Les comptables ne sont pas des Diafoirus

Par Philipe Danjou et Gilbert Gelard, membres de l'International Accounting Standards Board, et Jean-Baptiste Bellon, analyste financier, membre de la Société française des analystes financiers (Sfaf).

L'éditorial de Pierre-Angel Gay (intitulé "Normes comptables?: mourir guéri", voir La Tribune datée du 22 janvier) montre une fois de plus que l'on confond facilement les effets et les causes. La question de l'amortissement exceptionnel des actifs, en particulier de l'écart d'acquisition ("goodwill"), revient sur le devant de la scène à chaque fois qu'une crise économique ou financière vient modifier les hypothèses économiques qui prévalaient lorsque l'investissement a été réalisé. Le même débat a eu lieu lors de l'éclatement des "bulles" Internet et médias. Il est aujourd'hui exacerbé par le fait que dans l'état actuel des marchés, toute information financière nouvelle comporte une dimension anxiogène élevée.

Nombre d'entreprises ont effectué des acquisitions à des prix qui aujourd'hui se révèlent trop élevés, surtout parce que les perspectives économiques actuelles ne justifient plus le surprix payé. Il serait anormal que les comptes ne reflètent pas cette perte de valeur. Le maintien du goodwill au bilan n'est justifié que si cet actif très particulier procure un surcroît de "cash flow" par rapport aux actifs identifiables sous-jacents. Ce n'est plus toujours le cas aujourd'hui.

Affirmer que les "nouvelles normes comptables" (sic) sont la cause de cet état de fait est erroné. Au plan technique, tout d'abord, la dépréciation du goodwill existe depuis longtemps, y compris en normes françaises, selon lesquelles une perte de valeur complémentaire à l'amortissement systématique doit être comptabilisée lorsque la situation se détériore. Il y a fort à parier que les perspectives actuelles de l'économie rendraient nécessaire une telle dépréciation dans des comptes consolidés en règles françaises, sous forme d'un amortissement exceptionnel.

L'avantage incontestable des normes IFRS (IAS36) est que leur méthodologie est a priori plus objective que la seule estimation des dirigeants, puisqu'elle est fondée sur une analyse économique prospective qui doit être auditée. Cette information permet aux investisseurs et aux analystes de revisiter les prévisions de cash-flows liés aux acquisitions passées. Des commentaires appropriés du management permettent d'apprécier la cohérence du "recalage" comptable avec les plans correctifs mis en ?uvre.

Il est également erroné de dire qu'en l'espèce "la dictature comptable réclame une photographie de la valeur des entreprises instantanée", puisque le test de dépréciation du "goodwill" est effectué en tenant compte des "cash flows" prévus par l'entreprise sur une longue durée et de la valeur résiduelle. Par ailleurs, les discours à propos du goodwill ne laissent pas d'être contradictoires.

On dit souvent que cet actif est tellement particulier qu'il est ignoré par les investisseurs les plus avisés et par les prêteurs?: pourquoi alors s'intéresser tellement à son sort??

Certes, il ne s'agit pas d'une sortie de cash, mais ce n'est pas là un cas unique, et il ne s'agit pas, comme l'a dit naguère Jean-Marie Messier, d'un "simple jeu d'écritures comptables". Si c'est bien une écriture comptable, ce n'est pas un jeu?: c'est la traduction chiffrée de la non réalisation des attentes qui avaient conduit l'acquéreur à consentir un certain prix pour acheter une autre entreprise. Tous les investisseurs avisés connaissent la fragilité du "goodwill". Sans doute, ont-ils déjà intégré ce fait dans leurs perspectives indépendamment de la sanction comptable.

Dire que le marché financier se trouve en face d'une "bombe à retardement" (sic), c'est faire peu de cas de la sagacité des analystes financiers et agences de notation. L'importance des dépréciations que les entreprises pourraient être amenées à constater ne fait que refléter l'inflation généralisée des prix payés lors d'opérations de croissance externe, facilitées dans les périodes d'expansion par le faible coût du financement.

Les comptables ne sont pas des Diafoirus, ils n'ont pas le pouvoir de tuer les patients mais bien au contraire ils aident à poser le diagnostic nécessaire à la guérison.

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