Procès Kerviel : un appel pour rien ?

Douze jours d\'audience, de débats, d\'audition de témoins, de joutes verbales, de chamailleries, de warrants knockés, de futures en contreparties pending, d\'extournes d\'écritures en correction et autres arbitrages sur les turbos de la concurrence...Douze jours à l\'issue desquels tous ont marqué des points, tous en ont perdu. Sachant qu\'au final toute la question consistait à démontrer deux choses: qu\'est-ce qui pouvait faire en sorte que la décision de première instance soit modifiée? Et qu\'est-ce qui pouvait faire que les trois chefs d\'accusation (abus de confiance, faux et usage de faux, introduction frauduleuse de données dans un système de traitement automatisé), ne soient pas de nouveau retenus?Laisser planer le douteD\'un côté, Me David Koubbi, Dami Le Coz et Pruvost, avocats chargés de la défense de Jérôme Kerviel. Avant même le début du procès en appel, Me Koubbi avait laissé planer le doute et attisé la curiosité, en développant la thèse du complot et en annonçant plusieurs \"témoins mystère\". On est finalement restés sur notre faim.Philippe Houbé, salarié de Newedge (filiale de courtage de Société Générale), faisait partie de ceux-là et a finalement été entendu à la barre. Pour lui, les opérations fictives de Jérôme Kerviel sont de la \"bidouille d\'amateur\" et ne pas les voir était \"techniquement impossible et réglementairement interdit\". Il joue alors parole contre parole.D\'autres témoins ont semblé peu crédibles, à l\'instar de Robert Tellez, pour qui \"la comptabilité était corrompue\" ou Jacques Werren, qui conclut son raisonnement par: \"je crois qu\'il faut féliciter la Société Générale d\'avoir changé l\'étiquette du mot subprime [selon lui, en le remplaçant par les pertes générées par Jérôme Kerviel]. Elle a rendu un immense service à la place financière de Paris. Reconnaître qu\'elle l\'a fait pour la bonne cause serait très honorable. Mais on est peut-être dans le romantisme.\" Ils auront finalement davantage livré le fruit de leurs réflexions personnelles qu\'apporté de preuve concrète.Me Koubbi ne lâche rienLes éclats de voix de Me Koubbi avec la présidente de la Cour ont pu également jouer en défaveur de Me Koubbi. Mercredi 20 juin, la présidente aura même été jusqu\'à le menacer de saisir le bâtonnier. Son comportement avec certains témoins ont également énervé la présidente. \"On n\'intimide pas un témoin!\", lui a-t-elle lancé pendant l\'audition de Christophe Mianné (ancien N+6 de Jérôme Kerviel). Le chroniqueur judiciaire du Figaro relevait d\'ailleurs à ce sujet: \"Me Koubbi laboure son sillon. Sa technique est immuable: d\'abord doucereux avec les témoins, il finit par les secouer comme un flic à l\'ancienne pendant une garde à vue sans avocat\".Au final, le point fort de Me Koubbi, c\'est qu\'il ne lâche rien. Mais son point faible, c\'est qu\'il ne lâche rien...Pourtant, Me Koubbi ne pense pas que son comportement ait pu jouer contre lui: \"Cela fait 12 ans que je plaide. Chacun doit occuper le terrain qui lui est dévolu. Et je me suis fixé comme objectif de ne pas céder le moindre millimètre carré de ce terrain\", avait-il expliqué avant sa plaidoirie. A l\'issue de l\'annonce de l\'arrêt de la Cour d\'appel, Me Koubbi reconnaît : \"Nous nous étions fixés comme objectif de défendre M. Kerviel contre une injustice absolument lamentable, je constate que nous avons échoué\".Au-delà de la personnalité de l\'avocat, qui tantôt séduit ou tantôt agace, tantôt intrigue tantôt déçoit, certaines lignes de sa défense auraient néanmoins pu avoir l\'oreille attentive de la Cour.Le manque de vigilance des supérieursL\'argument qui aurait pu peser le plus lourd, d\'autant