La compétitivité des entreprises, victime collatérale de l'inflation des prix de l'immobilier

Perte de compétitivité des entreprises, paupérisation des ménages les plus modestes, accentuation des inégalités sociales et générationnelles, dégradation de l'environnement, l'inflation des prix de l'immobilier a des conséquences diverses, pas toujours mises en avant. Un rapport de Bercy en dresse la liste et le coût.
Vue aérienne de Bordeaux. /Photo d'archives/REUTERS/Régis Duvignau

Si l'on dresse un bilan de la santé de l'économie française depuis le début du XXIe siècle, il n'est guère réjouissant. Les causes sont multiples mais une semble tout particulièrement corréler la dégradation de notre économie : la hausse des prix dans l'immobilier. Dans le rapport économique, social et financier associé au projet de Loi de finances 2013, les services de la direction générale du Trésor pointent du doigt cette hausse insensée du prix de la pierre en France, qui a plus que doublé depuis le début de ce siècle.

Dégradation de la compétitivité des entreprises

Or il est rarement mentionné que l'évolution croissante de ces prix de l'immobilier au cours des quinze dernières années a vicieusement contraintes les entreprises. La supposée faible compétitivité des entreprises françaises, érigée aujourd'hui en complexe national, est souvent expliquée dans les vifs débats qui se tiennent depuis le second semestre 2012, par la pression fiscale et la rigidité du marché du travail, qui justifieraient les difficultés à se développer des TPE, PME et autres ETI françaises.

Cette cherté de l'immobilier aurait dégradé la compétitivité des entreprises « en pesant sur leurs coûts, à la fois directement via le prix des loyers et des investissements immobiliers, mais également plus indirectement du fait de la pression sur les salaires nominaux », indique ainsi Bercy. Ce qui a renchéri le coût du travail, abaissé « la compétitivité coût des entreprises françaises et détérioré la balance courante », ajoute le rapport.

En outre, selon une étude du Credoc, les difficultés des salariés à se loger près de leur travail à cause des prix exorbitants des logements les poussent à s'éloigner, nuisent à leur productivité, dégradent le climat social dans l'entreprise et compliquent les négociations salariales. Sans oublier qu'étant donné la distance, le recrutement des entreprises ne pourra pas être aussi idoine qu'espéré.

L'immobilier prend une place importante dans les dépenses

Les entreprises pourraient également bénéficier davantage de l'épargne massive des ménages français. Mais celle-ci est largement ponctionnée par les emprunts immobiliers, qui prennent une place croissante dans les dépenses des Français. Ainsi, « on observe entre 1993 et 2012 que la part des crédits aux entreprises dans les crédits au secteur privé (entreprises et ménages) a diminué de 13 points au profit des crédits à l'habitat », souligne Bercy.
En parallèle, les coûts élevés liés à l'immobilier supportés par les entreprises évincent mécaniquement d'autres dépenses d'investissement fondamentales à l'amélioration de la compétitivité du tissu économique français, comme l'investissement en machines-outils ou en recherche et développement.
Pour comparer avec l'Allemagne, « le taux d'investissement de l'ensemble de l'économie a été, depuis 2002, légèrement plus élevé en France, mais l'Allemagne a connu un taux d'investissement hors construction supérieur depuis cette date », indique Bercy.

Facteur d'inégalités sociales...

En plus de dégrader la santé des entreprises, la hausse des prix de l'immobilier creuse sensiblement les inégalités sociales et générationnelles. Le poids du logement dans le budget des ménages (taux d'effort) croît en effet plus fortement pour les plus modestes. Ainsi, en dix ans, ce taux d'effort pour se loger a augmenté de plusieurs points pour les ménages modestes (les 25% les plus pauvres), alors qu'il n'a que très peu évolué pour les plus aisés.
Par ailleurs, la flambée du prix de la pierre a sorti de l'accession à la propriété un certain nombre de ménages modestes, les poussant à louer. La part des locataires au sein des ménages modestes s'établit ainsi à 66 % en 2010, contre 61 % en 2006.
Or, dans un contexte de progression des loyers, « les locataires du parc privé ont subi la plus forte hausse de taux d'effort », remarque Bercy. La hausse a même été encore plus marquée au sein des ménages modestes, soit + 7,6 points entre 1996 et 2006 et + 1,9 point entre 2008 et 2010.

... et intergénérationnelles

Le bond de l'inflation immobilière étant principalement marqué depuis la fin des années 1990, toutes les générations n'ont pas le même rapport au logement. Logiquement, la hausse récente des prix a conduit à « un accroissement des inégalités de patrimoine entre générations puisque les ménages âgés sont plus souvent propriétaires que les jeunes ménages », constate Bercy. En outre, « les dépenses de logement ont plus augmenté pour les ménages jeunes ». « La part des dépenses de logement par mètre carré dans les dépenses totales des ménages dont la personne de référence est âgée de moins de 25 ans est 1,6 fois plus élevée que pour l'ensemble des ménages. En 1985, ce ratio était de 1,2 », précisent les services du ministère de l'économie.

