L'analyse d'Erik Izraelewicz : DSK, la « rupture » au FMI

Juin 2011, le sacre de Cannes. Le sacre, ce ne sera ni celui de Nicolas Sarkozy, l'hôte du G20 dans la capitale du cinéma, ni celui de Martine Aubry, la star des primaires du PS, ce sera en réalité celui de Dominique Strauss-Kahn. Un an avant les présidentielles, Cannes recevra les chefs d'État et de gouvernement du G20 ? Obama, Merkel, Hu Jintao, etc... Et celui que tous écouteront, ce sera le patron du FMI, DSK. En moins de trois ans, Dominique Strauss-Kahn a remis le Fonds au centre du monde. Il y a organisé une véritable « rupture ». Quand le professeur d'économie s'était installé, le 1er novembre 2007, à Washington, le FMI était une institution moribonde, sans moyen et en panne de légitimité. La crise aidant, pierre à pierre, DSK a reconstruit un « nouveau FMI ». Avant Cannes, on devrait pouvoir visionner les premiers rushes de ce FMI relooké dès cette année, lors de l'assemblée annuelle du Fonds, fin avril à Washington.Le Fonds, une caserne de pompiers En 2007, le FMI était le « grand méchant loup » que personne ne voulait accueillir. Les pays en difficulté financière ? l'Argentine à l'époque ? ne voulaient surtout pas de son aide. Aujourd'hui, ils frappent tous à sa porte ? l'Islande, la Lettonie, la Hongrie, etc... Dernier exemple en date, et pas le moins spectaculaire, l'Europe a appelé le FMI au secours de l'un des siens ? la Grèce. En moins de deux ans, l'institution est redevenue le sauveur des nations menacées de faillite. La crise a rendu nécessaire la présence, dans le monde, d'une caserne de pompiers, c'est vrai. Mais DSK a su habilement jouer de l'héritage du Fonds tout en le modernisant pour s'imposer comme le pompier en chef. Il a obtenu un renforcement considérable des moyens financiers de l'organisation internationale. Il a su aussi impulser des plans de sauvetage plus subtils que ceux inspirés du « consensus de Washington ». A la vingtaine de pays que le Fonds a aidés depuis qu'il le dirige, il a imposé des plans d'austérité sans toujours passer par des coupes brutales dans les dépenses sociales. Un cabinet médical, une boîte à idéesEn 2007, personne n'écoutait les recommandations du FMI. Aujourd'hui, elles sont incontournables. En janvier 2008, DSK lançait, à Davos, un cri d'alarme face à une situation économique mondiale qu'il annonçait gravissime. Un an après, il appelait tous les pays du monde à mettre en oeuvre des plans de relance massifs ? dans une optique très keynésienne. Il recommandait aux grandes nations de laisser filer leur déficit et d'injecter l'équivalent de 2 points de PIB dans l'économie pour éviter une dépression du type de celle des années 30. Ce qui fut fait. Aujourd'hui, il demande aux grandes puissances de ne pas relâcher trop tôt leurs efforts. Et il est écouté. Mais le FMI n'est pas qu'un cabinet médical qui distille ses ordonnances à ses patients malades, il est aussi redevenu la plus influente des boîte à idées du monde. Avec ses copains économistes parfois iconoclastes, DSK a d'ores et déjà bousculé quelques-unes des vaches sacrées de la « pensée unique » - entendre de celle des banques centrales traditionnelles. L'inflation ? Peut-être qu'une petite dose ? 4 % au lieu de 2 % - pourrait bien être utile, disent ses gourous, au grand dam de Trichet, Bernanke et Weber. Le contrôle des mouvements de capitaux ? Pourquoi pas dans certaines circonstances. La taxation des banques ? Le FMI de DSK a été chargé de faire des propositions sur ce sujet au G20. Elles seront remises aux dirigeants du G20 avant la fin de ce mois. DSK rejette la taxe Tobin, mais plaidera pour une police d'assurance payée par tous les établissements financiers en fonction des risques qu'ils prennent. Il a d'ores et déjà eu l'habileté de ne pas parler d'une nouvelle taxe (genre « taxe carbone ») qui serait immédiatement assimilée à un impôt et de fait rejetée rapidement par tous ceux que l'impôt exaspère. Il s'agirait, subtilité, d'un « financial fee », d'une commission donc ! Les vaches sacrées, toutes bousculéesAyant acquis quelque assurance, DSK cherche à pousser maintenant son avantage. Il n'hésite pas à donner son avis sur tous les sujets ? la politique macro-économique de l'Américain Obama, la politique de change du chinois Hu Jintao, le fonctionnement de la zone euro, etc... Sans que personne ne le lui demande, il multiplie les propositions. Les deux dernières en date ? un « fonds vert » et un FMI police de la finance mondiale - sont de véritables pavés dans la mare. À son initiative, le FMI a proposé de créer un « Fonds vert » qui lèverait 100 milliards de dollars par an d'ici à 2020 pour aider les pays pauvres à se doter de technologies vertes. Le Fonds a, toujours sous son impulsion, fait explicitement acte de candidature pour assurer la supervision du système financier mondial. Il veut faire du FMI la nouvelle tour de vigie de la finance mondiale. Les maîtres du monde ne viennent-ils pas tout juste de créer, avec le Conseil de stabilité financière, une institution pour cela. DSK n'est pas totalement convaincu que les banquiers centraux sont de bons économistes, pas plus que de bons gendarmes. Pas sûr néanmoins que ses « actionnaires » - ses 185 États membres de l'organisation - approuvent cette extension souhaitée du champ d'activité du Fonds. DSK ne manque pourtant, dans ces deux combats, ni d'arguments, ni d'alliés. Le vrai pouvoir, à Paris ou à Washington ? Pour réinstaller ainsi le FMI au centre du monde ? sans avoir eu besoin du nouveau Bretton Woods demandé par Nicolas Sarkozy ?, DSK a profondément transformé l'institution de l'intérieur aussi. Il a obtenu une nouvelle répartition des droits de vote au sein de son conseil. Il a réduit et rajeuni les effectifs de l'organisation. Il y a fait entrer du sang neuf ? il va accueillir, le 3 mai prochain, à ses côtés, un nouveau « conseiller spécial »,un Chinois, Zhu Min, le numéro deux de la banque centrale chinoise. Après avoir ainsi organisé, avec une discrétion et une efficacité redoutables, la « rupture » au FMI, DSK souhaitera-t-il demain revenir batailler dans l'Hexagone ? Alors qu'à Paris, on s'interroge sur son éventuel retour, avec inquiétude ou espoir, c'est selon, la question mérite d'être posée. Avec son « nouveau FMI » et alors que son mandat court jusqu'à novembre 2012, DSK peut espérer influer sur les affaires du monde autrement que depuis un bureau à l'Elysée, sans que cela d'ailleurs ne l'empêche de peser un jour aussi sur le sort de la France ? quand celle-ci, pour cause d'endettement excessif, sera obligée d'aller frapper à la porte du Fonds.
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