Ferroviaire français : chronique d'une crise annoncée

La crise du fret, les grèves, les tarifs du TGV, les attentats, les pannes de caténaires, les accidents de passages à niveau, le Grenelle de l'environnement, tout semble ramener à la SNCF ou presque. Les rapports de la Cour des comptes, de parlementaires, se multiplient, symptômes d'un secteur malade. Le ferroviaire français va tranquillement vers une crise, celle de sa non-préparation à l'Europe, estime J.C. Favin-Lévêque, ancien cadre de la SNCF.

Le ferroviaire est entré dans "le nouvel âge du fer", révolution industrielle et commerciale sous le double impact de la crise environnementale et de la création de l'espace ferroviaire européen. La France, grand acteur ferroviaire, est le mauvais élève de l'Europe. Selon l'Observatoire européen, les pays les plus avancés sont la Grande-Bretagne, l'Allemagne, la Suède et les Pays-Bas, la France fermant la marche en compagnie du Luxembourg, de la Grèce et de l'Irlande.

Pour comprendre cette situation, il faut revenir vers le passé, année 1988. L'aérien vit les prémices de la déréglementation. Les compagnies américaines se sont restructurées. British Airways est privatisée. Lufthansa se réforme à grands pas. Air France gagne de l'argent. Le Conseil supérieur de l'aviation marchande (CSAM) décide de ne rien changer dans le paysage aéronautique français. Deux ans plus tard, la compagnie nationale commence sa descente aux enfers. Pertes et conflits s'emballent. Le ministre des Transports la déclare en danger de mort.

L'action de l'Etat, devenue indispensable, coûteuse, permet un sauvetage miraculeux. Le reste du secteur est ruiné avec un cortège d'AOM, TAT, Air Liberté, Air Littoral partant à la casse. Les "low cost" ont envahi le ciel français. Deux compagnies françaises viennent d'aborder ce secteur de marché dix ans après les autres.

Année 2008, l'Europe ferroviaire est en route. La Deutsche Bahn est restructurée et prête à la privatisation. Le groupe SNCF gagne de l'argent. La "gréviculture" nourrit l'immobilisme. Fret SNCF est toujours à la dérive alors que Louis Gallois écrivait en 2003 : "nous avons dix-huit mois pour réussir." Et le système ferroviaire français, son organisation, ses structures, hors quelques réformes cosmétiques, ont 70 ans. Le scénario est donc en place pour le pire.

Pour le ferroviaire français où tout est Etat, l'avenir n'est pas dans moins d'Etat, mais dans mieux d'Etat avec trois objectifs pour une politique ferroviaire française : doter la France d'un transport ferroviaire performant, faire de la SNCF un champion européen, et faire émerger un secteur ferroviaire français, créateur d'emplois et de richesses, dynamique et diversifié.

L'Etat doit donc être aménageur, régulateur et facilitateur :
- aménageur, car l'infrastructure est la clé du développement ferroviaire. Clé de la capacité parce que plus de trains de fret ou de voyageurs, c'est plus de sillons. C'est aussi la clé du bon fonctionnement : maintenance préventive, redondance des systèmes, hautes technologies, solutions de flexibilité. Personne d'autre que l'Etat ne peut jouer ce rôle car il n'obéit pas à des objectifs simples de rentabilité immédiate et directe. Il s'agit d'équipements collectifs où la vision à long terme et l'intérêt général doivent conduire l'action ;

- régulateur vis-à-vis des compagnies ferroviaires qui délivreront leurs services aux voyageurs et aux entreprises. Certaines existent aujourd'hui : la SNCF bien sûr, ses grands concurrents comme la Deutsche Bahn, des entreprises françaises comme Veolia. D'autres apparaîtront, opérateurs de fret, avec Air France converti au TGV, opérateurs de proximité ou régionaux. L'autorité de régulation du marché relève évidemment de l'Etat, d'un Etat arbitre d'une compétition commerciale qui se joue selon des règles équitables, transparentes et décidées par les autorités politiques légitimes ;

- facilitateur industriel. Derrière le leader naturel que sera la SNCF, il faut faire émerger des transporteurs régionaux, des opérateurs fret de proximité (pour faire le premier et le dernier kilomètre), des acteurs de l'intermodalité, des entreprises de maintenance, des sociétés de services qui occuperont le marché français et toutes ses niches, innoveront et stimuleront l'opérateur historique. Osons la diversité ferroviaire car la monoculture dans un monde ouvert produit des organismes inadaptés et condamnés à disparaître. En Allemagne, les opérateurs privés de fret se sont multipliés et ne freinent en rien, bien au contraire, la formidable croissance de la branche fret de la Deutsche Bahn.

L'Etat, omnipotent et sans vision, n'est qu'un acteur incohérent. A ne pas savoir, ou plutôt à ne pas vouloir faire les réformes nécessaires, la France va reproduire le scénario de l'aérien. A refuser le passage concret à l'Europe ferroviaire, la France ne pèse pas sur le déroulement des événements. La SNCF était faible sur le fret, ce fut le marché ouvert en premier ; elle est forte sur la grande vitesse, ce sera le marché ouvert en dernier. L'opposé des intérêts français bien compris !

Que l'Etat arrête de jouer les gestionnaires d'entreprises pour enfin gouverner et mettre en place une politique porteuse d'une vision industrielle et économique, soutenue par une réelle volonté. A RFF de porter la politique d'infrastructure de l'Etat français et de fournir un réseau performant, ce dont la SNCF sera le premier bénéficiaire. A la SNCF de gagner la compétition européenne, la mission la plus difficile, en se focalisant sur son métier de transporteur et de fournisseur de services. Aux entreprises de profiter de l'espace d'ouverture pour se multiplier et créer de l'activité économique autour du ferroviaire. La France n'a pas encore perdu la nouvelle bataille du rail mais elle l'a mal engagée.

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Commentaires 2
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Tout ceci est bel et bon mais qui paie et combien?

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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L'article explique qu'il n'y a pas à payer, mais à gouverner... Ou si, à payer ce qui ne l'a pas été par le passé. Combien ? Le rapport de l'EPFL sur l'état du réseau vous dira tout.

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