Les producteurs d'éthanol et de biodiesel ont investi collectivement 2 milliards d'euros dans leur outil de production et entendent bien le rentabiliser. En pleine campagne présidentielle, les industriels français des biocarburants profitent du salon de l'agriculture pour publier leur « livre blanc ». Celui-ci contient sept propositions visant à pérenniser les débouchés d'une filière de plus en plus controversée.
Ces demandes consistent essentiellement à contrer des distorsions de concurrence avec des produits importés de pays non européens, à maintenir une fiscalité favorable au moins jusqu'à fin 2015 et enfin à favoriser le développement de biocarburants existants ou en phase de développement. Les professionnels réclament surtout une « feuille de route précise quant aux objectifs d'incorporation des biocarburants » et une réaffirmation publique claire du soutien à la filière.
Réunis au grand complet lors du salon de l'agriculture, les représentants des filières bioéthanol (substituable à l'essence) et biodiesel (susceptible de remplacer le gazole) n'ont pas manqué de rappeler les vertus des biocarburants : bénéfices environnementaux grâce à la réduction des émissions de CO2 prenant en compte l'absorption du carbone pendant la croissance des plantes ; contribution à l'indépendance énergétique française (et à la diminution du déficit du commerce extérieur, aujourd'hui imputable pour moitié aux importations d'énergie) ; participation à une plus grande autonomie en matière d'alimentation animale grâce aux co-produits des biocarburants ; diversification des débouchés pour les agriculteurs et, argument suprême en pleine campagne électorale, création ou maintien d'environ 11.000 emplois non délocalisables.
Indispensables pour atteindre les objectifs européens en 2020
Rappelant que les biocarburants de deuxième génération, issus de tout ou partie de denrées agricoles non alimentaires, ne seraient pas au point avant la fin de la décennie, les représentants des filières bioéthanol et biodiesel ont souligné le rôle essentiel de ceux de première génération pour atteindre l'objectif européen de 10 % d'énergies renouvelables dans les transports à l'horizon 2020. Aujourd'hui, l'objectif français est de 7 % d'incorporation, pour un taux réel d'environ 6,5 %.
En termes de fiscalité, ils réclament le maintien des allégements fiscaux dont bénéficient aujourd'hui les unités industrielles agréées. L'allègement sur la TIC (taxe intérieure sur la consommation, ex. TIPP), dont bénéficie la production de ces usines qui devient en principe caduque au bout de 6 ans, ce qui peut créer des distorsions de concurrence avec des établissements plus récents, et ne permet pas d'amortir les investissements réalisés.
Pour sa part, la Cour des Comptes, dans un rapport de janvier dernier, a plaidé pour un soutien plus modéré à une filière « déjà bien installée ». Dans le cadre de la révision de la directive européenne sur la taxation des produits énergétiques de 2003, qui prévoit la prise en compte du contenu énergétique et du bilan carbone de chaque type d'énergie, ils souhaitent également défendre le principe d'exonération de la taxe sur les émissions de CO2.
Concurrencés par des productions extra-européennes
De façon générale, la filière en appelle aux pouvoirs publics pour favoriser le développement et la commercialisation de carburants plus riches en matières végétales, telles que l'E20 (20 % d'éthanol), le B10 (10 % de biodiesel), et le superéthanol (E85 et B30), qui nécessite des motorisations flex-fuel capables d'utiliser aussi bien du carburant fossile que d'origine végétal. Puisque les constructeurs et les distributeurs de carburant traînent les pieds pour développer ces modèles et les infrastructures d'approvisionnement en carburant, les producteurs comptent sur la commande publique (de l'Etat et des collectivités locales) pour les motiver, et suggèrent diverses mesures réglementaires et fiscales telles que l'égibilité des véhicules flex-fuel au bonus automobile ou la réduction de la taxe sur les véhicules de sociétés.
La filière réclame également des mesures anti-dumping et anti-subvention destinées à protéger la production européenne contre des importations de biodiesel venues notamment d'Indonésie et d'Argentine, ou des Etats-Unis pour le bioéthanol.
Pas seuls responsables de la pression sur les terres agricoles
De vifs débats entourent le réel bénéfice environnemental de ces biocarburants de première génération, notamment en raison de l'impact du changement indirect d'affectation des sols, dont certaines études récentes estiment qu'elles annulent les deux tiers des économies d'émissions. Mais le représentant de l'AGPB (producteurs de blé et autres céréales), Philippe Pinta, s'offusque d'être stigmatisé alors que les productions dédiées aux biocarburants n'occupent que 2 % des surfaces agricoles mondiales (3 % des terres arables françaises). Dans le même temps, observe-t-il, "l'Union européenne envisage de geler 7 % de ces terres, et personne ne se soucie des dégâts liés à l'urbanisation et aux infrastructures de transports, responsables chaque année en France de la disparition de surfaces arables équivalentes à un département".
Le directeur général de Sofiprotéol et représentant d'Esterifrance, Philippe Tillous-Borde, rappelle que la Commission n'a pas encore sorti son étude d'impact sur le changement indirect d'affectation des sols. « On voit mal comment l'Europe pourrait se condamner sur des sujets aussi mal connus sur le plan scientifique et sur lesquels elle exerce un contrôle parfait sur son territoire », ajoute-t-il.
Pour lui, c'est l'évolution des terres agraires dans leur ensemble qui doit être suivie de près. D'où la suggestion de créer un observatoire international constitué d'experts étudiant l'évolution des terres, sur le modèle du GIEC (groupe intergouvernemental d'experts sur le climat). Pas sûr que cela suffise à faire taire les controverses propres aux biocarburants...
Sujets les + commentés