Start-up : il n'y a pas que l'argent qui compte

<b>LES FAITS - </b>Les nouveaux créateurs d'entreprises technologiques sont moins pressés que leurs aînés et peut être plus professionnels. Un phénomène intéressant au moment où le débat se focalise sur la fiscalité des plus-values...<br /> <b>LA NOUVEAUTE - </b>Ils prennent leur temps pour être sûrs de leurs produits, se démarquant ainsi des « starlettes » du web qui n'existent plus un an après leur naissance.
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« Nous visons les 100 millions dans quatre ans, pas les 10 millions dans dix ans ! » Encore un flambeur du Web qui a vu le film Social Network en boucle et s'approche à grande vitesse du crash ? Pas vraiment. Un ambitieux lucide. Jean-François Chianetta, un jeune Belge de 29 ans, a mis au point une application de réalité augmentée il y a deux ans. Sa start-up, Augment, a un formidable potentiel et il le sait (lire latribune.fr du 22 juillet 2012). Mais il est dans le B-to-C (business to consumer) où « seul le premier gagne ». Son produit : une application gratuite et simple qui permet à n'importe qui, en un seul clic, d'activer sur une image réelle des données de réalité augmentée. Sa stratégie de levée de fonds dans les semaines prochaines est totalement déterminée par la nature de sa start-up : « J'ai des besoins clairement identifiés : cinq ou six business développeurs dans le monde, six techniciens et un peu de cash pour déposer des brevets, explique-t-il. Je pourrais très bien assumer une croissance lente, aller voir les grandes entreprises, leur proposer des applis spécifiques et travailler sur chacune d'entre elles, contrat par contrat. Ce serait du temps perdu, je vais me retrouver bloqué à faire du service, avec le risque qu'un concurrent éventuel en profite pour me rattraper. » En fait, Jean-François Chianetta - et c'est nouveau - est aussi prudent qu'il est ambitieux : « Les banques ne me servent à rien dans une première levée de fonds. Je ne veux pas que nous perdions plus de 30 % du capital, et ça, les Français ont du mal à le comprendre : ils cherchent tout de suite à mettre la main sur une start-up prometteuse, quitte à ce que les fondateurs soient démotivés ou se retrouvent totalement dilués dès la deuxième levée de fonds. Je dois donc être raisonnable à ma première levée. Je préfère que Why Combinator [un fonds d'amorçage californien, ndlr] mette 25.000 dollars dans Augment en prenant moins de 9 % du capital et nous valorise à 500.000 dollars. Cela nous permettra de trouver d'autres fonds et d'avancer. Dans notre secteur, d'ici un an ou deux, nous pouvons avoir 300 concurrents. La seule stratégie possible est de rester numéro un, d'accroître notre réseau en faisant que tous les clients potentiels mettent notre appli sur leur site et ne pas diluer notre capital en attendant le moment où le marché va exploser. Tout le reste nous fait perdre du temps et de l'argent. » Jean-François Chianetta a tiré les leçons de l'affrontement Daily Motion-You Tube et de celui entre Linkedin et Viadeo. Dans chaque cas, c'est le même produit mais l'un est arrivé sur le marché une semaine avant l'autre et l'effet réseau a tout emporté. Combien veut-il lever ? Il est prudent : de 300.000 à 500.000 euros, ce serait bien. Pas question de flamber.

