Les groupes aéronautiques français se mobilisent pour empêcher la fuite de leurs salariés chinois

Un véritable casse-tête pour les groupes étrangers en général, et pour les entreprises aéronautiques tricolores en particulier, qui ont fait le pari de s'implanter en Chine... contrairement à leurs concurrents américains, notamment, qui ont eux choisi d'exporter leurs produits vers l'empire du Milieu. Pour des groupes tels que Safran (Snecma, Messier-Dowty, Turbomeca...), Airbus (groupe EADS) ou encore Eurocopter (EADS), qui ont tous installé des lignes d'assemblage sur place, conserver leur main-d'oeuvre locale est déjà devenu un enjeu de plus en plus stratégique. Car la Chine a l'ambition de devenir rapidement un grand de l'aéronautique mondiale.L'arrivée du C919, le premier avion moyen-courrier chinois (156-168 places) assemblé à Shanghai et dont le premier vol est en principe attendu en 2014, n'est que le premier étage de la fusée. « C'est sûr qu'ils vont nous ponctionner une partie de notre main-d'oeuvre », pronostique déjà un grand patron du secteur. « Nous sommes conscients des risques mais nous ne perdons pas non plus le sommeil car nous avons anticipé ce risque », assure de son côté le PDG d'Airbus China, Laurence Barron. Les groupes français y réfléchissent d'autant plus que la hausse des salaires (5 % en moyenne par an) entraîne dès à présent en Chine un fort « turnover » des personnels bien formés (autour de 15 % par mois) pouvant être attirés par des rémunérations plus fortes proposées par les sociétés du monde entier et de tout secteur, qui s'installent, séduites par l'immense marché chinois. Concurrence automobileUne main-d'oeuvre notamment convoitée par les constructeurs automobiles, l'un des secteurs qui cherchent ce type d'ouvrier. Aussi, Safran, Airbus et Eurocopter ont été obligés de réagir. Ils ont mis en place des stratégies afin de conserver leurs salariés chinois formés aux méthodes occidentales. Car ces derniers, qui sont séduits de plus en plus par la société de consommation, ont de nouvelles envies d'achats et doivent aussi faire face à la montée des prix de l'immobilier.C'est le cas du groupe Safran, qui emploie 900 personnes en Chine. À Suzhou, tout près de Shanghai, où les coûts salariaux sont élevés, Snecma Suzhou (100 % Snecma), qui fabrique des pièces et des modules de moteurs de turbines de réacteurs d'avions CFM (210 salariés à fin novembre), paie ses salariés « au-dessus du salaire ouvrier moyen », fait valoir le patron du site Gérard Inizan. Les salariés ont également droit à une couverture maladie, à des bonus et à deux semaines de vacances (contre cinq jours légalement). Messier-Dowty Suzhou, qui fabrique des pièces de taille moyenne des systèmes de trains d'atterrissage (280 salariés), dispose de son côté de neuf bus pour aller chercher le matin et ramener le soir les salariés, qui peuvent déjeuner à la cantine de l'entreprise. Enfin, les deux filiales organisent de nombreux événements sportifs, qui sont très prisés par les salariés chinois, dont certains sont récemment partis faire du rafting. La qualité de vie des salariés permet à Snecma Suzhou de diminuer le turnover à « 10 % par an », affirme le patron de Messier-Dowty Suzhou, Joseph Lim.Mais ce n'était pas encore suffisant pour les retenir, fait remarquer Gérard Inizan. « Nous avons dû signer un gentleman agreement avec les trente à quarante groupes aéronautiques de la région de Suzhou afin de ne pas se piquer les employés », précise-t-il. Une façon aussi de stopper quelque peu les surenchères salariales des ouvriers et des jeunes ingénieurs embauchés à 2.200-2.400 yuans par mois (333 à 363 euros). Toutefois, la masse salariale représente aujourd'hui dans cette région moins de 30 % des coûts opérationnels d'une usine, explique-t-on chez Messier-Dowty Suzhou.Chez Airbus, qui depuis 2007 a installé une chaîne d'assemblage final (FAL) d'A320 à Tianjin, les salaires sont également plus élevés : environ 20 % au-dessus de ce qui se pratique dans le secteur aéronautique en Chine. Le salaire moyen des personnels chinois de la FAL (360 personnes sur les 460) s'élève à 1.200 yuans (182 euros) pour 40 heures par semaine, soit 8 heures par jour. « Si on avait voulu faire du low-cost, on serait allé à Taïwan », assure le patron de la chaîne d'assemblage Jean-Luc Charles. Face à la montée en puissance du programme C919 du groupe aéronautique chinois Comac, Airbus a une « approche pro active », se félicite Laurence Barron, qui a perdu « une poignée d'ingénieurs »... partis vers le secteur informatique et un seul vers Comac. « Nous retenons notre personnel », assure-t-il. Pas sûr non plus qu'ils veulent quitter Tianjin pour Shanghai, estime-t-il.Comment ? « Outre des salaires attractifs, les salariés chinois doivent aussi percevoir une évolution dans leur carrière et disposer d'un confort de vie dans la société, dont 11 jours de vacances, d'une cantine et de navettes de bus », explique Jean-Luc Charles, qui n'a pas de difficulté à recruter. Pour une embauche, il reçoit 100 CV, puis 10 candidats sont convoqués pour passer des tests pendant une semaine. Enfin, les ouvriers de la FAL disposeront très vite d'une prime d'ancienneté. Toutes ces conditions pourraient compliquer une opération massive de débauchage par la Comac de ces ouvriers très bien formés par Airbus.Trois ans de formationCela reste toutefois un risque majeur pour la stratégie de l'avionneur de s'imposer en tant que leader en Chine. Car la formation à l'un des 120 métiers du site de Tianjin de ses salariés locaux est longue et coûteuse : huit mois de formation par Lufthansa Technics, puis deux ans à Toulouse et Hambourg pour se familiariser au travail d'une chaîne d'assemblage final. Au total, il faut trois ans pour qualifier un ouvrier. Fin 2010, Airbus avait qualifié « plus d'une centaine de compagnons chinois » et 70 pour une fonction dans les bureaux. Un actif précieux pour Airbus mais certainement très convoité.
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