L'échec de la méthode Merkel

« Vous vous êtes balancée comme un roseau au gré du vent et vous avez ensuite appelé cela une stratégie. » Nul mieux que Frank-Walter Steinmeier, ancien vice-chancelier social-démocrate, n'a résumé, mardi 4 mai, les mois d'hésitations, de propos contradictoires et de mesures dilatoires de la chancelière Angela Merkel durant la grave crise que vient de traverser l'Europe. « Elle a mené une politique de zigzags qui a provoqué des critiques internationales et n'a pas empêché d'en venir à une solution d'aide européenne à la Grèce, si impopulaire en Allemagne », confirme Heinrich Oberreuter, politologue à l'Académie des sciences politiques de Tutzing, en Bavière. Constat douloureux pour celle qui fut proclamée « femme la plus puissante du monde » et qui, après sa brillante réélection en 2009, faisait l'admiration de tout le continent.Que s'est-il alors passé ? On a souvent réduit son attitude à un calcul lié à l'élection régionale de Rhénanie-du-Nord-Westphalie. L'explication est un peu courte. En réalité, l'ancienne physicienne de l'ex-RDA a développé sa stratégie habituelle, celle qui lui a tant réussi depuis son arrivée au pouvoir en 2005 : attendre, gagner du temps, laisser s'épuiser ses adversaires pour demeurer finalement la seule alternative, imposer ses choix et renforcer sa position. À l'automne 2008, elle avait ainsi écarté l'activisme paneuropéen de Nicolas Sarkozy pour prescrire sa méthode contre la crise financière : discussions au niveau européen, mais action au niveau national. Cette fois, l'adversité fut autrement plus rude.Dès la fin de l'hiver, Angela Merkel se trouve en effet prise entre le marteau d'une opinion publique chauffée à blanc par les médias qui refuse de payer un centime à ces Grecs indolents et dispendieux, et l'enclume des marchés financiers qui ne croient qu'en la capacité de paiement de l'Allemagne. Entre l'impopularité et la faillite de la Grèce, elle refuse de choisir. Son espoir : pouvoir calmer l'inquiétude des marchés pour permettre à la Grèce de rétablir ses finances publiques et, inversement, utiliser la pression des investisseurs pour obliger Athènes à la rigueur. Au final, l'Allemagne aurait pu à bon marché rétablir l'ordre dans la zone euro. Mais pour réussir son pari, la chancelière a besoin que les marchés se paient de ses mots. Or, ces derniers la prennent au mot. À chaque parole rassurante pour Athènes, ils mettent la pression sur la dette grecque, comme pour tester sa détermination à agir. À chaque signe de fermeté, l'euro s'effondre, les taux grecs s'envolent. Autrement dit, Angela Merkel est prise au piège. La pragmatique chancelière perd alors pied et s'enferme dans sa stratégie. « Angela Merkel n'est pas une femme politique qui fonctionne à la spontanéité, elle préfère calculer ses coups à l'avance et elle est souvent mal à l'aise face à la pression extérieure », analyse Gerd Langguth, politologue à l'université de Bonn et biographe de la chancelière, qui se dit aucunement surpris par le comportement de la chancelière durant la crise. Le 25 mars à Bruxelles, elle n'accepte donc qu'une demi-mesure, un plan d'aide virtuel, incertain, de dernier ressort. Une machine à gagner du temps, encore. En vain. La pression des marchés détruit cette belle construction en un mois et Berlin doit, le 1er mai, se rendre à l'évidence : il faut payer pour Athènes.La déclaration de guerre d'Angela Merkel aux « spéculateurs » le 6 mai dernier à la télévision avait donc quelque chose de pathétique. Car cette guerre a commencé depuis plusieurs mois et la chancelière en a déjà perdu la première bataille. Les faits parlent d'eux-mêmes. Que voulait-elle ? Éviter de verser un chèque à Athènes ? Un crédit de 8,4 milliards d'euros de la banque publique attend déjà les Grecs. Limiter la facture ? Elle s'est alourdie à mesure que la crise prenait de l'ampleur avec le coût de la dette grecque. Au point que ce week-end, il a fallu accepter ce « chèque en blanc » qu'elle a toujours dit vouloir refuser. Assurer la stabilité de la monnaie unique ? La pression sur l'euro ne cesse d'augmenter, justement parce que les marchés ont douté de la détermination allemande. Sauvegarder sa majorité au Bundesrat ? Les élections en Rhénanie-du-Nord-Westphalie sont un échec douloureux pour la CDU. Défaite sur toute la ligne, donc. « La stratégie de la chancelière n'a pas servi à résoudre le problème et ne l'a pas servie elle-même », résume Heinrich Oberreuter.Toute la semaine dernière, Angela Merkel a été omniprésente dans les médias allemands. Elle a tenté de se justifier et de se draper, comme à l'automne 2008, dans sa stature de chancelière de crise qui lui avait tant réussi. Mais la martingale s'émousse. Alors qu'elle freine toute idée d'impôt sur les transactions financières et qu'elle propose une taxe bancaire bien modeste, elle ne peut plus guère cacher son inaction derrière ses éternelles attaques contre les spéculateurs. De même, ses appels au durcissement du Pacte de stabilité sont peu crédibles. « Je ne crois pas, compte tenu de l'état des opinions publiques européennes, à une nouvelle modification des traités », analyse Gerd Langguth qui voit dans ces rodomontades un moyen de faire passer la pilule du crédit à la Grèce. Sans succès si l'on en croit ce qu'ont dit les électeurs dimanche.La méthode Merkel a donc trouvé ses limites. « La crise grecque a renforcé le potentiel d'érosion de la position d'Angela Merkel », explique Heinrich Oberreuter, qui constate que « des critiques de la part des observateurs politiques, mais aussi au sein de son propre parti commencent à monter ». Or, ajoute-t-il, « jusqu'ici, les conservateurs du parti critiquaient la chancelière pour des raisons idéologiques. Les critiques récentes au sein de la CDU sont d'une autre nature, elles concernent son style, sa méthode et sa façon de diriger ». Il est vrai que, depuis huit mois, elle ne parvient pas à définir ce que veut le gouvernement sur les baisses d'impôts, la réforme du système de santé ou la politique énergétique. « Le contrat de coalition avec le FDP a été un compromis sur la forme, qui a donné à Angela Merkel de la marge pour louvoyer », analyse encore Heinrich Oberreuter. Il ne peut plus en être question aujourd'hui. Dos au mur, Angela Merkel doit faire ce pourquoi elle a été élue : gouverner. Romaric Godin, à Francfort
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