Une génération de start-up à croissance lente

Pour sa part, Alexandre Eisenchteter est peut-être tout aussi ambitieux. Lui, il est dans le B-to-B, et il assume sa croissance lente. Sa start-up, Stormz, est sur une niche : elle développe un outil qui peut révolutionner la stratégie interne des entreprises, essentiellement les soporifiques et interminables séminaires d'entreprise. Cet outil permet à chacun, via des tablettes, d'intervenir pendant les conférences, d'échanger, de débattre. C'est spécialisé, très spécialisé, mais ça marche. À peine créée, la start-up a récupéré quelques gros clients, généré un chiffre d'affaires et, même encore balbutiante, elle est l'une des rares à ne pas se déplacer aux Demo-Days de Paris, Berlin et Londres pour trouver des investisseurs. Stormz a une offre commerciale depuis juin, et sa stratégie est volontairement lente. Une « lean start-up », comme le dit Alexandre Eisenchteter : « Nous apprenons constamment de nos clients, nous faisons évoluer en permanence notre produit et nous préparons une deuxième génération pour 2013. Cela ne veut pas dire qu'à un moment nous n'aurons pas besoin de lever des fonds, mais lorsqu'on le fera nous connaîtrons parfaitement nos clients et produits. »Alexandre Eisenchteter est un autre exemple de cette nouvelle génération de créateurs de start-up, plus calmes, pas fascinés par les success stories du Web et même très critiques envers « les sites de geeks qui se comportent comme des "Gala du Web" ou des "Voici de la start-up" en encensant des starlettes du web qui, un an après, n'existent plus ». Il faut dire qu'Alexandre Eisenchteter est un « vieux » de 37 ans formé aux méthodologies de développement de projets et qui adore le monde de l'entreprise. Sa levée de fonds ? Il n'y a pas le feu ! « J'irai voir Oséo et Scientipole l'année prochaine, quand j'aurai des salariés et que j'aurai trouvé mon statut juridique idéal. » Une « démarche de bon sens » comme il le dit lui-même : « Toutes les start-up ne pensent pas forcément aux tours de tables et à la levée de fonds. On n'est pas tous des génies avec un produit génial au bon moment et la bonne idée qui rend riche. »

« On peut vivre sans levée de fonds »

Guilhem Bertholet est sur la même longueur d'onde. Il a lui aussi décidé de prendre son temps pour bien comprendre son marché. « J'espère pouvoir me passer de la levée de fonds, je pense que, dans un premier temps, on peut vivre sans et que ce n'est pas forcé-ment intelligent de morceler son capital. » Guilhem Bertholet a créé WeloveSaas, une start-up de pur B-to-B, qui conseille les entreprises sur les logiciels en location (Saas pour Software As A Service). On est dans le monde du cloud computing et c'est très porteur. De Lyon où il s'est installé, il décortique parfaitement l'évolution des start-up du Web : « Avant, le chemin des levées de fonds était balisé : jusqu'à 80.000 ou 100.000 euros on était dans la Love Money (l'argent des copains et de la famille, combiné à l'indé-modable Assedic Venture), puis de 150.000 à 600.000 euros, on passait chez les business angels et on finissait avec les fonds d'investissement. Ce modèle est en train de voler en éclats. D'abord parce qu'au départ monter une boîte ne coûte rien, tout s'emprunte, tout se reprend. Mais après, du moins dans le B-to-C, la mise monte très vite. Deux cent mille euros sur ces marchés-là, ce n'est rien. Il faut vite trouver deux ou trois millions. Dès que le marché démarre, il faut être prêt. Le jeu consiste à mettre le plus de monde autour de soi et dès que le marché démarre être capable de foncer pour être le premier. Lorsqu'un marché va s'emballer on le voit tout de suite avec le premier qui fait une grosse levée de fonds. Dès qu'il y en a un qui lève, on sait que la porte va se refermer derrière lui très vite et qu'il y a peut-être encore une ou deux places, pas plus. L'exemple, ce sont les sites de rencontres. Dès qu'une nouvelle tendance germe, il faut être là. Dans la dernière vague post-Meetic, seul Adopteunmec.com est passé ! »
En revanche, sur le B-to-B, c'est différent. « On a le temps d'identifier notre marché, de tâtonner, de refaire notre produit, continue Guilhem Bertholet. Avec Welove-Saas, on prépare actuellement le dernier étage de notre fusée. Jusque-là tout va bien. Mais après, cela va nous coûter cher, avec une longue phase d'évangélisation du marché. Aujourd'hui, il n'est plus nécessaire que nos levées de fonds viennent tôt. Les startupers du Web sont en train de changer : de moins en moins pensent que la levée de fonds est la première étape du développement. » Désormais, le modèle c'est un peu Balloon qui est devenu Wisembly. Une start-up qui s'est installée sur la communication interne d'entreprises, les colloques internes et séminaires avec des produits améliorant la gestion des réunions et la collecte des avis. Aucune levée de fonds, des produits améliorés avec les clients... Ils sont 18 et vont faire cette année un million de chiffre d'affaires.
Bien sûr, il y a des exceptions. Comme One Feat, qui a créé un jeu en réseau pour iPhone ou Android (lire latribune.fr du 6 juin 2012). Une idée, un réseau qui commence à fonctionner, quelques promesses... mais aucun business plan. Les trois fondateurs sont partis dans la Silicon Valley chercher les 500.000 dollars qu'aucun Français ne leur aurait donnés. Ils ont travaillé comme des dingues et ils ont leurs 500.000 dollars depuis peu, avec une liste d'investisseurs qui ressemble à un best of de la Silicon Valley. Personne ne sait où va One Feat, mais tout le monde a voulu en être. « Nous ne pouvons pas le dévoiler pour le moment car, en effet, tout n'est pas complète-ment terminé, explique Souheil Medaghri. Mais nous avons levé auprès d'une quinzaine d'Angels, dont de grands entrepreneurs américains avec une belle expérience produit. Nous avons aussi trois Angels français. » Ils étaient trois, ils sont six et ils vont s'installer définitivement aux États-Unis.

