Rachat de Nest : Google affiche ses ambitions sur le marché de la domotique

Le 13 janvier 2014, Google a officialisé le rachat de la start-up Nest, spécialisée dans les thermostats intelligents. Un véritable séisme pour le secteur énergétique et la Silicon Valley.

 

3,2 milliards de dollars. C'est l'incroyable somme dépensée par le géant américain du web pour s'offrir cette jeune société créée en 2011 par Tony Fadell et Matt Rogers, deux anciens directeurs d'Apple. Cette opération propulse Nest au deuxième rang des acquisitions jamais réalisées par Google (derrière Motorola Mobility en 2012, pour 12,5 milliards de dollars). Analyste Smart Grid au Service Scientifique du Consulat de France à San Francisco, Basile Bouquet revient sur les enjeux de ce rachat.

Rendre l'efficacité énergétique « sexy »

Alors que certains dépeignaient le secteur des « cleantechs » (Technologies Propres) comme en perte de vitesse, il est pertinent de s'interroger sur les conditions du succès de Nest. Souvent critiquée, cette entreprise, au pari audacieux de rendre l'efficacité énergétique « sexy » pour reprendre les termes de son PDG, a su conserver un cap stratégique novateur et faire mentir les détracteurs de ses débuts. Cet investissement de taille suscite des interrogations sur la stratégie de Google dans le secteur de l'efficacité énergétique, et plus largement de la maison connectée.

Avec déjà deux projets dans l'énergie soldés par des échecs, Google change son fusil d'épaule et s'offre Nest. Le géant californien mise ainsi sur l'une des start-ups les plus en vue de la Silicon Valley, à la philosophie éloignée de la sienne. Suite à cette acquisition, les réactions sur les réseaux sociaux et médias se sont multipliées. Préoccupation majeure depuis l'affaire Snowden, la « data privacy » (confidentialité des données) est au cœur des débats.

Un peu d'histoire

Surnommé « The Father of the iPod » (le créateur de l'iPod), Tony Fadell crée Nest en 2010 avec Matt Rogers, alors responsable du développement logiciel chez Apple. Les deux anciens de la marque à la pomme se lancent comme pari de dépoussiérer l'image du thermostat. Conscients du manque d'attractivité du secteur aux yeux des usagers, Rogers et Fadell mettent à profit leur expérience de « product design » acquise chez Apple pour révolutionner le marché du thermostat. Nest commercialise en 2011 son premier modèle intelligent et délivre en 2013 un second produit, un détecteur de fumée et de monoxyde de carbone. En quelques années, la start-up californienne s'est fortement développée et compte aujourd'hui près de 200 employés.

Une stratégie originale

La stratégie de Nest est simple : créer un objet élégant bénéficiant d'une image « cool ». En moins de deux ans, le thermostat Nest devient un bien de consommation high-tech « trendy » (tendance), comme en témoigne l'explosion des ventes durant la période des fêtes de Noël. Le thermostat Nest est devenu un jouet, un cadeau au même titre qu'un appareil photo ou une tablette. Néanmoins, il ne s'agit pas de n'importe quel cadeau. Là où un thermostat standard coûte dans les 100 dollars, il faut compter 250 dollars pour acquérir un Nest.

Se positionner sur du très haut de gamme n'est pas un frein, bien au contraire. Cela fait du thermostat Nest un bien de luxe. Même si le marché ciblé est relativement réduit (population niveaux aux revenus très élevés), cela contribue à booster l'image de la marque. Cette stratégie est comparable à celle du constructeur de véhicules électriques Tesla : viser un marché de niche pour construire une marque. Avec plus de 3000 points de vente à travers les Etats-Unis en 2014, Nest est un succès commercial reposant sur une stratégie marketing très bien ficelée. Comme le souligne son slogan : « From now on, this is a thermostat » (C'est désormais à cela que ressemble un thermostat), Nest a révolutionné le concept marketing de l'objet.

