À Berlin, les poissons sont transformés en jardiniers

Un institut berlinois a développé une nouvelle technologie verte. Appelée « aquaponie », elle combine culture des légumes hors-sol et élevage de poissons. Une start-up essaie de promouvoir cette nouvelle agriculture, urbaine et durable.
Poissons tropicaux, les tilapias ont été choisis car ils apprécient les eaux chaudes qui conviennent aussi à la culture sous serre. / DR

C'est une histoire d'eau, de poissons et de tomates. Le tout dans une serre remplie de bacs et de bassins. Une innovation patiemment développée depuis plusieurs années dans un centre de recherche installé sur les rives du Müggelsee, lac situé au sud-est de Berlin.

L'idée : une nouvelle méthode de culture, destinée à nourrir la population de façon durable, sans émissions de CO2 et en économisant autant que possible les ressources. Le projet est l'oeuvre de Werner Kloas, chercheur à l'Institut Leibniz de l'écologie d'eau douce et de la pêche continentale (IGB). Ce spécialiste des poissons a eu l'idée en 2007 de reprendre les travaux ébauchés par un collègue au temps de la RDA - le centre de recherche se trouvait alors à l'est du rideau de fer. On cherchait déjà à l'époque une méthode pour cultiver de manière durable, dans un contexte est-allemand de rareté des ressources.

Appelée « aquaponie », la technique consiste à associer l'aquaculture - élevage des poissons - et l'hydroponie - culture hors-sol de plantes. Elle repose sur l'utilisation des eaux usées des poissons, avec leurs engrais naturels, pour la nutrition des tomates, concombres et autres cultures installées à proximité des bassins. La vapeur d'eau transpirée - et ainsi nettoyée - par les plantes est ensuite condensée et reversée dans les bassins. Une double utilisation de l'eau qui permet de réaliser d'importantes économies.

« Avec un tel système, il ne faut changer qu'environ 3% de l'eau des bassins chaque jour, contre 6 à 10 voire 12% pour l'aquaculture classique », pointe Werner Kloas.

Autres intérêts : une utilisation moindre d'engrais et une faible émission de CO2, celle des poissons étant absorbée par les plantes.

Une ferme modèle urbaine de 2.000 m2 en projet

Gourmand en énergie, le site peut-être alimenté - comme c'est le cas à l'institut - par des panneaux solaires, ou encore d'autres énergies renouvelables comme des centrales de biogaz, précise Werner Kloas, dont le projet est soutenu financièrement par le ministère de l'Éducation et de la Recherche.

Le poisson ? Des tilapias tropicaux, proches de la perche du Nil, qui aiment les eaux chaudes et sont donc adaptés aux températures élevées propices à la culture sous serre. Pour le chercheur, une telle technique peut réduire l'empreinte écologique de l'aquaculture :

« C'est le secteur qui progresse le plus dans l'agriculture, avec presque 10% de croissance par an. Mais la plupart du temps, il n'est pas durable, et les cultures intensives rejettent d'importants volumes d'eaux usées », explique Werner Kloas.

« Mon ancien collègue Bernhard Rennert a travaillé il y a environ trente ans sur cette technique sans obtenir de résultats satisfaisants. La production de légumes comme la culture des poissons n'étaient pas optimales », observe-t-il.

Au lieu d'un seul circuit d'eau fermé, Werner Kloas en a donc créé deux, séparés, ce qui lui permet d'obtenir les meilleures conditions de croissance pour poissons et plantes. Le système ainsi amélioré a été breveté en 2009. Les kilos de poisson et de tomates obtenus sont quant à eux distribués aux salariés de l'institut de recherche.

« Il s'agit du projet le plus apprécié du centre », sourit le scientifique.

Si ses économies en eau en font une technique prometteuse pour les régions arides, le système est transposable partout, et notamment en milieu urbain, sur les toits, parkings ou autres surfaces disponibles. Une start-up berlinoise ambitionne d'ériger cette année une ferme modèle de 2.000 m2 au beau milieu de la capitale allemande, à proximité directe des consommateurs, sur le site de la Malzfabrik, une ancienne brasserie industrielle reconvertie en projet artistique et immobilier. ECF (Efficient City Farming), fondée il y a deux ans, est actuellement en pleine recherche de financement. L'entreprise indique avoir récolté environ la moitié du 1,6 million d'euros nécessaire (dont 1,1 million d'euros pour la construction du site).

« C'est une phase très difficile, c'est nouveau, il n'y a aucun projet similaire pour nous servir de référence, nous devons donc convaincre les investisseurs », souligne Nicolas Leschke, cofondateur.

L'entreprise compte quatre employés, et occupe actuellement les locaux gracieusement mis à disposition par le programme européen « Climate-Kic » dans son incubateur de start-up à Berlin.

Son objectif : « Développer, planifier et construire des sites aquaponiques », explique Nicolas Leschke. Et ce à l'aide des brevets développés par l'IGB.

« Nous voulons être une alternative et offrir un accès à des aliments produits de façon durable », résume-t-il.

L'homme d'affaires croit en un modèle de vente directe aux consommateurs permettant de réduire la chaîne du froid et les émissions de CO2 liées aux transports. Les supermarchés, qui pourraient ainsi cultiver leurs produits directement à proximité des points de vente, « portent un grand intérêt au projet », assure-t-il. La start-up a remporté en décembre le prix CleanTech créé dans la Silicon Valley et récompensant les start-up « vertes » les plus innovantes.

L'Europe finance un programme de promotion

ECF vendra la production de sa future ferme berlinoise (24 tonnes de poisson et de 30 à 35 tonnes de légumes et herbes par an) via un système d'abonnements aux particuliers ou encore aux restaurateurs de la capitale. Mais il ne s'agit que d'une ferme modèle visant à convaincre ses futurs clients. La start-up vise avant tout les entrepreneurs, prêts à investir et à opérer seuls de telles fermes, qu'elle approvisionnera ensuite en engrais et poissons. Le hic : le coût d'un tel investissement est assez élevé.

« Près d'un million d'euros pour 1.000 m2 », estime de son côté le professeur Werner Kloas, qui souligne cependant que les économies d'échelle sont possibles :

« Plus les fermes seront grosses, plus les coûts seront réduits. »

ECF propose également de construire des sites plus importants en périphérie des villes.

« 10.000 m2, c'est la taille optimale pour une ferme en matière d'économies d'échelle », estime Nicolas Leschke.

Parallèlement aux tentatives commerciales de la start-up, du côté de Müggelsee, les chercheurs de l'IGB cherchent également à développer leur projet. Si la ferme test de 170 m2 fonctionne techniquement, reste maintenant à prouver sa viabilité économique et à sensibiliser les acteurs économiques et politiques.

C'est l'objectif du programme « Inapro » annoncé début février par le centre de recherche : financé par l'Union européenne (6 millions d'euros) et prévu sur une durée de quatre ans, il prévoit la création de quatre sites de plus grande échelle (500 m2) en Allemagne, en Belgique, en Espagne et en Chine. Une plongée dans le grand bain pour les poissons-tomates de Werner Kloas.

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