfaitement récupérer et traiter l'eau utilisée. Mais cela augmente le coût de production.
Le problème, c'est qu'en France « gaz de schiste », comme « OGM » ou « charbon », est devenu un sujet tabou, éliminé a priori. Le débat sur l'énergie à la rentrée pourrait être l'occasion de remettre sur la table la question des gaz de schiste afin qu'on l'aborde de façon paisible, rationnelle, professionnelle et scientifique. C'est in fine l'État qui doit réussir à concilier la protection de la nature et le développement économique.

GDF suez s'est tenu jusqu'à présent à l'écart de l'extraction des gaz de schiste. Vous n'êtes pas tenté par l'achat d'un producteur ?
Il faut être prudent. Les difficultés de l'américain Chesapeake, très actif dans le gaz de schiste, en témoignent. Il existe des milliers de producteurs de gaz de schiste aux Etats-Unis. Récemment, les prix du gaz sont tombés sur place à 2 dollars le BTU, au-dessous du prix de production de nombre d'opérateurs. Nous avons en fait une approche différente, centrée sur l'aval du gaz américain. Aujourd'hui, il n'y a aucun moyen pour le pays d'exporter son gaz. Quelques projets d'usines de liquéfaction, qui permettront de le vendre à l'extérieur grâce aux bateaux méthaniers, émergent autour du golfe du Mexique. Nous avons été sélectionnés par l'opérateur Sempra pour être partenaires dans une usine de ce type en Louisiane. Lorsque les travaux d'élargissement en cours des écluses du canal de Panama seront terminés - notre ingénierie y est d'ailleurs associée - les méthaniers pourront aller livrer en Asie le gaz américain liquéfié.

Votre redéploiement vers l'Asie en gaz naturel liquéfié est-il lié aux excédents de votre portefeuille GNL destiné, au départ, aux Etats-Unis ?
Le marché mondial du GNL est tellement grand qu'on ne peut pas parler d'excédent. Il y a des marchés qui s'ouvrent, comme l'Asie, et d'autres qui se ferment. C'est le cas des Etats-Unis en raison du gaz de schiste. Dès qu'ils ont ralenti leurs importations de GNL au début de 2011, GDF Suez a montré sa réactivité en déplaçant son centre de gravité vers l'Asie. Puis l'arrêt du nucléaire au Japon, qui est le premier importateur de GNL, et l'affichage par la Chine de son appétit en gaz, n'ont fait que confirmer notre stratégie. Elle n'est pas tout à fait nouvelle puisqu'en 2011 nous avons signé un accord de coopération avec le pétrolier chinois CNOOC pour un projet d'unité flottante de stockage et de regazéification de GNL en Chine. Et nous allons poursuivre dans cette voie, notamment grâce à notre partenariat avec le fonds souverain chinois CIC. En Inde, qui va également devenir un très gros consommateur de GNL, nous sommes présents dans deux terminaux, ainsi qu'au capital de leur opérateur. GDF Suez a également été sélectionné en avril dernier par andhra Pradesh Gas Distribution Corp. pour le développement d'un projet de terminal méthanier flottant, sur la côte est de l'Inde.

On parle du GNL depuis des décennies. N'y a-t-il pas eu un faux départ de ce marché ?
Oui, nous en parlons depuis plus de quarante ans. la France, avec Gaz de France à l'époque, a participé activement à la construction du premier terminal d'exportation au monde, qui a démarré à Arzew en Algérie en 1964, puis à celui de Skikda quelques années plus tard. Les principaux clients étaient d'ailleurs la France et la Belgique. Depuis, le GNL n'a cessé de se développer en Asie, qui est aujourd'hui le premier marché international de gaz naturel liquéfié, mais aussi en Europe. Après les premiers terminaux de regazéification européens à Fos-sur-Mer et à Zeebrugge, la Grande-Bretagne et surtout l'Espagne se sont lancés. Il y en a cinq en Espagne.

Où en êtes-vous dans l'exploration et la production ?
Nous investissons entre 1 et 1,5 milliard d'euros par an sur l'amont, trois fois plus que ce que consacrait Gaz de France à l'exploration et à la production. Présents dans l'offshore en Norvège, en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas, nous sommes actifs dans l'on shore en Allemagne et en Algérie. Plus récemment, nous avons pris des positions en Indonésie, en mer Caspienne ou en Australie. Si sa contribution à nos résultats n'est pas négligeable - 2 des 16 milliards d'euros d'excédent brut d'exploitation enregistrés l'an dernier -, il est vrai que c'est la seule de nos activités pour laquelle nous n'avons pas l'ambition d'être parmi les trois premiers au niveau mondial. Le développement de cette activité a pour finalité de conforter nos positions sur le reste de la chaîne gazière, dans le GNL et dans l'aval gazier.

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Repères

2008 : Fusion de Suez avec Gaz de France. GDF Suez devient un des tout premiers énergéticiens de niveau mondial.

2012 : GDF Suez rachète 100 % d'International power.

1er : GDF Suez est le 1er importateur de GNL dans le bassin altantique.
3e : derrière le coréen kogas et le japonais Tepco, GDF Suez est le troisième importateur de GnL dans le monde.
3e : GDF Suez détient le 3e plus grand portefeuille de GNL, avec 16,5 millions de tonnes par an.
17 : Le nombre de navires GNL de GDF Suez. Capacités de regazéification en France, Belgique, Grande-Bretagne, états-Unis et Chili.

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Commentaires 6
à écrit le 15/10/2012 à 8:04
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Nous entendons tout et son contraire sur les gaz de schiste venant de gens qui en général ne connaissent pas la question !!! Nous pourrions en France , continuer au moins à autoriser de nouveaux forages d'étude qui ,seuls , permettent d'...

à écrit le 13/10/2012 à 21:53
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Y a t il d autres pays que la France dans le monde qui interdisent l exploration du gaz de schiste sur leurs territoires? Savez vous que la France possede la deuxieme reserve de gaz de schiste apres la Pologne?

à écrit le 18/07/2012 à 11:12
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Ne vous inquiétez pas...tout est paisible...si simplement vous pouviez regarder ailleurs...Pas de doute, le danger est de nouveau bien là. Que ce sujet reste un tabou...à jamais.

à écrit le 18/07/2012 à 7:26
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Petite erreur sur le lien concernant le numéro 301 de Science et pseudo-sciences. Voir ici : http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article1903

à écrit le 18/07/2012 à 0:01
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Pour se faire une opinion éclairée et dépassionnée sur les gaz de schiste, vous pouvez utilement vous instruire sur ce sujet en vous reportant au dernier numéro de Science et pseudo-sciences : http://www.latribune.fr/opinions/editos/20120717trib00070...

à écrit le 17/07/2012 à 21:21
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Attention les Ardéchois ne se laisseront pas faire ! On ne veut pas d'exploitation du gaz de schiste chez nous !!! Il ne faut pas négliger l'avis du peuple, car on ne se laissera pas faire, nous l'avons déjà montré l'an dernier. Stop gaz de schiste 0...

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