Des milliards publics pour l'innovation, mais quels résultats ?

Comme lors des précédents millésimes, le projet de loi de Finances 2013 a renforcé l'action de l'État en faveur de la R&D. Malgré la rigueur. Logique : la croissance industrielle mondiale est générée pour les deux tiers par des produits nouveaux. Mais un trop grand saupoudrage nuit aux résultats.
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Avec un coût annuel supérieur à 4 milliards d'euros pour 12.850 entreprises bénéficiaires, le crédit impôt recherche (CIR) est la principale dépense fiscale de l'État. Il le restera, au moins en 2013. En effet, le projet de loi de Finances 2013 étend la base du CIR à certaines dépenses d'innovation comme les activités de conception de prototypes, les frais de personnel ou de fonctionnement ainsi que les frais relatifs aux brevets, dessins et modèles dans la limite de 400.000 euros par an à taux d'aide de 20%. Le coût de cette mesure est estimé à 152 millions en 2014 et à 200 millions par an à partir de 2018. L'accueil réservé à cette initiative est mitigé. « C'est un pied dans la porte. Il serait bien que la valorisation de la recherche, telles les dépenses de marketing, constituent la prochaine étape », se réjouit Jean-Eudes du Mesnil du Buisson à la CGPME. Même son de cloche au Comité Richelieu, où l'on attend d'autres mesures en faveur des entreprises innovantes. De son côté, France Biotech « s'inquiète de cette "réformette". Elle ne saurait masquer l'immobilisme du gouvernement pour créer, grâce au CIR, un contexte de croissance pour la France. Le CIR doit être associé, pour les grands groupes, à des collaborations avec des PME », souhaite André Choulika, le président de France Biotech, l'association qui défend le développement de l'industrie des biotechnologies et des sciences de la vie.

Est-ce à l'Etat de stimuler la R&D privée?

Au-delà des louanges et des critiques, cet énième effort en faveur de l'innovation, qui se conjugue avec celui réalisé vers l'enseignement supérieur, est logique. Selon l'OCDE, la croissance industrielle mondiale est générée pour deux tiers par des produits nouveaux. La seule issue de nos entreprises serait donc de participer à ce renouvellement de l'offre en proposant des biens capables de séduire la demande française, européenne et, dans un monde idéal, planétaire. Ce détail est important. Finie la glorification des lauréats du concours Lépine qui mettent parfois au point des ustensiles révolutionnaires mais invendables.
Mais est-ce à l'État de stimuler la R&D privée? Il n'a pas le choix. Pour deux raisons : les banques françaises se détournent des projets innovants, par nature risqués ; le capital-investissement est insuffisamment développé, notamment pour financer la dernière phase des projets innovants, juste avant leur commercialisation. Quant à l'influence des business angels, elle reste confidentielle malgré les bonnes volontés. Alors, les milliards publics coulent à flots. Car le CIR n'est pas l'unique soutien public à l'innovation.
De nombreuses structures sont déjà en place. Citons le Fonds unique interministériel, dont le budget s'est élevé à 1,5 milliard entre 2009 et 2011, l'Agence nationale de la recherche (900 millions de budget en 2012), l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (700 millions), Oséo Innovation (350 millions), les pôles de compétitivité (plus de 4,3 milliards entre 2005 et 2011), et, surtout, le Programme des investissements d'avenir financé par les 35 milliards du Grand Emprunt. La prochaine Banque publique d'investissement (BPI) devrait également participer à la cause.

Plusieurs pays font mieux que la France

L'État est-il récompensé de ces efforts? Pas vraiment. La R&D privée dont découle l'innovation, ne dépasse pas 1,3% du PIB selon le Tableau de bord de l'innovation 2012 de la Commission européenne. Elle dépasse les 2% au Danemark, en Finlande, en Suède et en Suisse. Conséquence, la balance commerciale est dans le rouge depuis 2004. La part de marché de la France dans le commerce mondial est en chute libre (4,1% en 2011, contre 4,8% en 2009). Même dans sa zone d'influence commerciale privilégiée, la France souffre. Selon l'institut COE-Rexecode, ses exportations ont cédé 0,3% sur un an au deuxième trimestre au sein de la zone euro qui concentre les deux tiers de ses partenaires commerciaux. Sur la même période, celles de la zone euro ont progressé de 5,7%. « En conséquence, la part des exportations françaises dans les exportations européennes a fléchi à 12,9%, un nouveau record à la baisse », constate l'institut.

Pour exporter plus, l'innovation ne suffit pas

Alors, l'État doit-il revoir sa copie? Pour certains économistes, le saupoudrage est inefficace car il multiplie les effets d'aubaine. Dans un rapport daté de 2011 (lire encadré ci-contre), le Conseil d'analyse économique (CAE) suggérait la mise en place d'une politique uniquement ciblée vers les secteurs industriels d'avenir.
Plus globalement, ne serait-ce pas la politique en faveur des entreprises qui devrait être remise en cause. « Innover, exporter n'est possible que si les entreprises ont les reins solides sur le plan financier, au-delà des aléas de la conjoncture. Or, en France, de multiples seuils empêchent les entreprises de grandir », s'inquiète Éric Hayat, le président du groupement d'intérêt public Modernisation des déclarations sociales (MDS). Jean-Eudes du Mesnil du Buisson enfonce le clou : « Ces efforts ne seront pleinement efficaces que si l'environnement économique des entreprises s'améliore. » Cette notion de taille critique pose également celle des fonds propres. Parce que les entreprises sont sous-capitalisées, elles ne peuvent autofinancer leurs projets.
Par ailleurs, ce déficit d'innovation du made in France oblige les entreprises à ne compter que sur la seule compétitivité-prix pour rester en vie, ce qui entraîne la chute de leur taux de marge. Historiquement bas, il s'élèverait en moyenne à 27,3% cette année selon l'Insee. Il atteignait 30% en 2010 et 38,4% en 2000.

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Indispensable industrie
Au milieu du XXe siècle, l'économiste autrichien Joseph Schumpeter a théorisé le concept de « destruction créatrice » favorisée par l'innovation. Dans les années 1950, le rôle essentiel du progrès technologique et des connaissances dans la croissance du PIB par habitant a été mis en évidence par l'Américain Robert Solow, prix Nobel d'économie. Dans les années 1990, un autre Américain, Paul Romer, économiste à Stanford, expliquait ce même phénomène avec sa « théorie de la croissance endogène », résumée ainsi : les connaissances développées par une entreprise, grâce à ses dépenses de R&D, ont aussi un impact favorable sur les autres entreprises par un processus de diffusion des idées.
Pour autant, la promotion de l'innovation peut difficilement réussir si elle ne s'ancre pas dans une économie industrielle dynamique : c'était l'un des principaux enseignements d'un rapport du Conseil d'analyse économique, intitulé Crise et croissance : une stratégie pour la France, réalisé en 2011 par les économistes Philippe Aghion, Gilbert Cette, Élie Cohen et Mathilde Lemoine.

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