Oliver Williamson, pape de la gouvernance en économie de marché

Oliver Williamson partage le prix Nobel d'économie 2010 avec Elinor Ostrom. L'économiste de Berkeley a complété les travaux de Ronald Coase, fondateur de l'économie des coûts de transaction. Pour minimiser ces derniers, Williamson a montré que le marché n'offre pas toujours la meilleure solution, et les entreprises peuvent parfois avoir intérêt à des alliances ou des ententes.

Oliver E. Williamson, de l'université de Californie (Berkeley), vient d'obtenir le prix Nobel d'économie pour ses travaux sur "la gouvernance économique, et particulièrement les frontières de l'entreprise". Moins connu du grand public que certains de ses prédécesseurs, Williamson a une solide réputation, en économie comme en gestion, en raison de la richesse de ses analyses en théorie des organisations. Ses contributions et son influence débordent cependant ce cadre.

L'itinéraire de l'homme éclaire son projet. Né de milieu modeste du Wisconsin, il obtient un diplôme du prestigieux MIT, et commence sa carrière comme ingénieur de projets pour le gouvernement américain, ce qui l'amène à beaucoup voyager. Il découvre la diversité des environnements institutionnels et des modes d'organisation de l'activité économique. Il se tourne alors vers l'économie et la gestion, d'abord avec Kenneth Arrow, qui l'initie à l'économie mathématique, puis Herbert Simon, qui dirige sa thèse sur le rôle des managers dans la performance des entreprises. Dès cette époque, il voit l'entreprise non comme une boîte noire résumée par sa fonction de production, mais comme une structure complexe où s'imbriquent relations contractuelles et hiérarchie. Son passage à la puissante division antitrust confirme cette approche et élargit ses recherches aux problèmes de l'intégration, des fusions-acquisitions, mais aussi à l'importance de formes organisationnelles novatrices, comme la franchise.

Il se tourne alors vers l'enseignement et la recherche, qu'il pratiquera dans les plus grandes universités américaines. Il s'y familiarise avec les travaux de Ronald Coase, fondateur de l'économie des coûts de transaction.

Coase a parfaitement résumé cette approche dans sa conférence pour le Nobel (1991). Si on accepte avec Adam Smith que la division du travail et le progrès technique constituent le socle de la richesse des nations, alors la théorie économique doit identifier et expliquer les modalités qui permettent de tirer parti des possibilités ainsi ouvertes. Cela passe par l'organisation efficace des transactions, c'est-à-dire les transferts de biens et de services entre unités économiques distinctes, et par leur encastrement dans des institutions adéquates, dessinant la carte de ce que Coase appelle les "structures institutionnelles de production".

Williamson reprend ce programme, le développe, et le rend opérationnel. Tirant parti de son expérience professionnelle, il comprend qu'une dimension essentielle de la question posée par Coase concerne les frontières de l'entreprise, comme l'a rappelé le comité du prix Nobel ce lundi. Qu'est-ce qui pousse l'entreprise à élargir son périmètre, à procéder à des fusions-acquisitions ?

L'argument du profit n'est pas suffisant : dans un environnement concurrentiel, l'entreprise aurait plutôt intérêt à mettre en concurrence ses fournisseurs de manière à minimiser ses coûts. Williamson développe alors un argument qui s'est révélé très fécond pour les études empiriques. Lorsqu'une entreprise doit consentir des investissements qui l'exposent au risque de comportements opportunistes de ses partenaires, l'obligeant à adopter des dispositifs de protection coûteux, par exemple des contrats complexes et la plupart du temps incomplets, elle peut avoir avantage à intégrer cette activité. Evidemment, cela se traduit par des coûts, ceux de l'organisation interne à l'entreprise. Il y a donc un arbitrage à faire, fondé sur la comparaison entre ce qu'il en coûte de "faire" soi-même et de "faire faire" par des fournisseurs (le fameux "make or buy").

En approfondissant cette question, Williamson réalise l'importance d'autres solutions, par exemple les contrats privilégiant certains partenaires, comme dans la franchise ou les joint-ventures. L'analyse de ces arbitrages complexes est rendue opérationnelle à travers le "principe de l'alignement" : dans une économie concurrentielle, les forces du marché poussent les acteurs à chercher le mode organisationnel et les arrangements contractuels correspondant le mieux aux caractéristiques des transactions à effectuer et minimisant d'autant leurs coûts.

Ceci peut contribuer à expliquer l'importance du juridique en économie. Williamson a ainsi été amené à s'intéresser aux institutions encadrant ces jeux d'acteurs. Les contrats s'inscrivent dans un cadre légal, la protection des droits de propriété influe sur le mode d'organisation choisi, la réglementation peut contraindre ou faciliter les transactions, etc... Les décideurs publics ne sauraient ignorer cet impact ; par exemple, les autorités de la concurrence ne sauraient s'en tenir à une approche en termes de pouvoir de marché : il peut y avoir d'excellentes raisons, tenant aux coûts de transaction, qui poussent les entreprises à s'entendre sur certaines activités, à développer des opérations en commun, etc...

En somme, le marché n'est pas la solution ultime, constat qui a pu conduire certains commentateurs à présenter Williamson comme un virulent critique des marchés, ce qu'il n'est pas. Comme il l'a répété fortement à plusieurs reprises, toutes les solutions sont truffées de défauts. Elles doivent donc être constamment corrigées, ce qui pousse à l'innovation technologique, mais aussi organisationnelle, et au changement institutionnel.

Pour conclure, la décision de partager le prix entre Oliver Williamson et Elinor Ostrom nous paraît judicieuse : tous deux travaillent effectivement sur des problèmes touchant les modes d'organisation efficaces de l'activité économique, partagent pour ce faire plusieurs outils conceptuels communs, et ont constamment défendu l'idée que, pour comprendre la complexité d'une économie de marché, la prise en compte des facteurs institutionnels est décisive.

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