Réglementer le kWh nucléaire, une monstruosité économique

La seule justification du maintien des tarifs réglementés est celle de la défense d'un dogme : garantir l'acceptabilité sociale de la production d'électricité par le nucléaire par un bénéfice consommateurs. Pourtant, il existe d'autres solutions pour partager la rente nucléaire, estime François Lévêque, professeur d'économie à Mines ParisTech (dernier ouvrage paru : "Electricity Reform in Europe", Edward Elgar, 2009).

La commission présidée par Paul Champsaur se prononce en faveur du maintien des tarifs réglementés de l'électricité pour les ménages et propose, afin de développer la concurrence, que l'Etat fixe également le prix du kWh à la sortie des réacteurs d'EDF. Or, les tarifs réglementés de l'électricité pour les ménages ou les entreprises font obstacle au développement de la concurrence en France. Leur niveau, inférieur au prix du marché libre, freine l'arrivée de nouveaux entrants et entrave leur montée en puissance.

De plus, les tarifs réglementés, étant bas et constants, n'incitent pas les consommateurs à réduire leur consommation. Des prix plus élevés, et reflétant mieux les fluctuations journalières ou saisonnières de l'offre et de la demande, encourageraient des comportements plus favorables à l'environnement. Par ailleurs, les tarifs réglementés découragent les investissements au détriment des générations futures. Enfin, les tarifs de l'électricité, d'une complexité de mise en ?uvre toute française, sont dans le collimateur de la Commission européenne.

Pourquoi alors ne pas les supprimer ? A cause d'un dogme. Pour garantir en effet l'acceptabilité sociale de la production d'électricité d'origine nucléaire, il serait nécessaire d'en faire bénéficier les consommateurs. Cette idée très discutable est reprise par la commission Champsaur sans aucun examen. Admettons que l'acceptabilité sociale puisse se monnayer. Après tout, il est vraisemblable que nos concitoyens seraient moins nombreux à se déclarer en faveur de l'atome civil s'ils n'en percevaient pas un gain financier. Est-il pour autant indispensable que ce gain soit empoché par le consommateur au prorata de sa consommation ?

Pourquoi le consommateur, et non le contribuable, devrait-il retirer les fruits du pari nucléaire ? Pourquoi favoriser les ménages qui consomment le plus d'électricité, et donc avantager ceux dont les revenus sont plus élevés ? Pourquoi ne pas imposer une taxe sur la rente nucléaire d'EDF liée au déséquilibre du mix énergétique européen, taxe qui se substituerait à d'autres impôts ? Pourquoi même ne pas redistribuer cette recette sous la forme d'un chèque annuel égal pour tous les ménages car assis sur la consommation moyenne nationale par foyer ? Aucune solution de ce type n'est mentionnée par la commission Champsaur. Elle s'en tient à la doctrine du retour au consommateur et du maintien du tarif réglementé pour les ménages.

Quant à la proposition phare de fixer administrativement le prix de gros de l'électricité d'origine nucléaire produite par les centrales d'EDF, il s'agit d'une mesure extrême et régressive. Le principe de la libéralisation appliqué à l'électricité comme aux autres secteurs est de réglementer l'activité de réseau et d'ouvrir les autres segments à la concurrence, les prix étant alors déterminés par les marchés. Fixer administrativement le prix de la production nucléaire, qui n'est ni une activité de monopole naturel, ni une facilité essentielle, est aller à contre-courant. Une telle régulation ne repose sur aucun fondement de théorie économique ou juridique.

Sa justification est uniquement contingente et seules, indique la commission, "les conséquences de l'histoire et les considérations propres au nucléaire" l'imposent. Notons également que cette régulation de circonstance serait appelée à durer et entraînerait des coûts administratifs faramineux. Pour la commission Champsaur, la régulation doit porter sur la totalité du parc nucléaire existant. Elle ne cesserait donc qu'à la fermeture de la dernière centrale historique d'EDF. L'autorité qui en aura la responsabilité devra être dotée d'un solide budget car pour établir le tarif de gros du kWh nucléaire, il est nécessaire d'auditer les dépenses de chaque centrale, aussi bien pour l'exploitation que la maintenance, le combustible, et le démantèlement. En outre, en plus du prix, le kWh nucléaire sera aussi régulé en quantité.

En effet, la commission, composée pour près de la moitié d'élus nationaux, exclut que des particuliers ou des industriels situés hors de France bénéficient du tarif administré. Pour empêcher que les fournisseurs exportent l'électricité acquise bon marché, il est indispensable d'en limiter la quantité aux besoins de leur clientèle nationale. Le régulateur devra donc connaître les clients de chaque fournisseur et ajuster ex post les volumes soumis au tarif en fonction des variations de leur consommation.

Du côté des entreprises, la facture risque également d'être élevée. Elles devront mobiliser leur personnel pour collecter les données demandées par le régulateur. Le tarif sera âprement discuté par EDF et ses rivaux. Leur pression sur le régulateur, les élus et le gouvernement s'exercera à tous les instants. Le gouvernement ne doit pas suivre la recommandation de la commission Champsaur de réglementer le prix de gros du kWh d'origine nucléaire. Il peut en revanche adopter sa proposition d'éliminer les tarifs réglementés de détail pour les industriels et surtout aller plus loin en supprimant aussi les tarifs réglementés pour les ménages...

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 6
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
Signaler
Nous devrions donc accepter une hausse des prix de l'énergie nucléaire si rentable, et renoncer à notre grande politique du nucléaire civil, si cher payé par nos pères ? Si en plus est imposé par l'Europe la solution d'offrir l'accès à notre potentie...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
Signaler
La libéralisation du marché de l'energie n'a pour conséquence qu'une hausse des prix pratiqué, en vertu de la règle du toujours plus de profit. Alors, on peut bien argumenter sur la légitimité de la particularité française, mais la seule façon de maî...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
Signaler
Mais je reve;ce monsieur affirme stricto que le prix de l'électricité est trop bas et qu'il faut l'augmenter?tout son argumentaire est biaisé et on sent l'ame ultraliberale derriere ce discourt.L'objectif de la pseudo concurence est en "théorie" de f...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
Signaler
Bas les masques ! Les ultra-libéraux avouent qu'avec leur système, les prix sont plus élevés et moins stables. Ajoutons que les investissements ont du mal à se faire et que l'on tend à la pénurie. Quel est l'intérêt pour la collectivité ? La concurre...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
Signaler
La lecture des commentaires précédents révêlent l'inculture crasse et les préjugés de personnes qui ne cherchent pas à comprendre les raisonnements. Pour ceux qui veulent réfléchir et aller plus loin, je recommande la lecture d'un avis d'économistes ...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
Signaler
Vos réflexions s'opposent mais in fine vous prônez chacun de la cause écologiste. Prenons les choses de manière pragmatique. Un seul constat pour la France : l'énergie est gratuite comme l'eau d'ailleurs. Une conclusion, les Français gaspillent. Un ...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.