1797, la France est en faillite  !

« L'état, pas plus qu'un particulier, n'est tenu à l'impossible : donner au-delà de ce qu'il possède. » En ce 16 septembre 1797, Emmanuel Crétet, rapporteur de la commission du Conseil des Anciens, justifie devant la Chambre Haute la décision du gouvernement de la République française de ne plus honorer qu'un tiers de ses dettes. En réalité, le projet de loi est celui d'un remboursement de la dette. L'État va payer les deux tiers de ses créances sous formes de bons au porteur qui seront échangeables et utilisables, sous certaines conditions, pour le paiement des biens nationaux. Le tiers restant sera « consolid頻, il sera garanti et la République s'engage à payer par semestre un intérêt de 5 % pour la rente perpétuelle et de 10 % pour la rente viagère. Mais nul n'est dupe. La masse de « bons des deux tiers » ne vaudra bientôt plus rien, car les biens nationaux sont dévalués et rares. En 1798, ils perdent d'ailleurs 98 % de leur valeur nominale. C'est donc bien une spoliation de fait, qui restera dans l'histoire comme « la banqueroute des deux tiers », le dernier défaut de la France.Au Conseil des Anciens, la délibération s'enflamme bientôt. Affublés de leurs étranges bonnets rouge et noir, les députés s'insurgent et en appellent au « caractère sacr頻 des créances. Ainsi donc, la République reprend les anciennes et détestables méthodes de la monarchie. Trop longtemps, les rois ont annulé leurs dettes et mal géré leurs finances, c'est ce qui a provoqué la Révolution. Dès le 26 juin 1789, l'Assemblée constituante avait décidé de trancher avec le passé en plaçant les créanciers « sous la sauvegarde de l'honneur et de la loyauté de la nation française ». Et en 1793, le conventionnel Cambon avait proclamé qu'il fallait « républicaniser la dette pour que tous les créanciers deviennent républicains ». Enfin, la France est puissante. C'est même alors l'État le plus puissant d'Europe. Ses troupes victorieuses occupent la Belgique, l'Italie du Nord, la rive gauche du Rhin. Bonaparte a contraint l'Autriche à la paix et l'Angleterre, elle-même, veut négocier. Alors comment une telle ignominie, une faillite de l'État, est-elle possible ?Sur son banc, le ministre des Finances, Dominique Ramel, explique qu'il faut effacer le passé pour construire l'avenir. Parvenu aux Finances en février 1796, Ramel fait brûler en place Vendôme la planche à assignats. Ce papier-monnaie révolutionnaire permettait certes à l'État de payer ses dépenses et ses dettes à bon compte. Mais il était devenu une plaie pour une économie paralysée par l'inflation, le manque de confiance général et la recherche du numéraire. Depuis le retour de la liberté économique après la chute de Robespierre à l'été 1794, la valeur de l'assignat s'effondrait en effet à vue d'oeil. Mais sans assignat, comment l'État peut-il survivre ? Le déficit est chronique et atteint un tiers du budget. La désorganisation de l'administration, la mauvaise tenue des listes de contribuables et le marasme économique pèsent sur des recettes alors que les dépenses s'accroissent du fait de la guerre et de la dette. Ramel tente en 1796 une nouvelle expérience de papier-monnaie, les mandats, c'est un nouvel échec. Comme les biens nationaux se vendent mal, le Trésor est acculé à vivre au jour le jour et à se tourner vers les fournisseurs de l'armée, tel Ouvrard, gens peu scrupuleux, qui prêtent à des taux usuraires et se servent dans les caisses. L'État est tenu à la gorge. Les rentiers, eux, sont les derniers payés et ils ne le sont guère. Ramel songe alors à la banqueroute.En mai 1797, cependant, les élections aux Conseils débouchent sur une majorité monarchiste qui entre en conflit avec le gouvernement. Elle rejette tous les projets de Ramel pour le pousser à la faillite qu'elle compte exploiter politiquement. La situation s'envenime et les assemblées menacent d'ôter à l'exécutif le contrôle de ses dépenses. C'en est trop. Le 18 fructidor an V, ci-devant 4 septembre 1797, le Directoire, ou plutôt les trois directeurs républicains, Barras, Reubel et La Révellière-Lépaux font surgir la troupe au sein des deux Conseils et arrêter la majorité monarchiste ainsi que les deux directeurs, Carnot et Barthélémy, qui lui étaient favorable. Ce coup d'État laisse le pouvoir législatif à la merci du gouvernement. Une semaine plus tard, le projet de banqueroute, désormais inoffensif politiquement, est présenté aux assemblées. Il sera voté, malgré les plaintes des Anciens, le 30 septembre.Cette faillite partielle doit permettre de revenir à l'équilibre budgétaire. Ramel l'accompagne d'une série de réformes : renaissance de la loterie, création d'impôts nouveaux, comme le célèbre impôt sur les portes et fenêtres, reprise des impôts indirects de la monarchie. Mais les revers militaires de 1798, la corruption et la faiblesse administrative ont raison de ses espoirs. Le déficit revient, la paie de certains régiments n'arrive pas. Le Trésor doit alors redemander 10 millions à Ouvrard. Le crédit de l'État s'effondre à nouveau. C'est un échec pour Ramel, alors que la faillite a mené plusieurs dizaines de milliers de rentiers parisiens aux dernières extrémités. « Ce projet leur laissera trop pour mourir, mais pas assez pour vivre », avait prédit le cynique Crétet. Très impopulaire, le ministre des Finances est remercié en juillet 1799 et les finances publiques tombent dans le chaos. La rente sur l'État de 100 francs de nominal qui valait 17 livres en janvier 1798 ne vaut alors plus que 7 livres. Le redressement viendra avec Bonaparte, qui, après son coup d'État, rétablira les finances publiques sur des bases saines. Mais rien n'aurait été possible sans la banqueroute. Et si Ramel ne sera jamais rappelé par Napoléon aux affaires, Crétet, qu'il panthéonisera, prendra la direction de la nouvelle Banque de France.La banqueroute des deux tiers va peser lourd pendant tout le XIXe siècle. Le mythe de ces rentiers réduit à la misère du jour au lendemain va encore longtemps effrayer gouvernants et bourgeois. Il faudra attendre la Restauration, en 1815, pour que l'État puisse à nouveau emprunter auprès du public. Et la rente s'échangera sous le pair, donc avec une décote, jusqu'en 1825. En 1840,  le « Journal des Débats » pouvait encore écrire que « l'État a encore la banqueroute des deux tiers sur la conscience ». La France n'a jamais eu, depuis, à léser ses créanciers sur leur capital. L'État n'a pas forcément été plus vertueux, mais il a trouvé d'autres stratégies. En 1848, menacé de nouvelle faillite, le gouvernement provisoire préférera ainsi augmenter les impôts de 75 % plutôt que déclarer une nouvelle banqueroute. En 1871 ou en 1914, on eut recours à l'emprunt national. Mais l'expérience de 1797 a montré que retrouver la confiance perdue était très difficile, même pour un pays comme la France. Romaric Godin Un État peut faire faillite, même le plus puissant de son époque. La France de 1797 a ainsi renoncé à honorer les deux tiers de sa dette. Ce désastre a durablement marqué les épargnants et les gouvernants. Depuis, la France n'a jamais plus fait défaut.
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