Affaire Bidermann : Le Floch-Prigent, un soutien parmi d'autres

Loïk Le Floch-Prigent reste en prison. La procédure de « référé-liberté » réclamée par son avocat ayant été rejetée, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris a vingt jours pour statuer sur le sort du président de la SNCF. En attendant, le juge Eva Joly poursuit son enquête sur l'affaire Elf-Bidermann. Dès la semaine prochaine, elle devrait entendre l'ancien président de la compagnie pétrolière sur le fond. Le temps de compulser les documents que l'avocat de la défense, maître Olivier Metzner, a fournis jeudi dernier pour disculper son client. Point par point, avec les zones d'ombre qui subsistent. - Affaire Bidermann Dans la chronologie des événements, Loïk Le Floch-Prigent n'en démord pas : entre le 4 août 1993, date de la prise de fonctions de Jérôme Jaffré à la tête du groupe pétrolier, et le 20 septembre, date du versement de 80 millions de francs à Bidermann US selon le protocole d'accord signé le 3 août, son successeur avait toute latitude pour arrêter l'opération en connaissance de cause. D'autant plus qu'en tant que président du Crédit Agricole, il faisait déjà partie des prestigieux créanciers du groupe Bidermann en France et aux Etats-Unis, aux côtés de la BNP, du Crédit Lyonnais, des AGF, d'Axa ou encore de la Bank of America (voir notre graphique). Le total des engagements en octobre 1993 en prêts et en capital s'élève à 4,18 milliards de francs, dont 1,41 milliard de francs pour Bidermann SA et 2,77 milliards de francs pour Bidermann Inc. Une somme astronomique, pratiquement l'équivalent du chiffre d'affaires du groupe textile à l'époque, dans laquelle la participation de 787 millions de francs d'Elf ne représente que 17 %. « Pourquoi, dans ces conditions, reprocher à l'ancien président d'Elf un investissement hasardeux pour soi-disant aider un ami, et pas aux autres ? », s'interroge un proche du dossier. En revanche, un prêt de 163 millions de francs par Elf Gabon, par l'intermédiaire de la Canadian Imperial Bank of Commerce, au groupe Bidermann reste inexplicable. Tout comme le fait qu'il ait été remboursé directement par le groupe Elf à sa filiale africaine. - Les libéralités La défense a fourbi ses arguments. Les Falcon 900 ? Question de rapidité, d'efficacité et de sécurité, pour diminuer les frais de déplacements nombreux pour le président d'Elf Aquitaine, et permanents pour André Tarallo, le président d'Elf Gabon. La pension de 30.000 francs mensuels versée par Maurice Bidermann à l'ex-épouse de Le Floch-Prigent ? Elle était prélevée sur la cassette américaine du président de la SNCF (voir encadré). Le séjour dans la maison de Long Island ? Une tentative amicale de réconciliation du couple Le Floch-Prigent par Maurice Bidermann. L'achat d'un appartement à Londres par l'ex-madame Le Floch ? A l'époque des faits, elle était séparée de son mari depuis juillet 1991. - Les commissions Il est fréquent dans le monde pétrolier que des commissions soient versées à des intermédiaires. Loïk Le Floch-Prigent reconnaît que ce fut le cas dans les deux transactions avec Oxy Petroleum en Grande-Bretagne et Ertoil en Espagne. La première ouvrit à Elf le marché très fermé des permis pétroliers en mer du Nord du côté britannique ; la seconde, celui du marché espagnol de la distribution de carburants dont il détient désormais 30 %. En revanche, il est difficile de suivre le circuit des 140 millions de francs de commissions concernant l'achat d'immeubles en Espagne et au Japon, évalués à 900 millions de francs entre 1991 et 1993. L'idée du président d'Elf était de regrouper les activités du groupe à Madrid et à Tokyo, mais il dit ignorer les détails des montages financiers. Où est passé l'argent de cet obscur prêt de 163 millions de francs et de ces mystérieuses commissions pour un montant de 140 millions de francs ? En risquant de mettre en cause la probité personnelle de l'ancien président d'Elf, Eva Joly ne cherche-t-elle pas à faire la lumière sur d'autres méthodes peu orthodoxes du premier groupe industriel français ? Les montages financiers douteux à l'origine de l'affaire Bidermann, ce sont bien les hommes de confiance du président d'Elf Aquitaine qui les ont imaginés : Charles-Henri Filippi, un banquier du CCF, et André Tarallo, le président d'Elf Gabon, tous les deux déjà mis en examen et sous contrôle judiciaire. Mais il est difficile pour Eva Joly de croire, comme le soutient depuis des mois Loïk Le Floch-Prigent, alors que nombreux témoignages disent le contraire, que ces opérations aient été menées de leur propre fait. Pour avoir tenté à plusieurs reprises de convaincre le président de ne pas s'embarquer au-delà dans l'aventure Bidermann, l'ancien directeur financier d'Elf, Philippe Hustache, a été écarté. C'est lui qui, aujourd'hui, a mis Eva Joly sur la piste de commissions versées dans le cadre de rachats de sociétés, alors qu'elle enquêtait déjà sur de curieuses enveloppes pour les investissements immobiliers d'Elf. Cette nouvelle investigation a valu à Jean-François Pagès, ancien directeur du patrimoine immobilier du groupe pétrolier, d'être écroué. Derrière cette manne occulte et son transit par des sociétés offshore via la Suisse et le Luxembourg, le juge tenterait de démonter une filière historique de financement des partis politiques. Elf Gabon a été de tous temps et de tous gouvernements une discrète source de revenus, associant à la fois des socialistes proches de la cellule africaine de l'Elysée et des membres du clan RPR d'Elf, mais aussi une plaque tournante de la diplomatie française sur le continent noir. Ces deux faces cachées sont quasi indissociables l'une de l'autre. Or, si le magistrat instructeur ne cache pas sa volonté de tenter de faire la preuve de financements occultes de partis politiques, « elle ne veut pas tremper dans la politique africaine de la France », assure un collaborateur. Lors de toutes ses perquisitions, elle a soigneusement évité de toucher aux dossiers concernant le Gabon. « Si le président de la SNCF est vraiment inquiété sur ce registre, il y a fort à parier, commente un haut fonctionnaire, qu'il ne tombera pas tout seul. » Dans le climat sulfureux qui entoure en ce moment les « affaires » au plus haut niveau économique et politique, celle de Loïk Le Floch-Prigent est une véritable bombe à retardement. Sophie Seroussi
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