Les dates qui ont fait l'économie allemande (4/7) : le 23 août 1887

Les Britanniques ont pensé défendre leur production contre les produits allemands, alors mauvais et bon marché, en obligeant l'indication de l'origine des produits. Mais l'Allemagne va faire de ce piège un atout et du "Made in Germany" une publicité gratuite.
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Les industriels anglais ne cachent pas leur joie. Après des mois de pressions, d'espoirs déçus et de réclamations, la reine Victoria vient d'apposer son paraphe à la loi approuvée par les deux chambres du parlement britannique. La nouvelle version de la Merchandise Marks Law est promulguée. Désormais, tout produit commercialisé dans l'Empire britannique doit indiquer son origine géographique précédée de la mention « Made in »

Sheffield vs Solingen

Ce 23 août 1887, la victoire est particulièrement appréciée à Sheffield, dans le Yorkshire méridional. Dans cette capitale de l'acier anglais, spécialisée dans les produits de consommation courante comme les ciseaux, les couteaux ou les outils, on s'alarmait en effet depuis des années de la concurrence de produits bon marché. D'autant que ces outils, en fonte et d'une finition imparfaite, prétendent souvent provenir de Sheffield. Or, la plupart d'entre eux sont fabriqués en Allemagne, principalement dans la ville rhénane de Solingen. Avec cette nouvelle loi, les industriels anglais espèrent que le « made in Germany » désormais obligatoire fera fuir les clients. Car, à cette époque, la production allemande a fort mauvaise presse.

Copies à bas coûts, made in Germany

L'Allemagne s'est industrialisée plus récemment que les autres pays d'Europe occidentale. Sa productivité, son inventivité n'est pas encore, dans les années 1860 et 1870, à la hauteur des autres pays d'Europe occidentale et il lui est impossible de rivaliser avec les produits britanniques ou français. Les industriels allemands jouent donc sur leur seul atout : le coût de la main d'oeuvre, très faible outre-Rhin en raison d'une forte poussée démographique et d'un niveau de vie plus bas. Ils copient alors dans des versions à bas coûts les produits de leurs concurrents.

La Chine des années 1860-1880

Grâce à cette stratégie, les exportations progressent. En 1874, l'Allemagne pèse déjà pour 9,5 % du commerce mondial. Dix ans plus tard, le Reich dépasse la France et devient la troisième puissance exportatrice du monde. En 1880, plusieurs pays s'inquiète de la stratégie allemande. Une conférence internationale tente de trouver un accord pour protéger la propriété industrielle qui débouche trois ans plus tard sur la convention de Paris signée par onze pays dont la France, l'Italie et la Belgique. Londres signe un an plus tard. Mais l'Allemagne ne veut pas en entendre parler, évidemment. Le revers des succès allemands à l'exportation, c'est que La réputation des produits du Reich est exécrable. Lors de l'exposition universelle de 1876 à Philadelphie, les produits allemands sont désignés par la plupart des observateurs comme « bon marché et de mauvaise qualité. » Les produits allemands sont alors un peu ce qu'étaient dans les années 2000 les produits chinois.

Les gentlemen de Sheffield ont donc les meilleures raisons de croire que la loi votée à Westminster va mettre fin à la concurrence allemande. Le consommateur, guidé désormais, choisira sans hésiter le « made in England » au « made in Germany. » Il se trompe en réalité assez lourdement, car déjà la stratégie allemande à l'export a pris un tournant décisif.

Essor des investissements et maintien des coûts bas

L'économie allemande change en effet radicalement dans les années 1880. Les fruits de vingt ans de croissance commencent à porter. Les banques prospèrent et investissent désormais massivement dans l'industrie. Les entreprises disposent de ressources abondantes, elles commencent à investir dans leur outil industriel. Le mouvement est encore renforcé par la concentration horizontale et verticale qui s'opère, la « cartellisation », qui favorise la baisse des coûts et la capacité d'investissement du pays. Progressivement, la qualité de la production s'améliore nettement, sans que le prix des produits allemands n'augmente considérablement, notamment parce que le travail demeure relativement bon marché. En 1910, une heure de travail dans l'industrie coûtait encore en Allemagne 16 % de moins qu'au Royaume-Uni.

L'Allemagne, championne de la « deuxième révolution industrielle »

Mais l'évolution de l'industrie allemande va plus loin : le pays va prendre la tête, avec les Etats-Unis, de la « deuxième révolution industrielle. » Les investissements consentis dans le domaine des instituts techniques au début de l'industrialisation du pays finissent par payer. Jusqu'ici les inventions venaient du Royaume-Uni ou de France, elles sont désormais originaires d'Allemagne. Ces jeunes industries sont alors protégées par le passage au protectionnisme du pays en 1879. Elles se développent à l'abri de ces droits de douanes avant d'aller conquérir les marchés étrangers. L'automobile est l'industrie la plus mythique de ce temps avec les inventions de Carl Benz, mais l'industrie chimique avec des entreprises comme BASF, Hoechst, Agfa et Bayer joue un rôle encore plus important. Les produits allemands deviennent alors incontournables sur ces nouveaux marchés où Français, mais surtout Britanniques ont pris du retard.

« Publicité gratuite »

Neuf ans après le nouveau Merchandise Marks Law, en 1896, un journaliste britannique, Ernest Edwin Williams publie un pamphlet intitulé « Made in Germany » où il dénonce l'omniprésence des produits allemands dans la vie quotidienne des Britanniques et réclame des mesures protectionnistes. Mais il est déjà trop tard : la qualité des produits allemands est désormais équivalente à celles des produits britanniques et, dans beaucoup de domaines, supérieure. En 1901, le Reich ratifie la convention de Paris : l'Allemagne a désormais besoin de protéger sa propriété industrielle. Avant la première guerre mondiale, elle fait jeu égal dans le match des exportateurs mondiaux avec le Royaume-Uni et derrière les Etats-Unis. Au moment de sa reconstruction, après la seconde guerre mondiale, le pays saura se souvenir de cette capacité à conquérir le marché mondial. Et saura à nouveau s'appuyer sur ce « Made in Germany », symbole désormais d'une production haut de gamme et technologiquement avancée. Ce qui devait être une marque infamante est finalement devenue, comme le décrit Ernest Edwin Williams, une « publicité gratuite » pour les produits allemands. Elle l'est encore aujourd?hui.


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