Chef d'entreprise : affronter la crise c'est aussi savoir gérer sa responsabilité

Par Fabrice Patrizio et Arnaud Larrousse, avocats associés chez Orrick Rambaud Martel.

Exercer le métier de chef d'entreprise est risqué. Le débat que nous avons connu il y a quelques mois à propos de la rémunération des dirigeants de sociétés cotées a occulté cette réalité. Celle à laquelle est confrontée la majorité des chefs d'entreprise, toutes sociétés confondues, et qui n'a jamais eu bonne presse en France. La décision du dirigeant, toujours solitaire, est le plus souvent lourde de conséquences. Elle peut certes entraîner sa révocation. Mais pour ceux qui ont créé leur propre entreprise avec une obstination extrême, le savoir-faire, le sens de l'initiative et du collectif, une seule erreur de jugement peut surtout conduire à la fin d'une aventure humaine. Les organes vitaux, clients et fournisseurs, sont touchés. L'entreprise tombe dans un coma financier. Les emplois disparaissent.

A l'opprobre qui s'abat sur celui qui doit assumer sa responsabilité sociale et juridique, peuvent s'ajouter les sanctions patrimoniales, personnelles ou pénales. L'action pour insuffisance d'actif initiée par le mandataire judiciaire en charge de la liquidation de l'entreprise vise très directement le dirigeant qui a commis une faute de gestion. Le fait d'avoir mal apprécié la rentabilité de l'entreprise, d'avoir accru ses charges par l'exploitation de chantiers éloignés et d'avoir insuffisamment diversifié la clientèle pourra constituer une faute de gestion. Et c'est à l'évidence sur son patrimoine personnel, que le dirigeant devra répondre de cette faute.

La faillite personnelle, elle, sera prononcée à l'encontre d'un dirigeant qui aura détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de l'entreprise. La sanction consistera en une "interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale (...)" Quant au délit de banqueroute [1], réprimé par cinq ans d'emprisonnement et 75.000 euros d'amende, il caractérise le fait d'avoir par exemple employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds.

On le voit, la frontière entre les évènements qui peuvent donner lieu ou pas à une mise en cause judiciaire de la responsabilité du dirigeant est ténue. Son appréciation sera d'autant plus difficile lorsque les décisions sont prises dans la précipitation, pour sauver l'entreprise. Se retourner, lever la tête et porter un regard critique, comme le fera peut-être quelques années plus tard, le tribunal de commerce ou le juge pénal, n'a alors rien d'évident. Dans le feu de l'action, l'attitude est contre-nature. Le chef d'entreprise se doit donc d'anticiper une mise en cause éventuelle de sa responsabilité en prenant un certain nombre de dispositions.

Conserver, de façon structurée, la mémoire écrite des évènements constitue, à l'évidence, la première des recommandations. Le dirigeant qui ne peut, avec force détail, prouver sa bonne foi ou bien la pertinence de sa décision eu égard au contexte du moment sera vite considéré comme coupable. Faire valider par des conseils extérieurs avisés certaines de ces décisions participe de la même démarche. Le Commissaire aux comptes (à recommander même pour des sociétés qui n'ont pas l'obligation légale d'en avoir un), au travers de sa mission de certification des comptes et de conseil, joue lui aussi un rôle majeur dans la prévention des risques.

S'astreindre à appliquer et à faire appliquer scrupuleusement les règles de gouvernance en vigueur au sein de l'entreprise est tout autant nécessaire. Quand la gestion de celle-ci doit être contrôlée par un organe de contrôle tel qu'un conseil de surveillance, le dirigeant devra s'assurer que ce conseil se réunit effectivement, qu'il dispose de toute l'information nécessaire pour exercer ses fonctions et que l'ensemble de ses décisions sont bien consignées. La présence de membres indépendants, nommés pour leur compétence et leur neutralité, est à recommander. Rappelons ici que le non-respect des dispositions statutaires constitue une faute de gestion.

La mise en place, puis l'analyse à intervalle régulier, de délégations de pouvoirs et de signature au sein de l'entreprise peut aussi s'avérer très utile. Pour mémoire, la délégation de pouvoirs est un mécanisme qui permet de transférer la responsabilité pesant sur le chef d'entreprise à une autre personne, mandataire social ou salarié. Si le chef d'entreprise peut démontrer qu'il a indiscutablement délégué ses pouvoirs à l'un de ses subordonnés, il peut alors espérer s'exonérer de sa responsabilité. Mais la délégation de pouvoir, pour être valable, doit répondre à des conditions juridiques précises, qui nécessitent qu'elle soit régulièrement vérifiée.

Il existe par ailleurs des assurances couvrant la responsabilité des dirigeants et prenant bien entendu en charge les frais de défense. Il est conseillé de passer en revue dès à présent ces polices afin de s'assurer notamment de leur validité, du niveau de couverture (plafond, franchise, sous-limites, exclusions de garantie, etc) ou de leur champ d'application (maintien de la couverture en cas d'ouverture de procédures de redressement ou de liquidation judicaire, couverture des filiales et de certaines zones géographiques, etc...).

Compte tenu de l'évolution de la conjoncture et de la dégradation de la situation financière de beaucoup d'entreprises, un certain nombre d'assureurs est aujourd'hui réticent à mettre en place de telles polices ou à modifier les polices existantes. Attendre que la société soit très affectée au plan financier pour tenter d'amender la police existante est à proscrire.

S'assurer enfin que les systèmes d'information comptables de l'entreprise donnent une image parfaitement fidèle de sa situation financière est crucial. L'état de cessation des paiements - en d'autres termes le dépôt de bilan - reste, malgré la réforme récente [2], une notion juridiquement et financièrement délicate à appréhender. Pour que le dirigeant sache avec précision la date à laquelle la loi lui impose de déposer son bilan, il doit disposer d'une information très précise sur la trésorerie dont il dispose pour faire face aux engagements de la société. La question est peu sensible pour une entreprise de taille modeste. Elle peut par contre s'avérer complexe dès que le chiffre d'affaires représente plusieurs millions d'euros ou que des filiales existent à l'étranger.

Plus que jamais en période de crise, le chef d'entreprise doit prendre le temps nécessaire pour s'interroger sur sa responsabilité. Sa prise de risque sera d'autant mieux maîtrisée qu'il aura su mettre en place les outils adéquats pour prendre la bonne décision, au profit de tous.

 

 

[1] article L.654-2 du Code de commerce.

[2] ordonnance du 18 décembre 2008, entrée en vigueur le 15 février 2009.

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