Oui, la Chine, les Etats-Unis, la Russie tirent leur croissance. Mais, paradoxalement, ils réussissent aussi... sur un marché européen pourtant en pleine crise. Un comble. Qui sont-ils?...les constructeurs automobiles de haut de gamme, bien sûr! «Le marché du "Premium" continue de mieux se comporter que le marché total en Europe», expliquait ainsi récemment à La Tribune Ian Robertson, membre du directoire de BMW en charge des ventes et du marketing. «En France, les ventes des marques «premium» résistent bien mieux», renchérit Marc Langenbrinck, directeur général de Mercedes-Benz Cars France. De fait, les immatriculations de voitures des marques haut de gamme sont restées... stables sur onze mois dans l'Union européenne à un peu plus de 2,2 millions d'unités, alors que le marché total des voitures particulières reculait dans le même temps de... 7,6%! Les labels de haut de gamme (BMW, Audi, Mercedes, Porsche, Lexus, Volvo, Jaguar et Land Rover...) représentent désormais 20% des ventes totales de véhicules sur le Vieux continent, contre 18% il y a un an, 17,5% cinq ans auparavant et... 16% il y a dix ! En un an, les immatriculations dans l'Union européenne d'Audi ont même progressé de 4,5%, celles de Jaguar et Land Rover carrément de 27,6%. BMW (avec Mini) et Mercedes ont certes un peu reculé, mais beaucoup moins que le marché lui-même.

Contraste flagrant en France

En France, le contraste entre les spécialistes du «premium» et le groupes automobiles généralistes est encore plus flagrant. Les premiers ont progressé -légèrement- à 165.000 véhicules environ sur onze mois, sur un marché en chute de presque 14% dans son ensemble. Dans l'Hexagone, toutes les grandes marques de haut de gamme allemandes sont en progression (+8,8% pour Mercedes, +4,9% pour Audi, +0,7% pour BMW avec Mini). Pas mal, puisque les constructeurs généralistes majeurs -sauf le coréen Hyundai-Kia- reculent, avec même des plongeons sévères pour PSA Peugeot Citroën (-17,7% sur onze mois), Ford et GM (-18% chaque), Renault (-21,7% avec Dacia), le groupe Fiat (-24%). Les marques de haut de gamme s'arrogent 10% des immatriculations totales aujourd'hui en France, contre 8% il y a un an à peine. Les ventes des fameuses DS de Citroën, intégrées à celle de la firme aux chevrons, ne sont pas incluses. Pas plus que celles d'Alfa Romeo, le label de Fiat que l'on ne peut plus vraiment qualifier de haut de gamme.

Usines à plein régime

Le haut niveau des ventes sur le Vieux continent, mais aussi l'exportation à partir de la base industrielle ouest-européenne, ont permis aux sites de BMW, Audi ou Mercedes, Jaguar Land Rover, de tourner à plein régime cette année. L'usine Mercedes de Rastatt, près de la frontière française, travaille en trois équipes. En mal de capacités, BMW va même faire appel à l'ancienne usine néerlandaise du japonais Mitsubishi pour y fabriquer des Mini supplémentaires. Ce qui n'a pas empêché le groupe bavarois d'annoncer en juillet dernier qu'il comptait investir pour augmenter son potentiel industriel pour lesdites Mini à Oxford, en Grande-Bretagne. Jaguar Land Rover (JLR) a créé pour sa part, au cours de ces deux dernières années, 1.100 nouveaux emplois sur le site de Castle Bromwich, 1.000 à l'usine de Solihull et 1.000 à Halewood, tous situés outre-Manche. La firme, contrôlée par l'indien Tata, a décidé de faire fonctionner en trois huit Halewood et Solihull, spécialisés dans les 4x4, afin de répondre à l'augmentation de la demande. Seul, parmi les spécialistes européens du haut de gamme, le suédois Volvo (propriété du chinois Geely) est à la peine et a dû réduire ses cadences de fabrication en Suède et en Belgique.

Elargissement des gammes vers le bas

L'offensive du haut de gamme en Europe s'explique certes par le fait que les «riches» sont moins touchés par la crise que les autres. Mais l'explication, qui séduit tant les amateurs de simplifications populistes, demeure un peu courte. Car, les constructeurs de haut de gamme élargissent leur offre... vers le bas. La gamme d'Audi démarre ainsi à 17.000 euros actuellement (A1). Pas si cher. La filiale de Volkswagen vend d'ailleurs essentiellement en France des A3 compactes ou des A4 de gamme moyenne, pas des limousines A8 ou d'énormes 4x4 Q7, très loin de là! La bonne tenue des ventes de Mercedes en France résulte, quant à elle, du récent lancement des nouvelles compactes Classe A (berline) et B (monospace).

Une solide image qui rassure

En période de crise, une bonne partie des clients préfère se réfugier dans des valeurs sûres, des véhicules à forte réputation, qui conserveront une solide valeur de revente. Quitte à débourser 3.000 euros de plus à l'achat par rapport à un modèle équivalent d'une marque généraliste, soupçonné à tort ou à raison d'être moins fiable, moins bien fini, moins durable. Par ailleurs, les progrès technologiques de BMW, par exemple, sont tels qu'une BMW 3.20 d ED (Efficient Dynamics) générera aussi de réelles économies de carburant, tant ses consommations (et ses rejets corrélés de C02) sont basses. Ce n'est donc pas (seulement) un achat irrationnel. Certaines de ces marques, comme BMW ou Lexus (Toyota), sont renommées en outre pour leur service après-vente. Un «plus» fondamental dans la vie quotidienne. In fine, le primat de la qualité (matériaux, ajustements), de l'élégance du design extérieur et intérieur qui résistera aux modes, du bel objet un rien intemporel, de la haute technologie, des prestations soignées, paye toujours... Même si, sur le strict plan de la fiabilité des produits, une simple Toyota ou Honda nippone sera souvent une meilleure affaire, comme l'attestent les enquêtes auprès des utilisateurs. Comme quoi, oui, il y a également la part du rêve, de l'émotion esthétique (à l'origine du formidable succès du 4x4 Range Rover Evoque), du plaisir de conduite, et de la valorisation sociale.