L'Europe prend-elle sa sécurité énergétique au sérieux ?

Par Alexander I. Medvedev, vice-président de Gazprom et directeur général de Gazprom Export.

Lors de leur sommet du printemps, les chefs d'Etat et de gouvernement européens ont fait de la diversification des routes d'approvisionnement en énergie une priorité fondamentale de l'Union européenne (UE). La raison en est évidente. D'une part, la croissance de la demande européenne de gaz pourrait représenter 70 à 100 milliards de mètres cubes supplémentaires d'ici à 2020, d'autre part, l'Europe a intérêt à s'assurer des livraisons stables et sécurisées. Chez Gazprom, nous partageons ces objectifs.

C'est pourquoi Gazprom et ses entreprises partenaires européennes s'engagent dans les projets de gazoducs Nord Stream et South Stream - respectivement dans la mer Baltique et dans les Balkans - afin de livrer directement des volumes supplémentaires aux consommateurs européens. L'UE devrait saluer et soutenir ces projets, car satisfaire la demande croissante nécessitera plus d'un gazoduc.

En d'autres termes, l'Europe a besoin de Nabucco (projet paneuropéen prolongeant celui de Bakou-Tbilissi-Erzurum), de South Stream ou de Nord Stream, et cela pourrait même se révéler insuffisant. Si l'Europe prend vraiment sa sécurité énergétique au sérieux, elle doit favoriser l'achèvement rapide de la construction de Nord Stream et South Stream.

Car, même quand ils seront opérationnels, l'Ukraine restera un passage obligé des exportations de Gazprom vers l'Europe. L'UE et Gazprom ont donc tous les deux intérêts à ce que ce réseau de transit soit efficace et fiable. Aussi, en excluant la Russie des discussions sur la modernisation du système de transit ukrainien, l'UE manque une occasion d'améliorer sa sécurité énergétique. Aujourd'hui, 80% des livraisons de gaz russe vers l'Europe passent par l'Ukraine.

En tant que fournisseur fiable, Gazprom doit pouvoir faire respecter les conditions de ses contrats de long terme signés avec les consommateurs européens.
Il existe un large consensus sur l'urgence à moderniser le système de transit ukrainien. Depuis de nombreuses années déjà, nous préconisons de nouveaux investissements dans la maintenance et la rénovation de ces gazoducs en répétant vouloir être impliqué dans ce processus.

C'est pourquoi nous trouvons difficilement compréhensible que le 23 mars dernier à Bruxelles, l'UE ait signé une déclaration avec l'Ukraine ne prévoyant aucun rôle pour la Russie dans cette modernisation. Cela n'est pas un geste amical et témoigne surtout d'une vision à court terme. Imaginez la France et la Belgique concevant le tunnel sous la Manche sans impliquer la Grande-Bretagne ! Nous respectons la souveraineté ukrainienne, mais décider de l'avenir du système ukrainien de gazoducs sans associer le fournisseur qui remplit ces gazoducs est pour le moins étrange et risque pour plusieurs raisons de réduire les objectifs visés.

Nous avons de bonnes raisons de douter que les 2,5 milliards de dollars d'investissements prévus soient suffisants pour réaliser l'opération. La Russie consacre en effet 2 milliards de dollars chaque année pour la modernisation et la maintenance de son propre réseau. En Ukraine, depuis la fin de l'ère soviétique, presque aucun investissement significatif n'a été réalisé dans le réseau, dont l'état n'a jamais été évalué selon les normes internationales.

La production et la transmission de gaz sont en soi un système intégré, unique et technologiquement complexe. C'est particulièrement le cas du réseau russo-ukrainien qui avait, à l'époque de l'Union soviétique, été construit comme une entité parfaitement intégrée. Encore aujourd'hui, le système de transmission ukrainien est entièrement synchronisé avec le réseau russe. Outre les signaux politiques négatifs envoyés par cet arrangement unilatéral entre l'Ukraine et l'UE, le réseau ukrainien ne peut pas techniquement être exploité comme un système indépendant.

Si Gazprom n'est pas associé, les changements opérationnels dans ce système peuvent avoir un impact immédiat sur les contrats d'exportation de la Russie et des producteurs de gaz d'Asie centrale, avec des effets imprévisibles sur l'ensemble de la région Eurasie. Le résultat serait inverse à l'objectif déclaré de l'UE : pas davantage de sécurité énergétique, mais moins.

Seule une coordination avec la Russie assurera l'efficacité de la production du gaz, son transport et sa consommation. Il n'y a pas d'alternative : la transparence, l'ouverture et le dialogue de toutes les parties impliquées sont nécessaires pour assurer la sécurité énergétique de l'Europe. Gazprom est prêt à travailler en ce sens avec ses partenaires, mais l'Europe l'est-elle également ?

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Commentaire 1
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Après avoir coupé le gaz, des menaces à peine voilées pour le cas où la Russie ne maîtriserait pas toute la chaîne. Coté sécurité, on peut rêver mieux. Ainsi l?ours montre les dents pour inspirer confiance. Qui oserait prétendre cogérer l?extraction ...

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