Le vrai enjeu de la désintermédiation

Jamais l'appétit des investisseurs pour les obligations n'a été aussi élevé. Et le marché primaire des nouvelles émissions fait preuve d'un dynamisme historique, même si après une année 2009 exceptionnelle (près de 500 milliards d'euros levés par les émetteurs entreprises sur le marché de l'euro), 2010 a été plus raisonnable avec 150 milliards d'euros d'émissions.De ces deux années « post-Lehman », plusieurs motifs de satisfaction pour le financement des entreprises se dégagent. Deux années qui ont notamment confirmé l'intérêt marqué des investisseurs pour de la dette pas forcément notée. C'est un changement important par rapport à la décennie précédente. Mais ce nouvel intérêt reste sporadique et limité. Il est difficile d'y voir une évolution structurelle, tant le marché se « ferme » et se « rouvre » sans fondements rationnels. Autant la désintermédiation est une chose désormais avérée, autant l'extension de ce mouvement au-delà des blue chips reste incertaine. Pourtant, c'est là que se trouve le véritable enjeu.Le « corporate bond » (obligation d'entreprise, Ndlr) fait partie des actifs risqués. Il est donc nécessaire pour un investisseur d'avoir tout un appareillage permettant d'analyser et de suivre les risques de crédit. Or la culture du crédit est peu développée en Europe, contrairement aux États-Unis. Outre-Atlantique, le marché du placement privé, le fameux USPP, bénéficie d'une véritable réglementation, le « 144 A » et la « Regulation D » (lois qui définissent la notion d'investisseur qualifié et les exceptions à l'enregistrement obligatoire des émissions de titres), et est bien établi. Les assureurs américains, réunis au sein de la NAIC, ont leur propre système de rating du même nom. Plus que la dimension prix, qui est éventuellement améliorée au mieux de 20 à 25 points de base par rapport à une émission publique non notée, le USPP donne accès à une liquidité, bien rare et précieux en ces temps. L'USPP fournit bon an mal an quelque 40 à 45 milliards de dollars (et même 30 milliards en 2008) à des émetteurs qui sont, aux trois quarts, non notés par une agence. Sur ces 45 milliards, environ 25 sont levés par des entreprises non américaines, alors que les émissions publiques non notées en euros ont totalisé environ 15 milliards en 2009 et un peu plus de 10 milliards en 2010. C'est donc un rapport de 1 à 2, voire de 1 à 3, qui sépare l'Europe des États-Unis.Quelques tentatives de faire émerger une réglementation du placement privé transfrontière de valeurs mobilières en Europe n'ont pas abouti. Rappelons ici de façon très sommaire qu'un placement privé est l'émission de titres (part de fonds, actions, obligations) non enregistrée auprès des régulateurs, généralement non cotée et vendue uniquement à des investisseurs « qualifiés ». Il existe certes dans les directives « Prospectus » et « MIF » des dispositions isolées qui introduisent des dérogations aux règles des offres publiques, mais elles n'équivalent pas à un régime de placement privé cohérent et global. Peut-être la nouvelle directive AIFM [sur les fonds alternatifs, Ndlr] sera de nature à développer les investissements en obligations non notées et non cotées, mais le régime paneuropéen de placement privé des fonds ne sera instauré qu'en 2018. Surtout, finalement, la directive ne couvre pas les placements privés de valeurs mobilières qui ne sont pas des fonds comme il en avait été question au début du processus.Résultat, contrairement aux États-Unis, où il y a un régime unique de placement privé, il y a en Europe pratiquement autant de régimes de placement privé que de pays, dont le plus connu est le « credit Schuldshein » allemand (2 à 3 milliards d'euros par an). On peut raisonnablement penser que le potentiel d'un marché du placement privé en Europe égale au moins la taille du marché américain. En effet, les encours d'actifs financiers gérés par les assureurs, clients ultra-majoritaires des obligations non notées et/ou non cotées, sont quasiment égaux aux États-Unis (6.500 milliards de dollars) et en Europe (près de 7.000 milliards d'euros estimés en 2010). De même, en termes d'allocation d'actifs, les actifs de taux comptent pour quasiment la même proportion en global (autour de 60 %). La grande différence, c'est que, aux États-Unis, les obligations « corporate » et étrangères comptent pour près de 60 % des actifs de taux (2.300 milliards), les Treasuries ne comptant que pour 10 %, alors qu'en Europe ce sont les obligations gouvernementales qui comptent pour 80 % de l'allocation crédit. En Europe, la tendance à privilégier les obligations devrait s'accélérer notamment avec la mise en place de Solvabilité II en janvier 2013, certains grands assureurs ayant déjà annoncé que la part des actions avait été ou allait être réduite à la portion congrue.De leurs côtés, les régulateurs ont déclaré que les investisseurs ne devaient pas s'appuyer exagérément sur les notations publiques, mais qu'ils devaient développer eux-mêmes leurs propres systèmes. Les propositions sont à ce stade vagues, mais déjà, que ce soit Bâle III, ou Solvabilité II, les modèles internes sont favorisés par rapport aux notations externes. Dans ces réglementations, le non-noté est d'ailleurs mieux traité que le « high yield ». Les émetteurs doivent se désintermédier, diversifier leurs bases de prêteurs et sécuriser leur liquidité avec des maturités plus longues. Les investisseurs doivent diversifier leurs portefeuilles et optimiser leurs rendements et ont besoin de se doter de moyens d'analyse. Enfin, les régulateurs doivent favoriser un régime paneuropéen pour se faire rencontrer plus facilement demandeurs et offreurs de financements. Une version plus détaillée de cet article est disponible sur le site www.latribune.f
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