La City entre dans une zone de turbulences

La crise financière entraîne un double mouvement inédit. Les élections de mai vont sans doute porter au pouvoir le Parti conservateur, violemment opposé à la construction européenne. Mais, parallèlement, la City n'a jamais eu autant besoin de l'Union européenne et s'ouvre de plus en plus à l'idée d'une régulation européenne pour maintenir un système financier ouvert, indispensable à sa prospérité.

La City de Londres, principal centre financier d'Europe depuis le XVIIIème siècle, a particulièrement prospéré pendant la décennie qui s'est achevée avec la crise financière. Elle assurait d'une part l'intermédiation des déséquilibres financiers mondiaux, en canalisant les excédents d'épargne asiatiques et moyen-orientaux vers des investissements en Occident, et d'autre part, elle concentrait une part croissante de l'activité de banque d'investissement pour l'Europe. Le Royaume-Uni dorlotait cette poule aux ?ufs d'or à coups d'avantages fiscaux et de réglementation peu intrusive. Dans le même temps, l'Union européenne (UE) voyait en elle un allié objectif dans son effort d'intégration transfrontalière, et lui accordait une influence non négligeable dans l'élaboration de nouvelles directives financières, tout en respectant largement son autonomie.

Mais la crise est en train de modifier le climat londonien, bien au-delà des pertes subies par tel ou tel acteur. Le "retour des Etats" crée le risque d'une fragmentation de l'espace financier européen, qui rendrait l'allocation des capitaux moins efficace partout en Europe mais serait particulièrement désastreuse pour le centre financier dominant. Dans le même temps, le cadre de régulation est appelé à se durcir inexorablement. A Bruxelles, la Commission a légiféré sur les agences de notation et propose un encadrement plus strict des fonds spéculatifs. Au Royaume-Uni, l'épisode Northern Rock et les plans successifs de sauvetage des banques ont généré une haine publique croissante contre les financiers. Et indépendamment de ces aspects politiques, il ne fait guère de doute qu'une rerégulation du système est nécessaire pour trouver le bon équilibre entre stabilité et croissance, même si le débat sur les modalités ne fait que commencer.

En termes de relation à l'Europe, ces différents facteurs donnent lieu à double mouvement inédit. D'une part, les élections de mai prochain vont sans doute porter au pouvoir le Parti conservateur, violemment opposé à la construction européenne. Mais d'autre part la City, qui jusqu'à présent avait constamment cherché et réussi à tenir Bruxelles à distance, a désormais besoin de l'UE. Peu à peu, discrètement mais sûrement, la communauté financière britannique s'ouvre à l'idée d'un glissement des pouvoirs de régulation et de supervision vers le niveau européen comme prix à payer pour maintenir un système financier ouvert, dont dépend sa prospérité.

Il en résulte des tensions profondes qui ont été largement masquées par la polémique sur les bonus bancaires qui a accrédité l'image d'un retour aux pratiques d'avant la crise, mais permettent de comprendre une série de développements inédits. En juin, le gouvernement britannique a accepté la création d'autorités européennes de supervision, qu'il avait constamment bloquée depuis plus de dix ans que le sujet est en discussion. En juillet, le "shadow chancellor" conservateur, George Osborne, a pris l'initiative surprenante d'appeler au démantèlement de l'Autorité des services financiers (FSA) et d'affaiblir ainsi en pleine crise un acteur clé du dispositif national.

En août, le président de la FSA, Adair Turner, s'est prononcé en faveur d'une réduction de la taille du secteur financier britannique, le cas échéant en créant une taxe sur les transactions. En octobre, le gouverneur de la Banque d'Angleterre, Mervyn King, a préconisé le démantèlement des grandes banques. Puis Fitch, une des principales agences de notation, a signalé une dégradation possible de la signature souveraine britannique, et Gordon Brown a repris l'idée de la "taxe Tobin" dans une réunion du G20. "Shocking indeed"?: quel que soit le jugement porté sur chacune de ces positions, elles étaient impensables avant la crise, et leur accumulation crée au sein de la City un sentiment nouveau de risque politique. Le déménagement d'un nombre croissant de hedge funds depuis Londres vers la Suisse en est une illustration brutale. Plus généralement, l'euroscepticisme des conservateurs, l'impopularité des financiers, en même temps que l'arrivée d'une nouvelle Commission à Bruxelles et les difficultés affrontées par d'autres gouvernements européens, se combinent pour créer un environnement exceptionnellement incertain, et porteur de turbulences à venir.

Ce qui se passe à Londres est important pour le Royaume-Uni, mais aussi pour l'Europe tout entière. Les Continentaux et notamment les Français sont tentés de s'en réjouir, habitués qu'ils sont à penser en termes de concurrence entre Londres, Paris et Francfort. Mais la vraie question est de savoir si l'UE peut conserver un centre financier d'importance mondiale sur son territoire, ce qui n'est en rien assuré à l'heure du rebond américain et de la montée en puissance de l'Asie. Malgré toutes les critiques justifiées adressées à la City, il n'est pas sûr que les Européens dans leur ensemble sortent gagnants de son affaiblissement.

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