Audit, le risque de la concentration

Dans son livre vert du 13 octobre 2010 sur l'audit légal « Politique en matière d'audit : les leçons de la crise », le commissaire Barnier estime que la situation de concentration croissante observée sur le marché international de l'audit présente un « risque systémique », la limitation à quatre firmes rendant inconcevable la défaillance de l'une d'entre elles : « L'éventuelle disparition d'un acteur d'importance systémique pourrait [...] nuire à la confiance des investisseurs et à la stabilité du système financier dans son ensemble ». Il y a trente ans, ce marché était dominé par les « Big 8 », depuis huit ans il est archidominé par les « Big 4 ».Observons cependant que la France fait figure d'exception : l'obligation d'avoir deux commissaires aux comptes a conduit à l'émergence d'importants cabinets nationaux, dont certains ont malheureusement été victimes de la course à la concentration inlassablement menée par les quatre géants de l'audit, dans l'indifférence des autorités de la concurrence. Il n'empêche, 54 sociétés du SBF 120 sont aujourd'hui co-auditées par un « non Big 4 » (20 cabinets d'audit français encore présents sur ce marché des grandes sociétés cotées), à comparer aux sociétés relevant du britannique FTSE 100, totalement monopolisé par les quatre intervenants globaux.Les apporteurs de capitaux, notamment l'ICGN (International Corporate Governance Network) et les assureurs, en particulier par la voix de l'ABI (Association of British Insurers), mettent pourtant régulièrement en garde les autorités sur le risque d'un sentiment que ces firmes sont devenues trop peu nombreuses pour être mises en défaut : « Too Few to Fail », c'est-à-dire que d'éventuelles fautes ne seraient pas sanctionnées parce que personne ne voudrait limiter la disponibilité d'informations financières auditées.Plutôt que d'attendre un scandale sur la qualité des audits, qu'il faudrait alors traiter à chaud, la Commission souhaite aujourd'hui favoriser l'émergence d'acteurs alternatifs en introduisant « la formation obligatoire d'un consortium de cabinets d'audit comptant au moins une société d'audit n'ayant pas d'importance systémique pour les audits des grandes entreprises ».À condition de ne pas être réduit à la recette du pâté d'alouette, ce « joint-audit » aurait l'avantage d'abaisser les barrières à l'entrée d'un marché aujourd'hui cartellisé. Au crédit de cette proposition, il faut aussi porter l'utilité d'un double regard, la pluralité des expertises, un cadre meilleur pour permettre la rotation des auditeurs (« tuilage » des mandats de cocommissaires aux comptes assurant la continuité de l'audit), bref le renforcement de l'indépendance et de la perception d'indépendance.L'audit légal est un bien public, d'où la disqualification des autres solutions auparavant envisagées dans le monde anglo-saxon (scinder les « Big 4 » pour revenir aux « Big 8 » ou permettre aux sociétés d'audit d'obtenir des capitaux de sources extérieures). C'est d'ailleurs dans cet esprit que la Chambre des lords britannique a auditionné le mois dernier toutes les parties prenantes à l'audit, pour examiner le rôle joué par les auditeurs dans la crise bancaire de 2008 et les risques de conflits d'intérêts à l'intérieur des quatre grands réseaux, qui sont redevenus pluridisciplinaires. À cet égard, l'évolution amorcée vers plus de rigueur à la suite de l'affaire Enron a été abandonnée, malgré l'effort des régulateurs.Pour devenir des « challengers », prêts à investir et à acquérir une dimension d'abord européenne, puis internationale, les nouveaux entrants auront besoin d'un environnement plus favorable, d'une rotation des cabinets d'audit plus fréquente et d'une attitude réceptive des entreprises et des apporteurs de capitaux à leur candidature. Législateurs, autorités de la concurrence, régulateurs, investisseurs, émetteurs, comités d'audit et administrateurs indépendants devront mener une action concertée en ce sens. L'enjeu est de redonner une indépendance et une dynamique à une profession qui s'est progressivement technocratisée : sur tous les marchés, la concurrence tire l'innovation et offre de meilleures garanties de qualité aux consommateurs. (*) Patrick Mordacq est ancien secrétaire général de la COB et Jean-Louis Mullenbach vice-président de l'Académie des sciences et techniques comptables et financières.parPatrick Mordacq et Jean-Louis Mullenbach (*)
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