Une start-up réactive faisant de l'expérience utilisateur une priorité

Néanmoins, Nest n'a pas toujours fait l'unanimité. Vivement critiqué à ses débuts, le blog WiredPrairie titrait « Je vous recommande chaudement de ne pas acheter le thermostat Nest ». De fait, les retours d'expérience des « early adopters » (premiers utilisateurs), n'étaient guère encourageants: les capacités de Machine Learning du thermostat étaient loin d'être satisfaisantes. La directrice de la communication Katie Brinks avait alors déclaré : « Notre produit n'est pas une version beta ni un produit arrêté. Tout comme les autres objets connectés, Nest a la possibilité de subir des mises à jour de son logiciel afin d'améliorer son fonctionnement ». Ce dont ne s'est pas privée la start-up californienne. En exploitant les retours d'expérience des utilisateurs partagés sur l'Apple Store ou Amazon, Nest a fortement fait évoluer son produit entre la version 1.0 et la 3.5 d'aujourd'hui.

La compréhension des besoins de ses clients et la réactivité des ingénieurs de Nest ont très largement contribué à son succès. Là où des entreprises comme Google ou Microsoft n'ont pas réussi à mobiliser leurs clients autour de plateformes de gestion d'énergie pour le résidentiel, Nest a réussi ce pari avec son thermostat intelligent. Un client Nest est en interaction en moyenne 5 fois par jour avec son thermostat, un chiffre bien plus élevé que pour un thermostat standard. Ce « customer engagement » (engagement client) est loin d'être un hasard et résulte de la politique de la société orientée autour de la « user experience » (expérience utilisateur) si chère à la Silicon Valley.

De nombreux partenariats

Nest a tiré profit de ce « customer engagement » pour établir des partenariats avec des utilities telles que Austin Energy, Green Mountain et Southern California Edison et faire de son thermostat un outil d'effacement. Soucieux de répondre aux exigences de ses clients, Nest a érigé deux règles pour bâtir son programme de « demand response » (effacement) : changer le nom de « demand response » en « rush-hours reward » (récompense aux heures de pointe), concept parlant davantage aux clients, et automatiser l'effacement de ses usagers . Contrairement à un Opower qui se fixe pour objectif de modifier le comportement de ses utilisateurs, Nest vise à simplifier la vie de ses usagers en automatisant le service d'effacement. Lors d'un projet pilote mené en partenariat avec Austin Energy, les thermostats Nest des clients ont permis de réduire en moyenne de 56% la consommation électrique durant les heures d'effacement (à noter cependant que 11% des clients ayant un thermostat ont dérogé aux programmes d'effacement).

Comme le souligne Maxime Veron, Directeur Marketing de la marque, le thermostat Nest est un cheval de Troie dans l'enceinte de la maison. Simple thermostat pour l'utilisateur, la vocation de Nest n'est pas de se limiter à cette fonctionnalité. Ainsi, Nest a acquis en 2013 la société MyEnergy afin d'approfondir ses capacités d'analyses de la consommation électrique. En s'invitant dans l'enceinte de la maison, le thermostat Nest devient un objet familier. Ce point d'entrée est une opportunité pour Nest de développer de nouveaux services dans l'espace de la maison connectée.

Nest vise à terme la création d'un environnement applicatif

Dans cette optique, Nest a annoncé récemment son intention d'ouvrir début 2014 son Application Programming Interface (API) afin de permettre à des partis tiers de développer des applications en interaction avec son thermostat. Nest compte déjà un premier partenaire de taille : Control4, entreprise spécialisée dans les applications autour de la maison connectée. Il ne serait donc pas étonnant de voir sortir une nouvelle application contrôlant l'ouverture des fenêtres en fonction de la température des pièces d'une maison par exemple.

A l'image d'Apple, Nest vise certainement la construction à terme d'un environnement applicatif ouvert à des développeurs. Tout en contrôlant l'expérience utilisateur, Nest donne la clé à des tiers pour améliorer les fonctionnalités de son produit. Ainsi, Nest pourrait ouvrir son « Nest store », une sorte d'Apple Store de la domotique. Cette perspective d'évolution a certainement joué dans la décision d'achat du géant californien.

