Régimes spéciaux de retraite  : très chère réforme

Balladur qui rit, Sarkozy qui rit jaune. L'ancien Premier ministre a effectivement de quoi être satisfait. Jeudi, la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav) a estimé que sans la réforme des retraites du privé engagée en 1993 par l'ex-mentor de Sarkozy, le déficit de la branche vieillesse de la Sécurité sociale aurait atteint 30 milliards en 2008 au lieu des 5,6 milliards réalisés. Un bilan qui tranche cruellement avec celui de la réforme des régimes spéciaux de retraite du public voulue par Nicolas Sarkozy dès son élection et mise en musique par l'un de ses protégés, Xavier Bertrand, alors ministre des Affaires sociales dans une loi de juillet 2008. « Les gains résultant de (cette réforme) pourraient au final s'avérer beaucoup plus faibles pour la collectivité que ce que les prévisions initiales, particulièrement optimistes, ne le laissaient penser. » Qui écrit ces lignes ? Un socialiste agressif ou un villepiniste revanchard ? Pas du tout : il s'agit du sénateur UMP d'Indre-et-Loire, Dominique Leclerc, dans son rapport sur « les Régimes sociaux et de retraite » rédigé à l'occasion de la dernière discussion budgétaire. Sénateur pessimisteCe parlementaire ne fait que confirmer ce qu'écrivait la Cour des comptes dans son rapport sur les perspectives des finances publiques pour 2008 : « Le gain net pour le secteur public sera nul » Les chiffres leur donnent raison à tous : en 2010, malgré la réforme, les subventions d'équilibre versées par le budget de l'État aux régimes spéciaux, essentiellement ceux de la SNCF et de la RATP, augmenteront de 10,6 % pour atteindre 5,7 milliards d'euros (sur les 57 milliards que coute à l'État la retraite de l'ensemble de ses agents). Pour 300.000 cheminots retraités, la subvention d'équilibre atteint donc 3,12 milliards, et 527 millions pour les 44.000 agents de la RATP pensionnés. « Au cours des prochaines années, le besoin de financement de ces régimes continuera à progresser, si bien que les dotations d'État, jouant le rôle de variable d'ajustement, sont appelées à augmenter », ajoute, pessimiste, le sénateur Leclerc. Réformer à tout prix Alors pourquoi ce bilan finalement si décevant alors que Xavier Bertrand annonçait fièrement en 2008 que sa réforme allait engendrer à « moyen terme » une économie annuelle de 500 millions d'euros, soit « 5 % du total des dépenses de ces régimes » ? C'est que Nicolas Sarkozy, venant de s'installer à l'Élysée, voulait absolument réussir cette réforme qu'Alain Juppé avait ratée en 1995 au point d'en être déstabilisé jusqu'à son départ de Matignon en 1997, que François Fillon avait volontairement « omis » d'intégrer dans sa réforme de 2003, et que Dominique de Villepin estimait inopportune en 2006 lorsqu'il était lui-même à Matignon « afin de ne pas monter certains Français contre d'autres ».Equité et viabilitéLes régimes spéciaux ne concernent que 1,6 million de personnes (1,1 million de retraités et 500.000 cotisants), mais ont toujours été symboliques de la volonté du pouvoir politique de briser les tabous en s'attaquant aux fameux « avantages acquis » de certaines catégories de Français. L'objectif poursuivi par Sarkozy ne prêtait d'ailleurs pas à la critique : harmoniser les règles en vigueur dans les régimes spéciaux avec celles applicables aux fonctionnaires au nom de l'équité, afin de garantir la viabilité financière de ces régimes sur le long terme. Dans ses grandes lignes, la réforme de 2008 a donc prévu le passage progressif de 37,5 à 41 trimestres de cotisation au 1er juillet 2016, l'indexation des pensions sur les prix dès 2009, la possibilité de travailler au-delà de 50 ou 55 ans pour les salariés qui devaient jusque-là partir à cet âge. Faire passer la piluleSauf que pour faire passer la pilule, le gouvernement a mis le prix. Et le prix fort. En échange de conditions moins avantageuses de départ en retraite et de calcul des pensions, il a multiplié les contreparties salariales pour les personnels en activité : ancienneté supplémentaire, primes de vacances et d'exploitation intégrées dans le salaire brut à la SNCF, deux échelons supplémentaires et points de retraite attribués gratuitement à la RATP... Ces « mesures d'accompagnement » se montent cette année à 153 millions à la SNCF et devraient atteindre 217 millions par an au-delà de 2012. A la RATP, la contrepartie est estimée à 19 millions par an à partir de 2015. Si bien que les gains financiers de la réforme pour les régimes concernés (gains en cotisations, puisque les agents cotisent plus longtemps, et gains en pensions puiqu'elles sont versées plus tardivement) se trouvent en grande partie annulés par ces contreparties. Pour le sénateur Dominique Leclerc, « les gains à court terme à la SNCF seront annulés à moyen terme ». Les chiffres donnés par l'entreprise publique (voir graphique) semblent donc bien optimistes. En tout état de cause, il y a bien peu de chance d'atteindre les 4,4 milliards d'économies cumulées que Xavier Bertrand escomptait d'ici à 2030 grâce à sa réforme.

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