Changer dix fois de produit avant d'être prêt

One Feat, c'est donc l'exception : dès le début, le trio rêvait de la Silicon Valley et il l'a eu. Mais il va devoir maintenant travailler son produit. Exception car de moins en moins de start-up procèdent comme cela pour lever des fonds. Elles travaillent plutôt comme Gilles Poupardin, l'un des fondateurs de Whyd, à la fin de 2010. Sa start-up a passé des mois à tâter le terrain sans dépenser trop d'argent, et il a été assez convaincant pour trouver, à chaque fois, un mécène qui lui permettait de tenir encore un peu (275.000 euros levés en tout depuis son lancement). Au début, le produit de Whyd était en mélange de Facebook et de Pinterest. L'intuition était bonne, mais les poids lourds déjà là. Et puis leur réseau social a évolué, ils se sont aperçus que les internautes aimaient surtout se suivre les uns les autres en fonction de leurs intérêts musicaux. Alors ils ont suivi le mouvement, essayé de comprendre ce marché, et Whyd ne ressemble plus en octobre 2012 à ce qu'elle était en dé-cembre 2010. Et son produit, meilleur que Spotify ou Deezer, selon ses fondateurs (en plus il est gratuit). « Aujourd'hui, on est prêt, explique Gilles Poupardin. On a intégré l'incubateur de la Ville de Paris et on va vers la levée de fonds. Mais en B-to-C, c'est dur, très dur. Au début je pensais lever de 700.000 à 800.000 euros, mais c'est trop tendu. On est plutôt entre 300.000 et 400.000 euros, mais auprès de gens qui ont déjà une expérience et un réseau dans ce secteur et qui peuvent nous booster. Là, le modèle c'est Fab.com, la grande réussite du Web en 2011 », LA success story. Une entreprise qui a finalement trouvé son marché (ventes privées d'objets design), alors qu'au départ c'était un réseau social gay qui ne marchait pas. En moins d'un an, elle a levé plus de 100 millions de dollars sur le design.

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Commentaires 4
à écrit le 10/10/2012 à 9:35
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Quelle découverte, il y aurait des entrepreneurs qui ne sont pas d'abord cupide ! Il est rare (en cette période de loi de finance) d'entendre une voix (nouvelle voie ?) qui n'hurle pas avec les loups à la spoliation mais qui envisage qu'un entreprene...

à écrit le 07/10/2012 à 6:50
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D'accord avec l'article en prenant comme définition de l'argent celui provenant des levées de fonds. Par contre le sens argent = trésorerie va devenir encore plus crucial en cette période de raréfaction du cash. Donc amis startuppers créez des modèle...

à écrit le 05/10/2012 à 13:24
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"Why" Combinator ? :)

à écrit le 05/10/2012 à 11:21
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Y Combinator plutôt :)

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