Vers une Lex Google à la Française ?

En à peine 10 ans, la manière de consommer -et donc d’acheter- la musique a connu plusieurs révolutions : nous sommes passés des « disques laser » rapidement rebaptisés CD distribués dans des points de vente puis vendus en ligne, au téléchargement puis au streaming. L’industrie musicale, c’est connu, a eu du mal à intégrer ces mutations successives et commence seulement aujourd’hui à retrouver des couleurs.Avant la musique, le logiciel, en passant du CD au cloud, avait connu les mêmes révolutions, et la vidéo est le prochain bien dématérialisé sur la liste,. Déjà de nouveaux acteurs émergent, comme Netflix aux Etats-Unis… A chaque fois, ce sont les usages des consommateurs qui ont initié puis accéléré le mouvement contraignant les industries à s’adapter, parfois dans la douleur.Et la presse ? Bien qu’il n’y ait pas d’obstacle technologique, un journal ou un magazine numérisé étant à peine plus lourd qu’un titre de musique, la presse n’a pas encore été poussée par ses consommateurs à faire la révolution de sa distribution, car les usages sont restés jusqu’à présent très traditionnels : les lecteurs passent tout au plus de la lecture de magazines papier à la lecture sur iPad, en format PDF, c’est-à-dire à la copie numérique du format papier.Et pourtant, des usages nouveaux apparaissent progressivement : les lecteurs, s’ils restent encore majoritairement fidèles à l’approche par marque media - on achète un numéro d’un journal ou magazine, que l’on choisit en fonction de son nom et/ou de sa couverture, et on le lit en entier -se tournent de plus en plus vers des modes de lecture « délinéarisés », c’est-à-dire « à l’article », en fonction de nouvelles clefs d’entrée. Ainsi, on lit les articles partagés par ses amis sur les réseaux sociaux, directement depuis Facebook, Twitter ou LinkedIn, ou bien même depuis des applications spécialisées pour permettre des lectures transversales : c’est le cas des applications Flipboard (la plus connue, téléchargée plus de 20 millions de fois dans le monde), ou encore de Zite ou Pulse.C’est bien ce contexte qui conduit le Syndicat de la Presse Quotidienne Nationale et l’Association de la presse d’intérêt général et politique à s’intéresser aujourd’hui à la « Lex Google » proposée en Allemagne et à militer pour sa transposition en France : il s’agit pour eux d’affronter la prochaine révolution dans un cadre législatif bien défini. En effet, les contenus produits par la presse, aussi bien gratuits que payants, doivent pouvoir être distribués par des tiers, en partageant équitablement la valeur entre l’acteur qui produit le contenu et celui qui contribue à sa diffusion en distribuant ce contenu.En tant que moteur de news et distributeur de presse, nous sommes solidaires de cette initiative afin qu’un cadre soit fixé rapidement pour que ce nouvel écosystème se mette en place sans léser les producteurs de contenus historiques tout en permettant à des distributeurs nouveaux de se développer et en capitalisant sur les nouveaux usages de lecture voire d’en créer d’autres.La seule réserve que nous avons, mais elle est d’importance, est la nécessité de ne pas confondre indexation (lorsqu’un moteur de recherche renvoie sur les pages des éditeurs, qu’ils peuvent monétiser à leur gré) et distribution (lorsque le contenu de l’éditeur est consommé chez le distributeur directement, nécessitant donc une rémunération spécifique du distributeur vers l’éditeur). Dans le premier cas, l’enjeu pour les éditeurs n’est pas nécessairement de trouver une taxe/subvention additionnelle mais bien de faire émerger un modèle économique permettant de mieux monétiser leur audience, générée en partie par les moteurs.En effet, il ne s’agit pas de reproduire les schémas du passé en vigueur pour la presse papier, qui, en limitant sa distribution, a aussi limité sa diffusion : si les tirages de la presse allemande ou anglaise sont si supérieurs à ceux de la presse française, c’est aussi parce que dans ces pays, on peut aussi se procurer les journaux dans la rue, dans les épiceries, dans de nombreuses boutiques et pas seulement dans les kiosques.Si la presse a déjà fait un chemin considérable en se numérisant et en constituant des audiences digitales fortes, il lui reste, pour parachever sa révolution culturelle à modifier sa manière d\'aborder non seulement la conception, mais aussi et surtout ses modes de distribution et de lecture de l\'information. Cette étape ultime et décisive devra se faire plus rapidement que dans l’industrie musicale, car il en va de la survie et de l’avenir d’une véritable presse d\'information et d\'investigation. (*) Guillaume Multrier, ancien DG de Carat (Aegis Media), et fondateur du groupe Webedia (Purepeople, Ozap, Puretrend), est Président de Youmag, un agrégateur qui permet de découvrir l’actualité à travers des revues de presse transversales sur des thèmes précis.
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