plus qu\'il s\'appuie sur les conclusions de la Commission bancaire, est celui des défaillances du système de contrôle interne de la banque. Mais aussi le manque de vigilance des supérieurs, qui ont avoué n\'avoir pas lu l\'intégralité des mails reçus les alertant de certaines positions de l\'ancien trader, ou reconnu que Jérôme Kerviel ne prenait pas suffisamment de vacances. \"Les anciens chefs n\'ont rien vu venir, sauf leur licenciement\", titrait Le Point le 18 juin. Là encore, leur responsabilité professionnelle est indéniable et ils ont été licenciés par la banque pour cela, mais leur responsabilité pénale n\'a pas été avérée.L\'argument du trader pris dans un \"engrenage\", \"hamster dans une roue\", à qui l\'on demandait de pédaler de plus en plus vite, victime d\'un système qui le dépasse, aurait aussi pu faire son chemin. La présidente de la Cour aura d\'ailleurs buté plusieurs fois sur les résultats réalisés par Jérôme Kerviel (55 millions en 2007), quand la moyenne des résultats de ses collègues se situait entre 3 et 5 millions d\'euros.Attendrir la CourQuant aux témoins de \"personnalité\" et à la tirade finale de Jérôme Kerviel, ils auraient pu attendri la Cour. En effet, jeudi 21 juin, les deux derniers témoins, une amie de l\'ancien trader et son ancien employeur, l\'ont qualifié de bosseur, de gentil, de \"quelqu\'un qui ne fait pas d\'histoire\". \"C\'est pas un génie, ça se saurait. C\'est un gentil garçon. Il fait les choses qu\'on lui dit. C\'est quelqu\'un qui n\'a pas beaucoup d\'initiative\", a déclaré son ancien employeur. Après quoi Jérôme Kerviel a été appelé à la barre pour parler de lui. Et s\'est lancé sur le terrain personnel, rappelant les valeurs qui lui ont été inculquées par ses parents. Il a déclaré entre autres : \"J\'ai très certainement été déconnecté de la réalité. Mais j\'ai été blessé et choqué pendant toutes ces années de me faire accuser d\'avoir inventé un système frauduleux, alors qu\'on m\'encourageait à le faire\".La stratégie du silenceDe l\'autre côté, se trouvaient Mes Veil, Reinhart et Martineau, avocats de Société Générale, portée partie civile. Avant l\'ouverture du procès, ils ont quant à eux suivi une stratégie du silence, puis une communication réduite au minimum pendant le procès. Me Veil a par ailleurs été assis en retrait pendant toutes les audiences, et ne s\'est avancé que lorsqu\'il fallait véritablement peser, n\'élevant que rarement la voix, tout comme ses confrères. Une stratégie radicalement opposée à celle de son adversaire, qui ne visait probablement qu\'à souligner davantage les débordements de Me Koubbi. Ce qui ne veut pas dire que Me Veil est indifférent à l\'impression que peuvent produire les débats sur les journalistes : lundi 18 juin, il est ainsi monté au \"poulailler\", où sont installés les journalistes pour \"voir ce que voit la presse\".Lors de sa plaidoirie, Me Veil a fait la démonstration de l\'impossibilité d\'identifier les prises de position de Jérôme Kerviel. Pour ses avocats, la banque n\'a pas vu, parce qu\'elle ne pouvait pas voir : les alertes, certes nombreuses, n\'étaient pas centralisées, et systématiquement \"éteintes\" par des explications ou des justificatifs qui semblaient crédibles, et les positions de Jérôme Kerviel noyées dans la masse du système Eliot.La banque balaie la théorie du complotQuant à la théorie du complot, selon laquelle les positions de Jérôme Kerviel étaient couvertes par un autre desk pour lui faire plus tard porter le chapeau des subprimes, la banque la balaie d\'un revers de main, arguant du fait qu\'il n\'y a aucune preuve. La présidente de la Cour aura pourtant été prête à l\'admettre : \"Je veux des documents probants démontrant, pourquoi pas, que des positions inverses sont prises par un autre desk\". En allant au bout du raisonnement, elle en révélera finalement l\'énormité : \"Si vous n\'aviez pas dérapé, ils auraient donc été voir une autre victime. Et c\'est vous qui aviez des positions ouvertes de 5 milliards d\'euros, pas la Société Générale. Vous leur avez franchement rendu service !