Google se lance dans les services énergétiques

Par le passé, Google s'est déjà essayé dans les services énergétiques, en vain. En 2009, le géant de l'informatique lance PowerMeter, un logiciel de gestion de la consommation énergétique. Mais à l'instar de la plateforme Hohm de Microsoft, cette initiative se solde par un échec : l'engagement du client n'est pas au rendez-vous. En 2011, Google réitère l'expérience en annonçant la sortie d'Android@Home. Le projet vise à faire interagir les objets connectés de l'habitat. Mais depuis, Android@Home a sombré dans l'oubli et le programme s'est arrêté.

Suite à ce second revers, Google souhaite éviter une nouvelle déconvenue pour pénétrer le marché de la maison connectée. Plutôt que de s'appuyer sur des compétences en interne, essentiellement orientées software, Google opte pour une croissance externe et ne lésine pas sur les moyens financiers pour s'offrir l'une des start-ups les plus prometteuses de la Silicon Valley. Alors que des rumeurs circulent sur une potentielle levée de fonds à hauteur de 150 millions de dollars (pour une valorisation économique aux alentours de 2 milliards de dollars), Nest se fait racheter par Google pour 3,2 milliards de dollars. Loin d'être un coup de tête du géant californien, cette décision est le fruit d'une réflexion stratégique approfondie, comme en témoignent les participations de Google Ventures aux tours de financement des séries B et C en 2011 et 2012.

Au cœur des débats : marché des Cleantechs, Data Privacy et stratégie de Google 

Suite à l'annonce de rachat, les commentaires sur les réseaux sociaux et les médias spécialisés se sont multipliés. De ce flot de réactions, trois préoccupations majeures peuvent être soulignées. Tout d'abord, nombreux ont été ceux à saluer la réussite de la start-up californienne. Alors que le marché des technologies propres est en berne, le magazine 60 minutes du média CBS évoquant même un crash des « cleantechs », cet investissement donne un nouveau souffle au secteur. Il confirme cependant la tendance actuelle : les fonds d'investissement privilégient les start-ups faiblement capitalistiques avec des espérances de gain à court terme très élevées. Et ce, au détriment d'autres projets de haute technologie et à forte valeur ajoutée mais dont les retours sur investissement sont plus longs.

La problématique de la « data privacy » s'est également retrouvée au cœur des débats. Un internaute avisé twittait à ce sujet : « Nest s'appelle désormais NSAest ». Mieux que quiconque, Google connait la valeur des données. En acquérant Nest, la multinationale américaine s'offre des informations précieuses sur les modes de vie de ses clients. Quel choix fait le client entre efficacité énergétique et confort de température ? Quand se trouve-t-il dans son habitat ? A quelle heure ? Dans quelle pièce ? Comment interagit-il avec les produits technologiques? Autant de données riches de sens pour le business de Google. Néanmoins, le fondateur Matt Rogers s'est défendu de ces attaques en précisant que la politique de « data privacy » de Nest était claire : les données des utilisateurs ne seront pas partagées avec Google et ne servent qu'en interne à Nest pour améliorer son produit. Malgré tout, il est difficile d'imaginer qu'une fois le buzz retombé, Google n'envisage pas d'exploiter les données collectées par Nest.

Troisième et dernier point de réflexion : la stratégie poursuivie par Google. Principalement connu pour son moteur de recherche sur internet, Google se diversifie. Après l'acquisition en 2013 de la société de drones militaires Boston Dynamics, Google s'offre une nouvelle start- up orientée « hardware ». Si l'ère numérique gagne du terrain, Google ne perd pas de vue le monde réel. Par ailleurs, cette acquisition marque la volonté de la compagnie américaine de se développer dans la domotique. Le véritable enjeu pour Google n'est donc pas l'efficacité énergétique mais bien les nouveaux services de l'Internet des Objets. En s'assurant de la compatibilité des thermostats intelligents avec son environnement Android, Google ouvre la porte aux développements de nouveaux services dans l'espace de la maison connectée. Régissant déjà notre vie « virtuelle » via ses nombreux outils informatiques, Google s'invite désormais physiquement dans nos foyers !

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Bio express de l'auteur

Basile Bouquet est Analyste Smart Grid au Service Scientifique du Consulat de France à San Francisco. Il contribue au blog sf.france-science.org

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