Pour un mécénat décomplexé : réconcilier intérêt de l'entreprise et intérêt de la société

Par Emmanuelle Fourier-Martin, spécialiste en communication pour les Fondations d'entreprise, consultant chez Cicommunication, et Catherine Isnard, PDG de Cicommunication.

La crise financière actuelle a mis violemment en évidence qu'à moyen et long terme, les intérêts de l'entreprise et de la société ne peuvent diverger indéfiniment sans risque de faire exploser le système. Certaines entreprises ont anticipé cette nécessaire convergence en s'engageant dans des actions en faveur de l'intérêt général. Elles sont en train d'inventer un nouveau business model dans lequel leur responsabilité sociétale, dont le mécénat peut être considéré comme l'engagement ultime, est devenue un enjeu stratégique.

Pourtant, on en parle peu (dans les médias), sauf lors d'opérations savamment orchestrées comme la promotion du film "Home" qui a permis à PPR de souligner son intérêt pour la cause écologique tout en exposant ses marques à plus de 100 millions de spectateurs. L'opinion publique l'ignore généralement et beaucoup d'entreprises regrettent de ne pas être reconnues en tant que mécène. Or, cette reconnaissance est essentielle à la pérennité du mécénat car elle permet de réconcilier intérêt de l'entreprise et intérêt de la société.

Le mécénat s'est fortement développé en France au cours des cinq dernières années. Une enquête Admical-CSA évalue à 2,5 milliards d'euros en 2008 le budget du mécénat des entreprises de plus de 20 salariés. Quant aux fondations liées au monde de l'entreprise, elles ont quasiment été multipliées par trois depuis 2003. Le mécénat a aussi changé de nature. Fini le mécénat "danseuse du président", dépassé le mécénat conçu uniquement comme vecteur d'image! Désormais, il s'inscrit au coeur de la stratégie des entreprises. Ces dernières ont pris conscience qu'il était quasi-suicidaire de se désintéresser de l'intérêt général et, qu'au-delà des actionnaires, elles devaient prendre en compte l'ensemble de leurs parties prenantes. Elles ont aussi compris que le mécénat est un lieu de rencontres et de dialogues unique avec la société civile et un outil essentiel au service de leur diplomatie.

Parallèlement, l'Etat a peu à peu admis qu'il n'avait pas le monopole de l'intérêt général et souhaité que les entreprises prennent le relais. Il a favorisé l'essor du mécénat grâce à la mise en place d'un système législatif de plus en plus souple. L'opinion publique, quant à elle, admet également que les entreprises ont un rôle à jouer dans le domaine de l'intérêt général et l'encourage même si elle l'ignore largement. C'est ce qui ressort d'un sondage réalisé en décembre 2008 par Opinionway pour l'association Le Rameau : 86% des Français considèrent comme légitime que les entreprises et les associations travaillent ensemble pour résoudre les problèmes de société mais 92% d'entre eux considèrent que ces relations sont peu ou pas développées.

Le mécénat s'est donc développé sans que cette évolution majeure du rôle de l'entreprise dans la société ne soit vraiment perçue par l'opinion. Est-ce par excès de discrétion de la part des entreprises qui ont peur qu'on leur reproche de vouloir "redorer leur blason" à bon compte ? Est-ce par désintérêt des médias qui n'y voient rien de stratégique pour l'entreprise ? Ne serait-ce pas parce que le mécénat repose sur une ambiguïté entretenue par tous - pouvoirs publics, entreprise mécènes, médias - qui crée un certain malaise dans la manière d'aborder le sujet ? Conçu pour permettre à l'entreprise d'intervenir dans le domaine de l'intérêt général, le mécénat sert - ne devrait-on pas dire "doit servir" ? - également les intérêts de l'entreprise.

Quand la fondation Renault finance les études en France de brillants étudiants venant de pays en voie de développement, ne peut-on pas admettre que cette action de solidarité multiculturelle rejoint l'intérêt bien compris de l'entreprise qui constitue ainsi un vivier de collaborateurs potentiels ? Quand la fondation Total s'associe à la fondation du patrimoine pour financer la restauration de monuments historiques proches de ses implantations industrielles, ne peut-on pas admettre que, tout en palliant les carences d'un Etat qui ne peut pas tout faire, renforcer l'attractivité des territoires dans lesquels elle opère a un intérêt évident pour l'entreprise ? Admettons une bonne fois pour toute la dualité du mécénat et n'ayons pas peur de reconnaître que celui-ci, s'il est d'abord au service de l'intérêt général, présente aussi des avantages pour l'entreprise.

L'entreprise, décomplexée vis-à-vis de son mécénat, peut alors revisiter sa communication institutionnelle et faire savoir quelles sont ses actions dans ce domaine et les résultats obtenus. Cette transparence est le seul moyen de le légitimer et d'en assurer la pérennité. En communiquant, elle se construit une image d'entreprise responsable, transmet ses valeurs, se démarque de ses concurrents. Elle renforce sa cohésion sociale interne qui, à un moment donné, doit être relayée par la communication externe. En communiquant sur les résultats obtenus, l'entreprise justifie ainsi ses actions auprès de ses parties prenantes, en premier lieu, les actionnaires et les salariés.

Dans une période où ces derniers font les frais de plans sociaux ou du chômage partiel, où les assemblées générales sont chahutées par des épargnants qui demandent des comptes aux dirigeants d'entreprise, communiquer sur son action en faveur de l'intérêt général, en s'appuyant sur des mesures de résultats très concrètes, est un moyen d'évaluer l'utilité de l'argent dépensé et de justifier l'engagement de l'entreprise.

Même si le mécénat est beaucoup plus qu'un sous-produit de la politique de communication de l'entreprise, son avenir passe par la communication institutionnelle, au premier rang de laquelle doivent figurer les relations médias. Car quoi de plus efficace que d'exposer à tous au travers des médias les projets et les initiatives soutenus plutôt que de confiner cette information à quelques pages dans les rapports annuels ou dans des brochures que personne ne lira ?

Le président de la république Nicolas Sarkozy a mis en avant au congrès de Versailles, le "génie français" fondé sur "une complémentarité réussie entre l'initiative privée et l'action publique". A l'heure où il est nécessaire d'inventer un système capitaliste plus solidaire, reconnaissons qu'intérêt général et intérêts particuliers ne sont pas incompatibles et que le mécénat est devenu stratégique aussi bien pour l'entreprise que pour notre société confrontée à des enjeux majeurs auxquels l'Etat ne peut pas faire face tout seul.

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