Un cercle vicieux

Ces populations les plus fragiles rentrent alors dans un cercle vicieux. En difficulté pour se loger dans des conditions financières décentes dans le parc privé, elles demandent des logements sociaux, dont l'accès devient sous l'effet d'une demande croissante de plus en plus difficile dans les zones tendues. Et malgré la croissance du parc, l'écart croissant entre les loyers HLM et les loyers du parc privé réduit les possibilités de sortie du parc à loyers modérés. « Depuis 2000, le nombre de ménages vivant depuis moins de 3 ans dans leur logement chute », explique ainsi Bercy.
Les risques de surendettement ou de mal-logement deviennent du coup importants pour ceux qui restent aux portes du parc HLM et qui n'ont théoriquement pas les moyens d'accéder au parc privé.

L'étalement urbain face à la nature

Le ministère de l'Economie met également en évidence dans son rapport la disparition des campagnes. La limitation de l'offre de logements dans les centres-villes qui fait croître les prix contraint en effet les ménages à s'éloigner. L'étalement urbain qui en découle, croissant en France dans les grandes métropoles, engendre ensuite la disparition d'espaces naturels et agricoles. Ainsi Bercy indique qu'entre 2006 et 2010, les sols agricoles ont perdu 86.000 hectares par an au profit des sols artificialisés, contre 61.000 hectares par an de 1992 à 2003.

L'exception allemande...

Pour relativiser le tableau sombre dressé par l'inflation immobilière, il peut être utile de s'inspirer des bonnes idées des autres européens. C'est d'autant plus instructif que le voisin allemand, dont les entreprises sont perçues comme remarquablement compétitives et le chômage faible, a su maîtriser le prix de la pierre à l'intérieur de ses frontières. Quand celui de la France a plus que doublé depuis le début des années 2000, le sien a pris à peine plus de 10%. Un hasard ? Bercy n'en n'est pas convaincu et estime « probable que la politique de forte modération salariale (en Allemagne, notamment les réformes Hartz. ndlr) aurait été plus difficile à mettre en ?uvre si le prix de l'immobilier avait connu la même envolée qu'en France ».


... et la culture de la location

L'Allemagne fait même figure d'exception européenne pour sa maîtrise des prix de l'immobilier. Il faut dire qu'elle possède une culture locative bien trempée. Par comparaison, alors que près de 60% des Français sont propriétaires, seuls un peu plus de 40% des Allemands le sont. L'offre locative y est en effet prolifique car le secteur est protecteur et efficace. Les hausses de loyers sont par exemple encadrées et renégociables seulement sous certaines limites, qui, si elles sont outrepassées, peuvent faire l'objet d'une sanction pénale. Une politique incitative à la location qui diminue la pression sur les prix à la vente.
La maîtrise des prix de la pierre outre-Rhin ne serait cependant pas possible sans une relative abondance de logements. Depuis l'après-guerre, l'Allemagne semble avoir mieux adapté la construction de ses logements à la structure de sa population. En tout cas, davantage qu'en France. Un chiffre est dans ce cadre accablant : les besoins de logements annuels en Allemagne sont de près de 40% inférieurs aux besoins en France.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 5
à écrit le 08/01/2013 à 14:24
Signaler
Quelle est cette foutaise qui voudrait lier compétitivité des entreprises et cout de l'immobilier ? Les entreprises s'installent là où les communes leur accordent des exonérations d'impots et autres facilités .Voir l'exemple de Toyota à Valencienne q...

le 08/01/2013 à 15:30
Signaler
Ne vous en déplaise, ce rapport de Bercy est mieux argumenté et pertinent que votre argulent d autorité d un seul mot: foutaise. Ce rapport demontre par A + B ce que vous balayez d un revers de main. C est evident et mecanique que la situation ubue...

à écrit le 08/01/2013 à 14:14
Signaler
Analyse pertinente. Le coût de l'immobilier ampute le pouvoir d'achat des français. Pourquoi achetons nous moins de voiture neuves? de produits industriels, de loisirs.... Parce que toutes notre argent passe dans le remboursement d'un prêt immobilier...

à écrit le 08/01/2013 à 13:49
Signaler
Cette belle génération de 68 qui s'accroche au pouvoir et qui a endetté ses enfants et les a condamné à la précarité !

le 08/01/2013 à 17:28
Signaler
Il y eut la Terreur pour moins que cela en d'autres temps (nota : il s'agit d'un constat et non d'une nostalgie quelconque d'une des périodes les plus difficiles de l'Histoire de France)

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.