\"Dans son arrêt rendu mercredi 24 octobre, la Cour d\'appel affirme à ce sujet : \"L\'argument développé pour la première fois devant la cour, selon lequel l\'affaire \'Kerviel\' a servi à \'renommer\' des pertes subies sur les produits dérivés liés à l\'immobilier résidentiel américain \'Subprimes\', est totalement fantaisiste [...] la note de M. Hoube n\'étant pas pertinente, car construite à partir de documents parcellaires, pas plus que les autres pièces fournies par la défense consistant en des articles de presse trouvés sur Internet, des commentaires ou déclarations anonymes, des articles tirés du site Internet Wikipedia, documents faisant état de rumeur, de sentiments, d\'opinions, non étayés\".Une hiérarchie interditeLa banque aura néanmoins perdu quelques points lors de l\'audition des deux supérieurs directs de l\'ancien trader, Eric Cordelle (ancien N+1) et Martial Rouyère (ancien N+2), balbutiants, qui n\'ont rien vu, rien entendu, rien fait. Me Veil nous confie qu\'il les a trouvés \"remarquables\". Et pour cause : donnant à voir le visage de personnes interdites, toujours sous le choc et qui n\'ont rien compris à ce qui s\'était passé, ils sont venus appuyer le chef d\'accusation de l\'abus de confiance. Et Christophe Mianné, ancien N+6 de Jérôme Kerviel, d\'affirmer à la barre : \"on n\'a pas été bons, mais on été honnêtes\". Jérôme Kerviel, génial manipulateur, aurait donc trompé tout son monde ?Cinglante, la Cour est sans appel à ce sujet : \"Pour dissimuler sa fraude, Jérôme Kerviel, ainsi qu\'il a été développé, a fait preuve d\'une ingéniosité, confinant jusqu\'au machiavélisme, pour manipuler l\'ensemble de ses interlocuteurs (internes ou externes à la banque), sachant s\'adapter et contourner l\'obstacle de chacun des contrôles\", lit-on dans l\'arrêt.Les faux semblent quant à eux aisés à dénoncer, étant donné que Jérôme Kerviel a admis avoir fabriqués des mails avec les en-tête de Deutsche Bank ou de JP Morgan, même si pour la défense, pour que ce soit un faux, il faut qu\'ils aient comme objectif de tromper quelqu\'un, ce qui n\'était pas le but selon elle.Une Cour avide de comprendreQuant à la Cour, nul doute qu\'elle a fait son travail en toute impartialité et en toute connaissance de cause. La présidente a montré qu\'elle connaissait son dossier sur le bout des doigts, et a même impressionné par la maîtrise de sa technicité - elle lancera d\'ailleurs avec humour \"je suis bien rentrée dans le système, j\'ai bien compris, je pourrais même être trader un jour !\"-, a posé des questions aussi incisives aux deux parties et s\'est attachée à décortiquer chacune des thèses avancées. Si l\'attitude de Me Koubbi l\'a passablement énervée, elle a néanmoins accepté au pied levé d\'entendre un témoin et de recevoir des pièces. Parfois dure dans sa manière d\'interroger Jérôme Kerviel, elle lui cependant laissé toutes les chances et tout le temps de s\'expliquer.Aujourd\'hui les jeux sont faits, la Cour a compté les points et remis la balle du côté de la Société Générale en confirmant le jugement de première instance, à savoir 9 milliards d\'euros de dommages et intérêts et cinq ans d\'emprisonnement dont trois ferme. Jérôme Kerviel a quant à lui décidé de se pourvoir en cassation. 
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