L'inflation, c'est le vol

Par Bruno Cavalier, chef économiste chez Oddo Securities.

A son pic, en juillet 2008, l'inflation mondiale était de 6% environ. Un an plus tard, elle est tombée à zéro, et dans les principales économies (Etats-Unis, Europe, Japon, Chine), elle est même négative. C'est là une situation temporaire. Le repli de l'inflation depuis un an s'explique par la chute des prix de matières premières. Avec le rebond récent des cours mondiaux, l'inflation mondiale finira l'année sur un rythme de 2%-3%, pas très loin donc de sa moyenne sur la décennie écoulée. Ce rebond sera lui aussi temporaire.

Même si le risque de déflation a reculé ces derniers mois, la balance des risques continue de pencher de ce côté, plutôt que du côté d'une inflation galopante. Nous ne sommes pas dans la situation du début des années 1970 (plein emploi, indexation salariale, banques centrales inféodées au pouvoir politique) où un choc pétrolier a pu dégénérer en spirale inflationniste. L'envolée du taux de chômage pèse et va peser durablement sur les salaires. La contrainte de désendettement qui s'exerce sur les ménages va contraindre la demande de biens et de services. Quant à l'expansion formidable du bilan des banques centrales, elle n'a fait que compenser l'attrition du secteur bancaire, mais l'environnement reste marqué par le rationnement du crédit. Tout ceci ne donne que des espoirs de reprise économique molle et incertaine.

Or, si la croissance économique doit être contrainte à moyen terme, comment faire face aux montagnes de dette publique qui représentent la facture de cette crise ? Pour certains, la solution inévitable est toute trouvée, l'inflation. L'idée est simple, ce qui la rend, à première vue, séduisante. Une inflation plus élevée réduit les taux d'intérêt réels, facilitant le désendettement des agents ; elle réduit la valeur des dettes. Autre variante qui doit trotter dans la tête de bon nombre de politiciens : l'inflation est une taxe "invisible" (du moins jusqu'à un certain point), et de ce fait indolore ; elle est donc préférable à une taxe bien visible qu'un électeur/contribuable pourrait avoir le mauvais goût de trouver malvenue.

Mais le phénomène, si séduisant soit-il, ne résiste pas à l'examen. Tout d'abord, on ignore comment déterminer le niveau optimal de l'inflation. Est-ce 5%, 10%, 15% ? Et pour combien de temps ? Ensuite, on peine à imaginer comment une telle solution pourrait être mise en ?uvre. Il faudrait que les banques centrales perdent leur indépendance et qu'on change d'autorité leur mandat de stabilité des prix, ou bien qu'elles renoncent spontanément à une crédibilité qu'elles ont mis des décennies à bâtir.

Ce risque est faible, sans compter les verrous juridiques qui, heureusement, nous en préservent en Europe. Il faudrait enfin supposer que les banques centrales sont assez habiles pour piloter l'inflation sur la nouvelle cible, mais pas au-delà. Dans les faits, si les anticipations d'inflation des ménages se mettent à déraper, il n'y aura aucun moyen de les arrêter sans casser la machine économique. Exactement comme cela a été fait au début des années 1980. En gros, ce qu'on nous propose avec l'inflation, c'est de différer dans le temps la purge des excès d'endettement, et en particulier la mise en ordre des finances publiques, alors même que les problèmes seront alors encore plus difficiles à régler après-demain que demain (vieillissement démographique).

L'inflation est une taxe. C'est un moyen de redistribuer la richesse des épargnants vers les emprunteurs, et en particulier l'Etat. Au bout du compte, ce n'est pas un choix économique, c'est un choix politique. Comme citoyen, on aimerait bien tout de même être consulté. Comme économiste, on ne peut que rappeler que l'inflation est un phénomène qui ne crée pas de richesse et n'a aucune raison de régler les problèmes structurels de l'économie (par exemple, l'insuffisance du potentiel de croissance, ou le manque de compétitivité). En créant de l'incertitude, elle a même toutes les chances de les aggraver. L'inflation est une idée simple, c'est une idée fausse.

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Commentaires 10
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Je suis d'accord avec ce que dit Bruno Cavalier. Mais, avons nous une meilleure solution pour désendetter les Etats et remettre tout en équilibre avant que tout ne s'effondre ? Cette forme d'impôt a cependant un côté, justice sociale. Elle taxe les p...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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S'il est bien un domaine où il faut se garder d'idées péremptoire, c'est bien l'inflation. elle est le résultat de données particulièrement complexes qui tiraillent les monnaies dans tous les sens. Bien sûr il faut la maitriser car elle est mauvaise ...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Le problème qu'il se pose, c'est que l'inflation est inéluctable. Car l'augmentation de la dette est inéluctable. Des informations ont été apportées. Même si un état comme la France économisait massivement au niveau étatique/services publiques, à la...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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L'inflation est l'ennemie de la vertue économique. Quid de ceux qui tentent vaille que vaille d'économiser trois francs six sous pour s'acheter un logement décent, ou financer une création d'entreprise? Leur acharnement devrais payer , et bien non; a...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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"les responsables doivent payer au prorata de leur responsabilité": ça c'est la théorie. Qui sont les responsables si ce n'est la société toute entière, mais évidemment les plus riches en ont profité le plus. Mais il serait faux d'affirmer que les pl...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Le problème que pose l'inflation, c'est le risque de dérapage des anticipations. Mais il y a pire comme taxe pour désendetter l'Etat : elle est assez "sociale", elle favorise les emprunteurs, dont les entreprises. On ne voit pas comment réduire le su...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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@FL l'inflation n'a rien d'une justice sociale, au contraire!!! elle taxe toute la population (par exemple par les prix sur l'alimentaire, electricité/carburants) et c'est donc la classe moyenne (la plus nombreuse) qui est surtout touchée. Les riches...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Evoquer inflation et politique de rigueur dans la même phrase... j'espère que c'est une boutade car c'est bien le manque de rigueur qui conduit aux dettes et donc à l'inflation, cad à injecter de plus en plus d'argent (qui est la véritable origine de...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Je ne suis pas très calé en économie, mais je ne vois pas en quoi l'inflation permet de résorber la dette. Pour un ménage ou une entreprise qui remboursent leurs emprunts avec la richesse qu'ils créent, d'accord. Mais pour un état contraint de s'ende...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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L'inflation serait le moindre mal. Seulement il y a fort à parier qu'elle ne pourra être maîtrisée par les autorités financières. L'acte 2, scène 1 de la pièce sera l'hyperinflation ! avec tous les dangers et les dérives qu'elle entraîne.

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