Vers un acte final de la décentralisation

Par Michel Berson, Trésorier de l'Assemblée des Département de France Président du Conseil général de l'Essonne.

Le procédé est vieux comme le monde : qui veut tuer son chien l'accuse d'avoir la rage. C'est peut-être ce à quoi pensait le président Nicolas Sarkozy lors de son discours de Toulon en déclarant : « Moins d'échelons, c'est moins d'impôts, plus d'échelons c'est plus d'impôts ». Or cette vision simple, voire simpliste, occulte la crise structurelle de financement que connaissent les collectivités locales victimes d'un rasoir à trois lames.

La première lame, c'est le retrait des services publics et l'affaiblissement de l'intervention de l'État, notamment en zone rurale et en zone urbaine sensible, deux situations que je vis au quotidien en Essonne. Cette situation crée un appel d'air en faveur de l'intervention des collectivités locales qui ne peuvent pas ne pas répondre aux besoins de leurs administrés, y compris quand ce n'est pas de leur compétence.

La deuxième lame, ce sont les transferts de compétences. Si l'intention est bonne - rapprocher les lieux de délibération et de décision du citoyen - la mise en ?uvre a été désastreuse car ces transferts n'ont pas été compensés à l'euro près comme l'exige la Constitution. À titre d'exemple, on évalue à 2 milliards d'euros pour les seuls Départements la dette que l'État a contractée depuis 2004 au titre du RMI (Revenu minimum d'insertion).

Enfin, troisième lame, l'asphyxie des recettes des collectivités locales avec le plafonnement de la taxe professionnelle, l'évolution des dotations de l'État en deçà de l'inflation, et, dernier exemple en date, les projets de réforme de la DSU (Dotation de solidarité urbaine) qui frappera les collectivités les plus pauvres.

Dès lors, les collectivités locales, de gauche comme de droite, sont devant un dilemme redoutable : augmenter les impôts locaux et prendre le risque de l'impopularité tant le système fiscal local est injuste et inefficace ; abandonner certaines politiques publiques et donc renoncer à notre raison d'être, à savoir le renforcement de la cohésion et de la dynamique à la fois sociale et territoriale ; recourir indéfiniment à l'emprunt, ce qui n'est ni souhaitable ni soutenable car, à la différence de l'État qui finance ses dépenses courantes par la dette, les emprunts des collectivités servent exclusivement à financer les investissements.

C'est dans ce contexte, aggravé par la crise de financement structurelle, qu'il faut replacer les déclarations de Nicolas Sarkozy qui semble hésiter entre suppression pure et simple d'un échelon territorial (discours de Toulon) ou « aménagements » du système (discours de l'Élysée lors de l'installation de la commission Balladur).

Je regrette vivement que ce débat, fondamental pour notre pays, soit mené dans la plus grande confusion - voir les guerres picrocholines entres les différentes missions et autres commissions - tout comme je pense que c'est une erreur majeure de ne pas avoir fait des associations pluralistes de collectivités (ADF, AMF, ARF) des membres à part entière de la commission Balladur. Car les responsables locaux sont acquis à la nécessité d'une réforme, contrairement à ce que certains esprits mal informés ou mal intentionnés laissent parfois entendre. Nous sommes en effet unanimes à penser qu'à force de transferts de compétence, pour la plupart subis et non pas choisis, notre système territorial ressemble de plus en plus à un plat de spaghettis indigeste.

Pour ma part, je considère que trois pistes de réforme doivent être envisagées et, j'insiste sur ce point, doivent être engagées de front.

D'abord, la clarification des compétences. L'objectif est d'éviter un enchevêtrement qui n'est pas forcément coûteux mais qui rend illisible les responsabilités des uns et des autres, et donc plus difficile le contrôle démocratique du citoyen. Toutefois, alors que l'État ne se donne plus les moyens d'exercer sa clause de compétence générale, je ne crois pas que le moment soit opportun pour en dessaisir les collectivités locales. En revanche, la bonne façon de procéder consiste à limiter drastiquement les financements croisés. Pour cela, je propose d'organiser les relations entre les deux couples constitués par l'État et les régions d'une part, les départements, les communes et les intercommunalités d'autre part. À l'intérieur de ces couples, nous devons faire vivre le principe de cohésion et de solidarité grâce aux financements croisés. En dehors, ils sont source de confusions et de lourdeurs.

Ensuite, une nouvelle donne fiscale et financière. Du point de vue fiscal, les choses sont plus simples qu'il n'y paraît : ADF, AMF et ARF, qui avaient accueilli favorablement en 2006 le rapport Valletoux du Conseil économique et social, ont proposé des principes clairs et opérationnels : réforme fiscale à prélèvement constant, spécialisation de l'impôt par échelon, introduction du revenu dans les assiettes - par exemple une part de CSG - pour financer les dépenses sociales des départements. Je constate avec intérêt qu'après plus d'un an de silence du gouvernement, Nicolas Sarkozy a évoqué quelques uns de ces principes. Mais il faudra également avancer sur la question des relations financières entre l'État et les collectivités où la situation actuelle n'est plus tenable et est contraire au principe constitutionnel d'autonomie financière des collectivités territoriales.

Enfin, le mandat unique et le statut de l'élu. Si nous voulons améliorer la qualité des politiques publiques territoriales et si nous voulons éviter, outre l'enchevêtrement des compétences, celui des responsabilités, une seule solution s'impose : la fin du cumul des mandats, que je pratique depuis que je suis président de conseil général, et le renforcement du statut de l'élu.

Un tel triptyque de réformes ne manque pas d'allure. Il manquerait pourtant une garantie afin d'éviter à l'avenir de retomber dans les travers que nous avons connus. C'est pourquoi je propose que soit créé un droit de recours des collectivités locales devant le Conseil constitutionnel, à l'instar de ce qui vient d'être fait pour les citoyens, afin que les projets de transferts de compétence et les projets de loi de finances soient soumis au respect du double principe constitutionnel de libre administration et d'autonomie financière des collectivités locales. Cette réforme parachèverait l'édifice et serait, en quelque sorte, l'acte final de la décentralisation.

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