Une réforme de la Cour des comptes au service de la réforme de l'Etat

En réponse au Point de vue publié par l'Institut français pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (Ifrap, La Tribune du 6 février 2009), Philippe Séguin, premier président de la Cour des comptes, rappelle quelques vérités premières.

L'Etat se réforme. La Cour des comptes ne saurait demeurer en reste. Elle veut même montrer l'exemple. Alors que le pouvoir constituant vient de consacrer ses missions dans l'article 47-2 de la Constitution, elle entend se mettre en ordre de marche pour les assumer pleinement. Qu'attend-on de la Cour ?

Tout d'abord qu'elle contribue à l'évaluation des politiques publiques. Elle le fait déjà mais se heurte à un obstacle de taille, l'organisation de la Cour et des chambres régionales des comptes (CRC) en juridictions autonomes, dotées de champs de compétences étanches. Cette organisation date de 1982, époque où l'on croyait encore à la possibilité de répartir des blocs de compétences étanches entre l'Etat et les différents niveaux de collectivités. Ce beau projet a fait long feu, et rares sont les politiques publiques qui ne sont pas aujourd'hui partagées entre le niveau national et les niveaux locaux.

Pour les évaluer, Cour et CRC doivent travailler ensemble. Leur organisation cloisonnée rend ces travaux communs longs et difficiles. Nous avons bien tenté de surmonter l'obstacle en créant des formations de délibéré communes mais rien n'y fait... Les délais incompressibles pour mener à bien ces enquêtes sont, du fait de l'autonomie de chaque chambre régionale et de la superposition de leurs procédures, de deux à trois ans, quand le parlement attend de la Cour une réponse à ses demandes d'enquête en moins de six mois.

Si elles veulent être à la hauteur de la mission d'évaluation des politiques publiques qu'on leur a confiée, la Cour et les CRC doivent se rapprocher, mutualiser leurs moyens, unifier leur programmation et leurs procédures. Il ne s'agit pas de supprimer les CRC. Il s'agit de leur donner les moyens de travailler plus efficacement avec la Cour et de façon plus homogène sur l'ensemble du territoire. Je crois que c'était une demande forte des élus lors du vote de la dernière loi concernant les CRC en 2001.

On attend par ailleurs de la Cour qu'elle assiste le parlement et le gouvernement. Ce principe vient d'être réaffirmé par le constituant lors de la révision constitutionnelle. Qu'on soit bien clair : la Cour est et demeurera une juridiction indépendante, à équidistance du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Elle est libre d'établir son programme, principe réaffirmé par le Conseil constitutionnel en 2001. Ce positionnement ne l'empêche pas d'assister le parlement, auquel elle remet chaque année près d'une centaine de rapports.

Je lis au détour de l'article de l'Ifrap qu'elle "peinerait à répondre" aux demandes des parlementaires. Il n'est pourtant à ma connaissance aucune demande d'enquête qui n'ait été honorée, et ce dans les délais impartis par la loi. Les parlementaires avec lesquels nous travaillons soulignent régulièrement l'excellence des relations Cour-parlement. Quant aux relations avec l'exécutif, elles existent déjà, sauf que les demandes du gouvernement, contrairement à celles du parlement, ne sont absolument pas encadrées. Le projet de réforme vise à remédier à cette lacune, pour préserver la liberté de programmation de la Cour.

On attend de la Cour, troisièmement, qu'elle contribue à la transparence des comptes publics. Là encore, nous n'inventons rien mais cherchons simplement à donner corps au dernier alinéa de l'article 47-2 qui dispose que "les comptes publics sont réguliers et sincères". A cet égard, la Cour certifie déjà les comptes de l'Etat et ceux du régime général de la Sécurité sociale.

Reste la question des comptes des collectivités territoriales, qui contrairement à ce que semble croire le "think tank" déjà évoqué, ne sont en aucun cas certifiés par le comptable public. La certification doit être, par nature (et c'est une règle universelle) assurée par une autorité externe et indépendante. Elle n'a rien à voir non plus avec le jugement des comptes actuellement assuré par les CRC. Juger un compte, c'est dire si les règles de recouvrement des recettes et les règles de la dépense ont été respectées à l'euro près. Certifier un compte, c'est dire s'il renvoie une image fidèle de la réalité financière.

Le certificateur définit donc des seuils de signification et se prononce sur la globalité des états financiers (bilan compris), selon des critères différents de celui du juge. La certification apporte donc une valeur ajoutée et constitue un gage supplémentaire de transparence pour les citoyens. Il ne revient pas à la Cour de dire si cette discipline doit être étendue ou non aux collectivités territoriales. La Cour est disposée en revanche, si le législateur en décidait ainsi, à jouer le rôle auquel sa connaissance des comptes l'a préparée.

On attend enfin de la Cour qu'elle puisse mettre en ?uvre un régime effectif de responsabilité des gestionnaires. Il faut pour cela réformer la Cour de discipline budgétaire et financière (qui lui est associée), étendre le champ de ses justiciables et rénover les infractions condamnables. C'est le quatrième axe de la réforme engagée.

Je le répète, nous n'inventons rien. Nous essayons simplement de répondre aux orientations tracées par le président de la République le 5 novembre 2007 à l'occasion de la séance solennelle célébrant le bicentenaire de la Cour. Nous cherchons simplement à nous mettre en mesure de répondre aux exigences définies par la Constitution. Les modalités de cette réforme restent à définir, en concertation avec les personnels concernés et les partenaires des juridictions financières.

Ce travail ne retire rien à l'effort poursuivi par ailleurs par la Cour pour être plus opérationnelle : elle formule systématiquement, depuis plusieurs années maintenant, des recommandations et conduit un travail tout aussi systématique d'examen des suites réservées à ses précédents contrôles. Il faut ne pas avoir ouvert un rapport public de la Cour depuis quinze ans pour douter de ce point. La Cour ne relâche pas non plus son effort de modernisation de sa gestion des ressources humaines ; elle réfléchit à une organisation de ses personnels non plus en corps mais en métier et a déjà engagé une diversification de ses recrutements bien au-delà de l'ENA. Elle veut en cela s'inscrire pleinement dans la réforme projetée de la fonction publique et même être la première à la mettre en ?uvre.

Ce qui est certain, c'est que ni le parlement ni la Cour n'auraient rien à gagner à ce qu'elle se transforme en "bureau d'études" du parlement, ce qui serait au demeurant contraire au texte constitutionnel tel qu'amendé cet été. Il faut décidément faire peu de cas de la notion d'indépendance pour défendre envers et contre tous une telle perspective, à partir d'une compréhension erronée du cas britannique. Si la Cour était un bureau du parlement, elle perdrait tout intérêt pour lui, car l'indépendance de la Cour est sa première valeur ajoutée.

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Commentaires 2
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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La compagnie des commissaires aux comptes (que le médiateur Ricol a présidée)participe-t-elle aux cours des comptes régionales et nationale ?Si oui ,comment ? Si non, pourquoi ?

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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La cour des comptes française veut a la fois etre une isc à l'image do gao et nao c'est dire conduite des controles à visées évaluatives et s'accrocher à ses prérogatives juridictionnelles.Juger un compte signifie quoi au juste?Quel le sens de ces c...

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