L’histoire des banques françaises, un éternel recommencement : la loi du 2 décembre 1945, ou le Glass-Steagall Act à la française (3/5)

Il y a un an, le 26 juillet 2013, la loi de séparation des activités bancaires était promulguée en France, avec pour objectif d’isoler les activités les plus spéculatives des banques. Une leçon tirée de la crise financière de 2008, mais, en réalité, toute l’histoire des banques françaises depuis le 19ème siècle s’est construite autour de ce dilemme de la spécialisation – ou non – des activités bancaires. Un débat au centre duquel se trouve le financement de l’économie. Troisième volet de notre série : la loi du 2 décembre 1945, qui distingue les banques de dépôt, les banques d’affaires et les banques de crédits à moyen et long terme.
Christine Lejoux
René Pleven, ministre des Finances du général de Gaulle, est à l'origine de la loi du 2 décembre 1945. Ministère de la Défense.

521 voix "pour", 26 "contre." En ce dimanche 2 décembre 1945, c'est à une écrasante majorité que la toute jeune Assemblée constituante vote la loi "relative à la nationalisation de la Banque de France et des grandes banques, et à l'organisation du crédit." Gravant ainsi dans le marbre la doctrine formulée en 1882 par Henri Germain, fondateur du Crédit lyonnais, doctrine selon la laquelle la solidité d'un établissement de crédit - et, partant, la sécurité de ses déposants - repose sur une stricte séparation entre les activités de banque de dépôt et celles de banque d'affaires.

 En effet, au-delà de la nationalisation de la Banque de France et des quatre principales banques commerciales de l'époque - le Crédit lyonnais, la Société générale, la Banque nationale pour le commerce et l'industrie (BNCI) et le Crédit national d'escompte de Paris (CNEP) -, la loi du 2 décembre 1945 divise le secteur bancaire français en trois catégories bien distinctes, dans le sillage du Glass-Steagall Act américain de 1933.

 Les banques de dépôt sont exclues du financement de l'économie

 Dans la première figurent les banques de dépôt, qui, parce qu'elles collectent les dépôts à vue - susceptibles d'être retirés à tout moment par les clients -, n'ont désormais plus le droit d'octroyer des crédits à plus de deux ans. Il leur est également interdit de détenir plus de 10% du capital d'une entreprise, et la totalité de leurs participations dans des sociétés ne doit pas excéder 75% de leurs ressources propres. Deux mesures qui reviennent à exclure les banques de dépôt du financement de l'économie.

 La deuxième catégorie comprend les banques d'affaires qui, elles, peuvent consentir des crédits sans limitation de durée et investir tant qu'elles veulent dans des entreprises, puisqu'elles drainent l'épargne à plus de deux ans. Enfin, la troisième catégorie est celle des banques de crédits à moyen et long terme. Comme leur nom l'indique, elles peuvent octroyer des crédits à plus de deux ans, à condition de bénéficier de ressources d'une durée au moins équivalente. Et elles sont soumises aux mêmes règles que les banques de dépôt, en matière d'investissement dans les entreprises.

 L'Etat veut contrôler le crédit pour financer la reconstruction

 "Ce cloisonnement des activités, fondé par la loi sur le principe de la durée des opérations réalisées par chaque catégorie de banque, est, au départ, un moyen pour l'Etat de contrôler l'activité de crédit et, ainsi, de réguler (...) l'orientation de l'épargne, (...) plus encore dans ce contexte de besoins importants en investissements",

écrit l'historien Jean-Marie Thiveaud, dans la Revue d'économie financière. De fait, la France sort alors tout juste de la Seconde guerre mondiale et doit se reconstruire. Avec quels moyens ? L'économie française ne peut pas compter sur les marchés financiers, encore trop étroits dans le pays. Le crédit bancaire revêt donc un enjeu plus important que jamais.

 Aussi est-il "du rôle (de l'Etat) de disposer du crédit, afin de diriger l'épargne nationale vers de vastes investissements", argumente le Général de Gaulle, président du Gouvernement provisoire de la République française, dans un discours prononcé en mars 1945. Des investissements qui concernent en premier lieu les secteurs d'avenir de l'époque, comme la sidérurgie, les transports ou encore l'énergie. Et peu importe que ces domaines d'activité présentent davantage de risques que d'autres, l'Etat les juge prioritaires et veut donc s'assurer qu'ils sont irrigués par le crédit bancaire.

 Garantir la solidité du secteur bancaire français

 Si la loi du 2 décembre 1945 découpe le secteur bancaire à grands coups de ciseaux, c'est également pour garantir sa solidité, la stricte séparation de l'activité de banque de dépôt de celle de banque d'affaires devant limiter le risque de transformation (de ressources à court terme en engagements à long terme) et, donc, d'illiquidité en cas de retraits massifs de dépôts par les particuliers.

"Pour moi, il y avait les banques de dépôt, et il y avait les banques d'affaires qui, elles, doivent travailler essentiellement avec leur capital, ou avec (...) les ressources de gens qui disposent de ce que l'on appellerait aujourd'hui les capitaux à risque, c'est-à-dire des gens qui n'ont pas les mêmes réflexes que les déposants",

explique René Pleven, ministre des Finances en décembre 1945, dans un entretien à l'historienne Claire Andrieu.

 Le cloisonnement bancaire handicape le financement de l'économie

 Mais ce cloisonnement des activités bancaires va assez rapidement montrer ses limites. D'abord, il freine la concurrence et le développement du secteur bancaire, à tel point que certains économistes de l'époque parlent de cartellisation, disent des banques qu'elles vivent "douillettement", et de leurs dirigeants qu'ils font "parfois davantage figure de rentiers que d'hommes d'affaires."

 Surtout, le cloisonnement des activités bancaires va poser problème pour le financement de l'économie, au fur et à mesure que la croissance va revenir et s'accélérer, au cours des deux décennies suivantes. En effet, en vertu de la loi de décembre 1945, les seules banques qui ont le droit de financer l'économie, c'est-à-dire les banques d'affaires, sont paradoxalement celles qui disposent de la marge de manœuvre la plus étroite, puisque la manne de l'épargne publique à court terme leur échappe.

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>>> Demain : la loi bancaire de 1984 consacre la banque universelle (4/5)

Christine Lejoux

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Commentaires 5
à écrit le 21/08/2014 à 14:10
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De Gaulle avait oublie que Pleven était un ministre socialiste avec les idées que l'on connaît.

à écrit le 21/08/2014 à 11:47
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Bien sûr Raven, mais le job de commerciaux, incultes financièrement mais habiles du clavier, passe le chalut autour des oreilles appâtées de déposants croyant aux promesses d'avenir sophistiquées.

à écrit le 20/08/2014 à 13:44
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Quand on VEUT on PEUT <!! s'ils ne séparent pas, c'est que la situation les interesse, point !!!

à écrit le 20/08/2014 à 9:25
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Si je veux que l'on joue avec mon argent, je vais au casino, pas dans une banque.

le 20/08/2014 à 15:23
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Bien dit ! Mais comme l'état est pas capable de faire le job... débancarisez pour vous protéger.

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