Oublions l'inflation car c'est la déflation qui guette

Par Hans-Werner Sinn, qui enseigne l'économie et la finance à l'université de Munich, et préside l'institut IFO.

Comme le disait Winston Churchill, autant de gouvernements et de banques centrales ne devraient jamais débloquer autant de milliards de dollars. Le gouvernement américain injecte 789 milliards de dollars dans son économie, l'Europe 255 et la Chine 587. En 2008, la Réserve fédérale américaine (Fed) a élargi sa base monétaire de 97% et la Banque centrale européenne (BCE) de 37%. Le taux du fonds fédéral frôle le zéro et la baisse du taux de refinancement de la BCE, déjà à 2%, devrait se poursuivre.

La crainte est que ces injections massives créent de l'inflation. Pourtant, ces craintes sont infondées. La réserve de liquidité augmente rapidement parce que le secteur privé amasse l'argent au lieu de le dépenser. En apportant ces liquidités, les banques centrales ne font que réduire le montant retiré par les dépenses consacrées aux biens et services ? ce qui modère mais n'inverse pas le brusque recul de la demande qui ébranle l'économie mondiale.

Rappelons un point banal mais important de la théorie de l'offre et de la demande. Par exemple, il est impossible de déduire d'après une augmentation du volume des transactions comment évoluera le cours du pétrole. Il baissera si cette augmentation est due à une croissance de l'offre, et augmentera si elle est due à la croissance de la demande. C'est la même chose avec l'accroissement de la masse monétaire. Si l'offre augmente, la valeur monétaire diminuera, et conduira à l'inflation. Mais si la demande augmente, il entraînera la déflation.

Ce dernier risque est le plus aigu aujourd'hui. Ajoutons à cela la tendance sous-jacente des prix et on comprend la baisse généralisée des taux d'inflation. Aux Etats-Unis, il est passé de 5,6% en juillet 2008 à 0,1% en décembre 2008 et, en Europe, de 4,4% en juillet 2008 à 2,2% en janvier 2009.

Pour l'heure, aucun pays ne pâtit de la déflation, mais cela pourrait changer avec l'aggravation de la crise. L'Allemagne, réputée pour ses faibles taux d'inflation, affichait en janvier un indice des prix en hausse que de 0,9% sur un an.

Cette tendance risque de créer de graves problèmes, notamment à cause de la résistance naturelle à la déflation. Selon les pays, certains prix sont rigides parce que les vendeurs rechignent à vendre moins cher, que la productivité augmente faiblement et que la défense syndicale des salaires laisse peu de marge de man?uvre. Aussi la pression déflationniste entraînera certains ajustements à la baisse de la quantité, qui aggraveront la crise.

Par ailleurs, même dans le cas d'une certaine souplesse des prix, la déflation accroît nécessairement le taux d'intérêt réel, puisque les taux nominaux ne peuvent descendre sous zéro. Résultat : le coût du capital renchérit pour les sociétés, réduisant l'investissement et exacerbant la crise. Les États-Unis seront particulièrement concernés par ce problème.

Le seul scénario inflationniste plausible présuppose que, en cas de reprise, les banques centrales ne relèvent pas trop rapidement leurs taux, pour laisser une part importante de la liquidité sur le marché. Les Italiens ont suivi une telle politique durant des décennies.

Pour la BCE, dont la mission est de maintenir la stabilité des prix, cette politique ne peut être adoptée sans changement législatif.

Pour comprendre les véritables risques, le cas du Japon qui souffre de déflation depuis quatorze ans offre quelques leçons. Depuis sa crise bancaire en 1990, le Japon est tombé dans une trappe à liquidité, avec des taux d'intérêt qui avoisinent zéro et une baisse des prix de plus de 4% entre 1998 et 2005. Les différents gouvernements japonais ont tenté de juguler la récession en adoptant des programmes keynésiens de déficit budgétaire et en poussant le ratio dette/PIB de 64% en 1991 à 171% en 2008. Mais cela a en partie échoué. L'économie nippone est toujours en stagnation.

Au final, le véritable risque que devra affronter à l'avenir le monde n'est pas l'inflation mais une déflation à la japonaise, avec une dette publique en constante augmentation.

 

Copyright : Project Syndicate, 2009.

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Commentaire 1
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Selon l'excellent Jacques MARSEILLE, les périodes d'inflation sont propices à l'enrichissement des Français (et des autres!); pour compenser la perte de repères, ne pourrait-on pas afficher les prix en heures de SMIC?

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