La responsabilité sociale de France Télécom

Par Jean-Marc Le Gall est professeur associé au Celsa et conseil en stratégies sociales.

"Le groupe s'engage à agir en permanence comme un employeur responsable", peut-on lire dans le Rapport responsabilité d'entreprise et développement durable 2008 de France Télécom-Orange publié en juin dernier. Engagement attendu dans un tel rapport, puisque la responsabilité sociale de l'entreprise (RSE) est l'intégration volontaire par l'entreprise de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes, dont font partie ses salariés. Pourtant, confronté à la dramatique actualité sociale de cette entreprise, il est difficile de prendre cet engagement au sérieux.

France Télécom est un groupe très performant, qui a relevé le défi de l'ouverture à la concurrence sans la flexibilité du travail dont usent et abusent ses concurrents, maintien dans l'emploi des fonctionnaires oblige. Mais les nombreux suicides déplorés, quelles que soient l'histoire personnelle des collaborateurs disparus brutalement, révèlent aussi la face cachée de l'entreprise, cet "Orange stressé" dénoncé par le journaliste Ivan Duroy. Sa solide enquête montre une réalité brutale, que la communication de l'entreprise travestit, toute préoccupée de la promotion de ses "valeurs", aussi vides de sens que soigneusement marketées ("nous donnons de la couleur à nos façons de faire"...). Réquisitoire à charge infondé ? La réponse est apportée par Didier Lombard en personne, qui a reconnu vendredi 8 octobre qu' "on a sous-estimé les paramètres humains. A force de courir après la performance, le local n'avait plus de marges de man?uvre". A sa façon, il donne raison à la sociologue Danièle Linhart, qui déplore dans son récent ouvrage (Travailler sans les autres, Seuil) que "le suicide serait alors le seul signe de l'inacceptabilité au travail". Ce n'est en effet qu'après cette dramatique série de décès qu'est admise publiquement l'extrême gravité de la situation et la responsabilité de l'entreprise. De son expérience comme ouvrière chez Renault en 1935, Simone Weil avait tiré cette conclusion : "Il faudrait que les chefs comprennent quel est au juste le sort des hommes qu'ils utilisent comme main d'?uvre".

Le sujet n'est donc pas nouveau, d'autant plus que cet enchaînement de 24 suicides commis par des salariés du groupe vient après ceux très médiatisés de collaborateurs de Renault et de Peugeot en particulier. Si un suicide a bien sûr de multiples causes, le fait de le commettre sur son lieu de travail, ou d'invoquer son travail, interpelle lourdement l'entreprise, de graves difficultés professionnelles pouvant déclencher le passage à l'acte. Au-delà de l'émotion et de la compassion, se pose la question d'un possible prix à payer, en termes de santé et d'équilibre personnel, pour obtenir des salariés des gains rapides de productivité et de compétitivité. Les entreprises n'envisagent pourtant que rarement la responsabilité de l'organisation du travail ou des modes de management, ni de solides contreparties à cette mise sous tension extrême des salariés, en terme d'ergonomie et de reconnaissance. Manifestement, leurs dirigeants répugnent à dépasser la dimension individuelle, à la fois dans leurs diagnostics - les personnes concernées seraient "fragiles" - et dans les solutions d'abord envisagées,"l'écoute" et le soutien psychologique.

Risquons une hypothèse : si le bilan économique du président de France Télécom était aussi mauvais que son bilan social, il aurait quitté l'entreprise comme Michel Bon en 2002, ou il aurait été remercié par son actionnaire principal. Sans aucun doute, il ya encore loin de la responsabilité économique à la responsabilité sociale. Des dirigeants d'entreprise s'efforcent pourtant de rapprocher ces deux dimensions, comme Frank Riboud qui a décidé que le bonus des dirigeants de Danone devait porter pour moitié à la fois sur des réalisations tenant à cette RSE et sur les résultats économiques. Responsabilité oblige.

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Commentaires 2
à écrit le 02/11/2009 à 23:24
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Erratum : il me semble qu'un 25ème suicide s'est produit fin octobre, non ?

à écrit le 02/11/2009 à 20:19
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bravo à Franck Riboud , il a mis en place "l'EBIT c'est bien ,l'IBET c'est mieux" IBET pour Indice du Bien Etre au Travail dont on parle en ce moment dans les milieux sociaux économiques.

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