Quand la BD et le rap viennent au secours du libéralisme

Dans son acception la plus large, et la plus simpliste, le libéralisme repose sur une conception du monde qui met la liberté de l\'individu au dessus de tout et prône « le moins d\'Etat possible » ou encore sur une philosophie très « real politik » qui justifie la cupidité et le cynisme dans la course à l\'enrichissement personnel. Ainsi, le 11 juillet, dans son discours à la conférence nationale de l\'industrie, le ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, dénonçait : «  Le libéralisme, ce n\'est pas plus de liberté contrairement aux apparences. C\'est le laissez faire érigé en règle qui a vu 900 de nos usines fermer en dix ans (...) » ajoutant, en se réclamant de Colbert, « ma politique, c\'est le colbertisme participatif où chacun a une responsabilité : l\'Etat, le banquier, le travailleur, le chef d\'entreprise, le retraité, l\'étudiant. »Pourquoi un tel préjugé qui n\'épargne ni le plus haut niveau de l\'Etat, ni même la droite - le président Nicolas Sarkozy avait aussi critiqué le « laissez-faire » - est-il aussi répandu en France ? « Il y a plusieurs hypothèses. D\'abord, à la fin de la Seconde guerre mondiale, l\'alliance entre le gaullisme et les communistes a abouti à installer dans le pays l\'idée du rôle positif joué par l\'Etat dans tous les domaines, en particulier dans l\'éducation nationale. Il y a ensuite l\'absence de véritable alliance sur le plan politique des conservateurs et des libéraux, contrairement à ce qui se fait dans nombres d\'autres pays. Enfin, les libéraux ont mal défendu leurs idées, ou du moins elles ont été diffusées de façon élitiste parmi les cadres supérieurs et les technocrates, et uniquement dans une perspective économique. C\'était une erreur, le libéralisme s\'adresse à tout le monde, de l\'ouvrier à l\'artiste en passant par le professeur, c\'est ce que je veux montrer avec mon livre. », explique à La Tribune Daniel Tourre, un jeune entrepreneur, auteur de « Pulp libéralisme, la tradition libérale pour les débutants » (éditions Tulys).*Un bon vieux clivage gauche-droiteEn attendant de voir l\'efficace des nouveaux habits du colbertisme, cette version française du mercantilisme, tentons d\'identifier ce « monstrueux » processus qui détruit nos usines... Daniel Tourre a choisi la BD et l\'humour pour exposer par le menu les idées libérales. La couverture résume bien le cliché repris par Arnaud Montebourg : « un monstre venu d\'ailleurs (méchant libéralisme égoïste) s\'attaquant à une créature de rêve (douce France généreuse), défendue par un héros idéal (gentille et compétente classe politique française) ». En effet, l\'un des préjugés les plus tenaces dans l\'Hexagone concerne le désir de liberté lui-même, qui, loin d\'être la chose la mieux partagée en France, se divise traditionnellement entre ceux qui sont libéraux en matière de moeurs et non en économie, la gauche, et ceux qui le sont en matière économique mais pas sur les questions relatives aux moeurs, la droite...Un patient travail de démystificationFruit d\'une dizaine d\'années de lectures d\'ouvrages et de réflexions sur le sujet, le livre est une brillante synthèse des idées libérales. Rédigé durant huit mois à temps plein, son originalité, outre son propos à la fois pédagogique et ludique, réside surtout dans sa forme : un grand format, et surtout le recours aux illustrations des pulps américains des années 1950, dont l\'auteur est un  « aficionado ». Ainsi, chaque double page obéit à une scénographie simple et efficace : en encadré, une citation extraite d\'un classique de la pensée libérale - l\'occasion de rappeler que le libéralisme a derrière lui une histoire vieille d\'au moins quatre siècles, élaborée et alimentée par la réflexion de nombreux auteurs, notamment français, Tocqueville, Turgot, Bastiat, Molinari..., une BD dont les textes des bulles ont été modifiés pour venir étayer le propos avec humour et, au centre, l\'argumentaire de l\'auteur, qui, cliché par cliché (36 au total) entreprend son patient travail de démystification, en quelque 240 pages.En cela, Daniel Tourre renoue, même s\'il indique ne pas avoir connu le  phénomène, avec la tradition du « détournement » de comics américains, largement utilisée par l\'Internationale situationniste de Guy Debord, qui faisait ainsi tenir des propos philosophico-politiques aussi hilarants que subversifs aux supers héros de la BD... américaine.Ce choix pourrait lui permettre de surfer sur le succès de deux vidéos clips rythmés par du rap qui montrent le « débat du siècle » entre les économistes Nobel Friedrich Hayek et John Maynard Keynes. Mis en scène par l\'économiste américain Russ Roberts et le producteur et vidéaste John Papola, ils ont été téléchargés plusieurs millions de fois et sous-titrés en plusieurs langues. Les deux géants s\'entretiennent sur la pire crise financière depuis celle de 1929 et débâtent des réponses à y apporter.  Le fait que les idées libérales soient médiatisées et relayées par des modes d\'expression généralement issus de la culture populaire est le signe que les jeunes, premières victimes de la montée du chômage dans les sociétés occidentales, se sensibilisent de plus en plus à ces idées et aux questions relatives à l\'économie pure en général.  « En France, la perte d\'un emploi est vécue comme une véritable tragédie sociale. On peut le voir avec ce qui se passe avec la fermeture du site PSA d\'Aulnay. Il est indéniable que ses salariés souffrent, et il faut écouter leur parole. Mais c\'est aussi lié à l\'organisation de l\'économie.  Dans une économie ouverte, moins encadrée, la perte d\'un emploi serait en soi moins grave car il serait possible de retrouver facilement du travail », assure Daniel Tourre.Autre signe des temps, et tout aussi parlant, la confection originale et inédite de « Pulp Libéralisme » a obligé l\'auteur à créer sa propre maison d\'édition. « Certains éditeurs étaient prêts à publier mon texte mais sans les images, ce qui pour moi était inadmissible. J\'ai donc dû créer ma propre maison d\'édition pour pouvoir faire ce livre comme je l\'entendais », explique-t-il.
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